SEPTIEME ENTRETIEN.
Ornemens
Ornements
de l'
Histoire
histoire
.
Le lendemain, dès le matin, Euphorbe, en entrant dans son cabinet, y trouva son ami
occupé à parcourir ses livres. Vous ne savez pas, dit celui-ci, à quel objet je
pensois
pensais
en vous attendant. J'
admirois
admirais
la justesse de cette inscription que vous avez fait graver au-dessus de la
porte ;
tantùm
tantum
series juncturaque pollet !
La citation provient
de l'Ars poetica d'Horace, v. 242. Ce vers et le suivant se
trouvent cités sur la page de titre du premier volume de l'Encyclopédie des Arts et des métiers, en 1751. Outre le choix des livres,
que vous avez rassemblez ici, il est difficile d'y mettre un plus bel ordre.
Une bibliothèque sans arrangement, reprir Euphorbe, devient presque inutile, par la
difficulté que l'on éprouve à trouver les
différens
différents
volumes que l'on cherche. D'ailleurs cette confusion choque la vue des gens de
goût.
En effet, poursuivit Timagene, dans tout ce qui est fait pour plaire,
la principale beauté vient d'un certain accord, d'une disposition heureuse, qui de
plusieurs parties forme un tout gracieux,
&
et
dont les justes proportions ravissent
nôtre
notre
admiration. C'
étoit
était
là, sans doute, ce que vous entendiez hier, lorsque vous mîtes l'ordre à la tête
des
ornemens
ornements
propres au récit historique.
Je ne suis pas étonné, repartit Euphorbe, que ce mot vous ait frappé. Un militaire est,
pour ainsi dire, naturalisé avec l'ordre : il en sent tout le prix. Si cet ordre est
indispensable dans la conduite d'une armée, il est aussi le premier
&
et
le plus utile ornement de l'histoire. Elle lui doit cette variété, dont nous
avons déjà reconnu la nécessité dans toute espèce de récit. Le dernier
Auteur
auteur
de là vie de Louis XIII, suffit pour nous en donner la preuve. Pour épargner à
son lecteur l'ennui que doit produire naturellement le détail trop uniforme des guerres
qu'il est obligé de rapporter, il quitte de temps en temps les armées ; il revient à
sa cour,
&
et
fixe nos
ieux
yeux
sur les cabales des grands,
&
et
sur ses intrigues du cabinet. Au milieu des combats
&
et
des
sièges
siéges
, qu'il est forcé de décrire, il ne perd jamais de vue un
ministre habile, qui lutte sans cesse contre la
foiblesse
faiblesse
de son prince
&
et
la jalousie des grands, autant que contre les ennemis de l'état. Ce n'est point
une énumération
séche
sàche
&
et
fatigante de batailles, de
campemens
campements
&
et
d'opérations
guerrieres
guerrières
. Nous voyons le jeu de la machine ; mais nous
appercevons
apercevons
en même
-
temps le ressort qui la fait mouvoir.
Delà
De là
naît l'intérêt, autre avantage plus précieux encore de cette disposition habile,
dont nous parlons.
N'est-ce point cette adresse, ajouta Timagène, cet admirable enchaînement de projets,
d'intrigues, d'
événemens
événements
, qui rend si intéressante l'
histoire de la conjuration contre Venise
Histoire de la conjuration contre Venise
, écrite par l'abbé de Saint-Réal ? Point de tableau dont l'ordonnance soit
aussi heureuse. L'
Auteur
auteur
fait d'abord
connoître
connaître
ses principaux personnages. Leurs
caracteres
caractères
sont bien peints. Les détails de la conjuration sont présentés avec netteté,
&
et
dans leur place naturelle : le
manége
manège
des conjurés, la politique de la cour d'Espagne, tout se développe sans
embarras. Les reflexions naissent du sujet. Mais
sur-tout
surtout
il ne laisse point entrevoir le succès. C'est au moment où l'entreprise va
s'exécuter, que toute la trame se découvre. L'esprit a toujours été en
suspens,
&
et
l'émotion que lui cause cet événement inattendu, fait sur lui le même effet que
la catastrophe d'une tragédie.
Ce sont là de ces ouvrages qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir, reprit Euphorbe.
L'abbé de Vertot excelle aussi dans cette espèce d'enchantement ;
&
et
s'il n'eût pas quelquefois sacrifié la vérité à l'intérêt, il
auroit
aurait
peut-être atteint la perfection dans son genre. Il nous conduit comme par la
main d'
événemens
événements
en
événemens
événements
: à chaque instant, la curiosité augmente,
&
et
le temps qu'on emploie à le suivre
paroît
paraît
toujours trop court. Thucidide charge souvent son récit, jusqu'à fatiguer son
lecteur ; Tacite voit
par-tout
partout
de la politique, de l'intrigue
&
et
de la dissimulation. Ce n'est point là la marche de la nature. Elle est aisée à
saisir : sans chercher
-du
du
mystere
mystère
où il n'y en a point, elle expose les motifs, qui sont ordinairement
différens
différents
selon les
différens
différents
génies ; enfin elle n'attribue point à des vues
secrettes
secrètes
&
et
à des méditations profondes, ce qui n'est souvent l'effet que de l'accident le
plus commun.
Puisque l'ordre est le
pere
père
de la variété
&
et
de l'intérêt, répliqua Timagène, je ne
voudrois
voudrais
point d'autre ornement dans l'histoire. Cette
espece
espèce
de composition est toute autre que la
poësie
poésie
. Si je m'en souviens bien, Lucien a dit quelque partQuomodò
scrib. Hist., que charger un récit historique de louanges outrées
&
et
d'
ornemens
ornements
poëtiques
poétiques
, ou oratoires, c'est habiller un
Athlete
athlète
en comédienne, c'est représenter Hercule filant aux pieds d'Omphale. En effet,
la
poësie
poésie
semble annoncer par ses charmes, que son but principal est de plaire ;
l'histoire, au contraire, par son sérieux, nous prévient d'abord qu'elle veut nous
instruire.
Je
connois
connais
toute la sévérité de Lucien sur cet article, répondit Euphorbe. Néanmoins cet
ingénieux critique, dans l'ouvrage même que vous citez,
Ibid.
veut que l'expression de l'historien approche quelquefois du sublime
de la
poësie
poésie
,
sur-tout
surtout
dans les descriptions des batailles. L'histoire
&
et
la
poësie
poésie
ont un même but principal ; c'est de nous être utiles : mais elles y
vont par des routes différentes. Celle-ci étale à nos
ieux
yeux
tout l'éclat, toute la pompe d'une brillante
imagination : celle-là porte un air plus austère,
&
et
sans
rejetter
rejeter
les
ornemens
ornements
qui lui sont propres, elle se contente de les voiler assez pour que le lecteur
ait peine à les découvrir. L'ordre même y
produiroit
produirait
difficilement les deux grands effets qui vous charment, la variété
&
et
l'intérêt, s'il n'
empruntoit
empruntait
des ressorts étrangers, tels que les descriptions, les portraits, le pathétique,
les réflexions, les anecdotes frappantes , les pensées même
&
et
la beauté de l'expression. Tout cela doit marcher d'un pas égal sous les
enseignes de la vérité.
Si vous le trouvez bon, reprit Timagène en riant, passons en revue votre petite armée.
Nous sommes ici à portée de trouver des exemples, dans toutes les parties que vous venez
de nommer. Nous nous sommes déjà entretenus des descriptions
&
et
des
caractères
caracteres
.
A
À
ce que nous en avons dit je
voudrois
voudrais
seulement ajouter, que dans l'histoire ces deux espèces d'
ornemens
ornements
doivent avoir de la dignité,
&
et
conséquemment qu'il faut y admettre du choix. C'est abuser de la complaisance du
lecteur, que de lui décrire des minuties, ou de lui peindre, avec un grand détail, des
personnages peu
importans
importants
, dans le sujet qui l'occupe. Je suis toujours étonné que Sallufse nous ait
donné, avec beaucoup d'appareil, un portrait de Sempronia, qui ne joue pas un assez grand
rôle dans la conjuration de Catilina, pour mériter cette distinction.
Je suis encore moins indulgent que vous, poursuivit Euphorbe. Vous rejettez de l'histoire
toute description minutieuse :
&
et
moi, j'en bannis toutes celles qui ne sont pas absolument nécessaires. Ce n'est
pas, en effet, la grandeur de l'objet qui décide du mérite de la description, mais le
rapport qu'il a avec le but principal, que l'écrivain se propose. Un
poëte
poète
s'amuse à peindre une affreuse tempête, un riant bocage, un magnifique palais,
sans autre nécessité que d'orner son ouvrage
&
et
de
charmer son lecteur. Cette liberté n'est point accordée à l'historien. S'il
décrit une campagne, c'est qu'il ne peut se dispenser de peindre la situation des lieux,
pour faire entendre les
différens
différents
mouvemens
mouvements
de deux armées ennemies pendant une bataille, ou dans une marche. Si Tacite fait
la description de l'
isle
île
de Caprée, c'est pour dévoiler les motifs qui
engagerent
engagèrent
Tibere
Tibère
à s'y retirer.Solitudinem ejus placuisse maximè crediderim, quoniam importuosum circa mare,
&
et
vix modicis navigiis pauca subsidia ; neque adpulerit quisquam, nisi gnaro
custode. Cœli temperies hieme mitis, objectu montis, quo sæva ventorum arcentur :
æstas in favonium obversa,
&
et
aperto circum pelago peramœna ; prospectabatque pulcherrimum finum, antequam
Vesuvius mons ardescens faciem loci verteret.
Annal. lib. 4, c. 67.Je
croirois
croirais
volontiers, dit-il, que la solitude, qui
regne
règne
dans cette
isle
île
, la rendit plus agréable à ce prince que toute autre. Toutes ces mers sont
dépourvues de ports : les plus petits
bâtimens
bâtiments
ont peine à y trouver quelques secours ;
&
et
il est impossible d'y aborder, sans être
apperçu
aperçu
par les sentinelles. Une chaîne de montagnes met
isle
île
à l'abri des vents froids,
&
et
y entretient une douce température pendant la saison la plus rigoureuse.
Ouverte du côté du levant, un air frais y
modere
modère
les ardeurs de l'été,
&
et
la mer, que l'on découvre de tous côtés, rend alors ce séjour
très-agréable
très agréable
. Elle
avoit
avait
en perspective un golfe charmant, avant que les éruptions brûlantes du Vésuve
eussent désolé ces rivages.
L'empereur
cherchoit
cherchait
une retraite solitaire
&
et
gracieuse. C'est sous ces deux rapports seulement qu'on nus peint celle qu'il
choisit.
Je crois
appercevoir
apercevoir
, dans ce que vous venez de lire, reprit Timagène, toutes les qualités qu'un
homme de beaucoup de goût du
siécle
siècle
dernier, exige dans cette partie de l'histoireLe P. Rapin,
réfl. sur l'hist. art. 18.Il faut, dit-il, que les descriptions
soient nécessaires, exactes, élégantes, jamais recherchées ; qu'elles n'aient rien
de choquant, ni qu'on n'y voie pas trop d'envie de faire plus
paroître
paraître
son esprit, que son sujet.
Voilà précisément dans ces derniers mots la
différence que vous mettiez
tout-à-l'heure
tout à l'heure
entre la description
poëtique
poétique
,
&
et
l'historique. Tite-Live peut être regardé comme un modèle d'exactitude,
lorsqu'il décrit une bataille : je
mettrois
mettrais
au même rang le
P.
Père
Daniel, dans le combat des trente, sous le Roi Jean ; dans la bataille de
Bouvines, sous Philippe Auguste. Rien de plus exact que le détail des trois journées de
Fribourg, sous le
rwgne
règne
de Louis XIV, dans M. Reboulet. On voit, on suit, pour ainsi dire, des
ieux
yeux
toutes les évolutions
&
et
tous les
mouvemens
mouvements
des
combattans
combattants
. Mais pour l'élégance, sans recherche
&
et
sans affectation, je me déclare
sur-tout
surtout
pour deux morceaux que j'ai envie de relire encore ici avec vous. Le premier est
tiré des
révolutions d'Angleterre
Révolutions d'Angleterre
. C'est la description du combat où Henri VI
&
et
la reine Marguerite furent défaits par Edouard IV, près de la ville
d'Yorck.Rév. d'Ang. l. 6.Les deux armées,
s'étant rencontrées le dimanche des Rameaux, assez proche des bourgades de Saxton
&
et
de Touton, une vaste prairie fut le champ d'une des plus mémorables batailles,
dont on eut
oui
ouï
parler de
long-temps
longtemps
. On combattit durant deux jours, avec ce que l'on
pourroit
pourrait
mieux appeller fureur que courage. Edouard
avoit
avait
défendu qu'on fît des prisonniers,
&
et
ordonné qu'on passât tout au fil de l'épée. Il
pouvoit
pouvait
épargner à sa gloire cet ordre plus digne d'un désespéré, que d'un grand
capitaine
&
et
d'un prince chrétien. L'acharnement des deux partis à s'entredétruire l'un
l'autre, parut dans cette action plus que jamais. On commença ce
rude choc par combattre dix heures, sans que l'on perdit rien du
terrein
terrain
que l'on
avoit
avait
d'abord occupé. On
tomboit
tombait
, mais on ne
reculoit
reculait
pas,
&
et
les files de
derriere
derrière
remplaçoient
remplaçaient
, avec un ordre que la chaleur du combat ne
dérégloit
déréglait
point, ceux que l'on
tuoit
tuait
dans les
premieres
premières
; de sorte que si les deux grands chefs de la faction d'Yorck n'
avoient
avaient
fait des choses au-dessus même des hommes extraordinaires, on
pourroit
pourrait
dire que cette bataille se
seroit
serait
moins décidée par la valeur
&
et
par la science de la guerre, que par la force
&
et
le travail des bras,
&
et
et que si les Lancastres
céderent
cédèrent
, ce fut que leurs gens furent
plutôt
plus tôt
las que les autres. Encore ne
céderent
cédèrent
-ils point en fuyant, pour quitter le combat ; mais en se retirant, pour
reprendre haleine
&
et
recommencer à combattre. Ainsi, tout rompus qu'ils
étoient
étaient
, on les
voyoit
voyait
de tous côtés se rallier en petites troupes,
&
et
retourner à la charge en désespérés. Un jour ne suffit pas pour rendre cette
victoire
complete
complète
: il fallut y employer le lendemain. Aussi le nombre des morts monta-t-il
jusqu'à trente-six mille hommes, en comptant ceux des deux partis.
On dit que la
riviere
rivière
de Warf, dans laquelle se décharge un ruisseau jusqu'aux bords duquel on
poussa les vaincus, parut tout en sang, tant il en fut versé.
Quelques phrases un
peu moins longues,
&
et
quelques détails un peu plus circonstanciés, ne
dépareroient
dépareraient
pas, je crois, l'élégance de ce tableau. L'autre est la fameuse action entre D.
Sébastien, Roi de Portugal,
&
et
Muleï Moluc, Roi de Maroc.Révol. de Port.Le Roi de Portugal, dit M. l'abbé de Vertot, qui
croyoit
croyait
qu'il lui
seroit
serait
plus difficile de joindre les ennemis que de les vaincre, s'attacha à leur
poursuite : mais Moluc ne le vit pas
plutôt
plus tôt
éloigné de la mer
&
et
de sa flotte, qu'il fit ferme dans la plaine ;
&
et
il étendit ensuite un grand corps de cavalerie en forme de croissant, pour
enfermer toute l'armée chrétienne. Il
avoit
avait
mis le prince Hamet, son
frwre
frère
, à la tête de ce corps : mais, comme il n'
étoit
était
pas prévenu en faveur de son courage, il lui dit, que c'
étoit
était
uniquement à sa naissance qu'il
devoit
devait
ce commandement ; mais que, s'il
étoit
était
assez lâche pour fuir, il l'
étrangleroit
étranglerait
de ses propres mains,
&
et
qu'il
falloit
fallait
vaincre ou mourir. Il se
voyoit
voyait
mourir lui-même,
&
et
sa
foiblesse
faiblesse
étoit
était
si grande, qu'il ne douta point qu'il ne fût arrivé à son dernier jour, Il
n'oublia rien dans cette extrémité pour le rendre le plus beau de sa vie. Il rangea
lui-même son armée en bataille,
&
et
donna tous les ordres avec autant de netteté d'esprit
&
et
d'application, que s'il eût été en parfaite santé. Il étendit même sa
prévoyance jusqu'aux
événemens
événements
qui pouvaient arriver par sa mort,
&
et
il ordonna aux officiers dont il
étoit
était
environné, que s'il
expiroit
expirait
pendant la chaleur du combat, on en cachât avec soin la nouvelle
.....
(...).
La bataille commença de part
&
et
d'autre par des décharges d'artillerie. Les deux armées s'
ébranlerent
ébranlèrent
ensuite,
&
et
se
chargerent
chargèrent
avec beaucoup de fureur : tout se mêla bientôt. L'infanterie chrétienne,
soutenue des
ieux
yeux
de son Roi, fit plier sans peine celle des Maures, la plupart composée
d'AlarbesC'est-à-dire, arabes. Le terme, sans être attesé dans les
dictionnaires de référence de la présente édition, ne peut cependant être traité comme
une coquille.
&
et
de vagabonds. Le duc d'Aveïro poussa même un corps de cavalerie qui lui
étoit
était
opposé jusqu'au centre
&
et
à l'endroit qu'
occupoit
occupait
le Roi du Maroc. Ce prince, voyant arriver ses soldats en
désordre,
&
et
fuyant honteusement devant un ennemi victorieux, se
jetta
jeta
à bas de sa litière,
&
et
plein de
colere
colère
&
et
de fureur, il
vouloit
voulait
, quoique mourant, les ramener lui-même à la charge. Ses officiers s'
opposoient
opposaient
envain
en vain
à son passage; il se fit faire jour à coups d'epée : mais ses efforts
achevant de consommer ses forces, il tomba évanoui dans les bras de ses écuyers :
on le remit dans sa
litiere
litière
;
&
et
il n'y fut pas plutôt, qu'ayant mis son doigt sur sa bouche, comme pour leur
recommander le secret, il expira dans le moment,
&
et
avant même qu'on eût pu le conduire jusqu'à sa tente. Sa mort demeura inconnue
aux deux partis. Les chrétiens
paroissoient
paraissaient
jusques-là
jusque-là
avoir de l'avantage : mais la cavalerie des Maures, qui
avoit
avait
formé un grand cercle, se resserrant à mesure que ses extrémités se
rapprochoient
rapprochaient
, acheva d'envelopper la petite armée de D. Sébastien. Les Maures
chargerent
chargèrent
ensuite de tous côtés la cavalerie Portugaise. Ces troupes accablées par le
nombre,
tomberent
tombèrent
en se retirant sur leur infanterie,
&
et
elles y
porterent
portèrent
, avec la crainte, le désordre
&
et
la consufion. Les infidèles se
jetterent
jetèrent
aussitôt, le
cimetere
cimeterre
Selon le Dictionnaire de L'Académie française (4e éd.,
1762), une cimeterre est un « grand coutelas recourbé qui ne tranche que d'un
côté. » à la main, dans ces baraillons ouverts
&
et
renversés,
&
et
ils vainquirent des gens étonnés
&
et
déjà vaincus par une frayeur générale. Ce fut moins, dans la suite, un combat
qu'un carnage. Les uns, se
mettoient
mettaient
à genoux pour demander la vie, d'autrès,
cherchoient
cherchaient
leur salut dans la fuite : mais comme ils
étoient
étaient
enveloppés de tous côtés, ils
rencontroient
rencontraient
par-tout
partout
l'ennemi
&
et
la mort. L'mprudent D. Sébastien périt dans cettte occasion, soit qu'il n'eût
pas été reconnu dans le désordre d'une fuite, ou qu'il eût voulu se faire tuer lui-même,
pour ne pas survivre à la perte de tant de gens de qualité, que les Maures
avoient
avaient
massacrés,
&
et
que lui-même
avoit
avait
, pour ainsi dire, entraînés à la boucherie.
Quel feu, quelle élégance,
&
et
quelle netteté dans ces détails ! que de naturel,
&
et
en
même-temps
même temps
de beauté, dans cette pensée au sujet de Moluc, qui se voyant au dernier de ses
jours, voulut le rendre le plus beau de sa vie !
Ce
stile
style
sage
&
et
pourtant animé, répartit Euphorbe, n'est-il pas préférable à ces grands lieux
communs, à cette pompe étudiée, dont on nous régale souvent en pareilles occasions?
L'embarras
&
et
le désordre sont insupportables dans la description d'une bataille : ils le
sont encore plus dans le détail de ces
événemens
événements
plus tranquilles, où le lecteur de sang froid examine à loisir toutes les
parties du spectacle qu'on lui présente. La clarté, l'élégance
&
et
l'exactitude, y sont d'autant plus nécessaires, que les objets sont plus
compliqués, ou plus
importans
importants
pour la suite de l'histoire. On sait quelle confusion
regne
règne
dans une ville soulevée contre son Roi. L'auteur des
révolutions d'Angleterre
Révolutions d'Angleterre
, nous a donné une description bien faite de l'état affreux où
étoit
était
la ville de Londres, pendant la tenue du Parlement de 1641. Elle peut servir de
modèle pour les faits de la
premiere
première
espece
espèce
.Rév. d'Angl. 1. 9.
Le tumulte, dit-il,
alloit
allait
toujours en augmentant. Le Roi ne
pouvoit
pouvait
paroître
paraître
dans Londres, qu'on ne lui criât de toutes parts : les
priviléges
privilèges
du Parlement, les
priviléges
privilèges
du Parlement. Le peuple
vouloit
voulait
dire
par-là
par là
ce que les Puritains
expliquoient
expliquaient
plus nettement dans les compagnies, que le Roi
avoit
avait
violé les
priviléges
privilèges
de cette assemblée. On poussa l'insolence si loin, qu'un
ministre nommé Walker
jetta
jeta
dans le carosse du Roi un libelle fait contre lui. On
venoit
venait
jusque dans son palais, tumultuairement
&
et
en troupes, lui dire des injures en face, pendant que le Parlement, feignant
de n'être pas en sureté à Westminster, se retira dans la ville pour en augmenter le
tumulte, demanda des gardes,
&
et
refusant ceux que le Roi lui
vouloit
voulait
donner, en prit de dévoues à la faction. Durant ce temps-là, on
semoit
semait
mille bruits des desseins du Roi sur la ville, la plupart incroyables
&
et
extravagans
extravagants
, mais crus néanmoins,
&
et
ayant le même effet pour émouvoir la multitude, que s'ils eussent été les plus
vraisemblables. Le Roi se
préparoit
préparait
,
disoit
disait
-on, à venir avec les papistes exterminer les
protestans
protestants
. On
voyoit
voyait
déjà des troupes
paroître
paraître
. Digby
&
et
Lansfort
étoient
étaient
à Kinston avec un corps de cavalerie,
&
et
n'
attendoient
attendaient
que d'être mandés. Ces fausses nouvelles qui se
disoient
disaient
le jour dans toutes les maisons de la ville,
&
et
qui se
crioient
criaient
la nuit par les rues,
remplissoient
remplissaient
Londres d'une terreur
&
et
d'
un
une
confusion si étranges, qu'on ne
voyoit
voyait
dans toutes les places que des troupes de gens en armes,
des corps-de-gardes, des
retranchemens
retranchements
, des barricades, des chaînes tendues
&
et
d'autres semblables préparatifs pour repousser les efforts du Roi. Les
serviteurs de ce monarque craignant pour lui, de leur côté lui vinrent offrir leurs
services.
Le même historien peut apprendre avec quel soin, avec quelle noble
simplicité, il faut détailler un fait dont les circonstances peuvent avoir des
conséquences sérieuses pour l'avenir. Prenons celui de la déposition de Richard II, Roi
d'Angleterre. Tous les
événemens
événements
ici, même ceux qui semblent les plus légers, peuvent être utiles ou funestes à
l'usurpateur ; peuvent servir à excuser sa révolte, ou réserver une ressource au Roi
détrôné. Voici comme ils sont décrits.Rév. d'Angl. to. 2, l. 5.
On convint avec le Roi du jour de cette triste
cérémomonie
cérémonie
;La coquille évidente, dans l'original, est sans doute liée
au passage à la ligne qui se trouve au même endroit. car on voulut, pour rendre
la chose plus authentique, qu'elle fût solemnelle. Au jour marqué, on s'assembla dans
une salle de la tour, où tout le monde s'étant placé, le Roi parut, la couronne en tête,
revêtu du manteau royal,
&
et
tenant le sceptre en main :
&
et
après avoir dit quelques mots rapportés différemment par les historiens,
&
et
assez peu dignes de l'être, il mit son sceptre
&
et
sa couronne entre les mains du duc de Lancastre, disant qu'il y
renonçoit
renonçait
en sa faveur. Le duc les ayant pris, les donna comme en dépôt au primat du
royaume. Ensuite l'acte d'abdication, qui
avoit
avait
été dressé par des notaires, ayant été signé par les témoins, chacun se retira
chez soi, en attendant l'ouverture du Parlement, où l'affaire se
devoit
devait
consommer. Ce fut le jour de
S.
Saint
Michel que
commencerent
commencèrent
les séances de cette
célébre
célèbre
assemblée. La
premiere
première
chose qu'on y fit, fut de présenter l'acte d'abdication qui fut juridiquemenr
accepté ;
ensuite
en suite
de quoi, sous prétexte de donner un nouveau droit au duc de Lancastre de
prendre possession du royaume, le Parlement se confirma dans l'usurpation du droit qu'il
s'attribue sur la personne des Rois ; car non content de ratifier la démission
volontaire de Richard, il y ajouta la déposition. Son procès lui fut fait dans les
formes, partie
sur.
sur
sa démission même, par laquelle ils
disoient
disaient
qu'il se
confessoit
confessait
incapable de gouverner ; partie sur les crimes dont on l'
accusoit
accusait
compris en trente-trois articles, qui se peuvent réduire à la mort du duc de
Glocestre
&
et
de ses partisans, à l'exil du duc de Lancastre
&
et
de l'archevêque de
Cantorbéri
Cantorbery
, à l'affectation de la puissance arbitraire, à la dissipation des finances, à
des parjures, à des
manquemens
manquements
de paroles
&
et
de bonne foi. Sur quoi on lui prononça son arrêt, par lequel il fut déclaré
incapable de gouverner le royaume,
&
et
déposé de la royauté. On crut lui faire
grace
grâce
de lui laisser la vie ; mais on le priva de la liberté par les ordres qui
furent donnés de le tenir en prison perpétuelle, d'éloigner de lui tous les amis,
&
et
de ne lui laisser de commerce qu'avec ceux qu'on choisit pour le garder.
Ces sortes de descriptions ont moins de feu
&
et
d'agrément, que les vôtres, mais elles sont
comunément
communément
plus utiles ;
&
et
vous savez que dans l'histoire l'utile doit marcher avant l'agréable.
Vous me soupçonnez quelquefois, continua Timagene, d'aimer les
ornemens
ornements
du
stile
style
un peu plus qu'il ne faut : voyez combien je suis raisonnable. Je souscris
à ce que vous venez de dire ;
&
et
je crois même que ce précepte s'étend sur les portraits autant que sur les
descriptions. Je suis persuadé que, dans un
caractere
caractère
, l'
Auteur
auteur
doit s'occuper beaucoup plus de bien faire
connoître
connaître
son héros, que de prouver son esprit
&
et
l'adresse de son pinceau. L'historien
, remarque
Lucien,[Grec.] Quomodo scrib. Hist.
doit considérer qu'il écrit pour la postérité,
&
et
non pas seulement pour ceux de son
siécle
siècle
.
II doit donc peindre ses personnages si
ressemblans
ressemblants
, qu'on ne puisse s'y méprendre
&
et
les confondre avec aucun autre, même sans les avoir jamais pratiqués. Qu'après
cela, il s'étudie à y répandre un coloris gracieux, c'est un mérite de plus. Je vois peu
d'écrivains qui nous ait mieux fait
connoître
connaître
Walstein, que Sarrasin dans l'histoire qu'il nous a laissée de la conspiration
tramée par ce fameux capitaine, contre l'empereur à qui il
devoit
devait
sa fortune. Voici le portrait qu'il en fait. Walstein eut
l'esprit grand
&
et
hardi, mais inquiet
&
et
ennemi du repos : le corps vigoureux
&
et
haut : le visage plus majestueux, qu'agréable. Il fut naturellement fort
sobre ; ne dormant presque point ; travaillant
toujours ; supportant aisément le froid
&
et
la faim ; fuyant les délices,
&
et
surmontant les incommodités de la goutte
&
et
de l'âge par la tempérance
&
et
par l'exercice ; parlant peu, pensant beaucoup, écrivant lui-même toutes
ses affaires : vaillant
&
et
judicieux à la guerre, admirable à lever
&
et
à faire subsister les armées,
sévere
sévère
à punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix
&
et
dessein : toujours ferme contre le malheur, civil dans le besoin,
ailleurs orgueilleux
&
et
fier : ambitieux sans mesure, envieux de la gloire d'autrui, jaloux de la
sienne ; implacable dans la haine, cruel dans la
vangeance
vengeance
, prompt à la
colère
colere
; ami de la magnificence, de l'ostentation
&
et
de la nouveauté : extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans
dessein,
&
et
ne manquant jamais du prétexte du bien public, quoiqu'il rapportât tout à
l'accroissement de sa fortune : méprisant la religion qu'il
faisoit
faisait
servir à sa politique : artificieux au possible,
&
et
principalement à
paroître
paraître
désintéresse : au reste,
très-curieux
très curieux
&
et
très-clairvoyant
très clairvoyant
dans les desseins des autres ;
très-avisé
très avisé
à conduire les siens ;
sur-tout
surtout
adroit à les cacher,
&
et
d'autant plus impénétrable, qu'il
affectoit
affectait
en public la candeur
&
et
la liberté,
&
et
blâmoit
blâmait
en autrui la dissimulation dont il se
servoit
servait
en toutes choses.
N'est-il pas vrai que ce portrait
seroit
serait
achevé, si l'on en
supprimoit
supprimait
quelques traits qui semblent répétés ?
Je
voudrois
voudrais
en retrancher aussi, reprit Euphorbe, quelques négligences de
stile
style
. Mais le temps où il
ecrivoit
ecrivait
, n'
étoit
était
encore pour ainsi dire, que l'aurore de la belle littérature. Voyons-en quelques
autres dessinés dans les plus beaux jours du
siécle
siècle
dernier ; ce
siécle
siècle
rival,
&
et
peut-être vainqueur du
siécle
siècle
d'Auguste. L'abbé de
S.
Saint
Réal nous trace ainsi le portrait du marquis de Bedemar.Conj. contre Ven.
Don Alphonse de la Cueva, marquis de Bedemar, ambassadeur ordinaire à
Venise,
étoit
était
l'un des plus
puissans
puissants
génies
&
et
des plus dangereux esprits que l'Espagne ait jamais produits. On voit par les
écrits qu'il a laisses, qu'il
possédoit
possédait
tout ce qu'il y a dans les historiens anciens
&
et
modernes, qui peut former un homme extraordinaire. ll
comparoit
comparait
les choses qu'ils racontent, avec celles qui se
passoient
passaient
de son temps. Il
observoit
observait
exactement les différences
&
et
les ressemblances des affaires,
&
et
combien ce qu'elles ont de différent, change ce qu'elles ont de semblable. Il
portoit
portait
d'ordinaire son jugement sur l'issue d'une entreprise,
aussi-tôt
aussitôt
qu'il en
savoit
savait
le plan
&
et
les
fondemens
fondements
. S'il
trouvoit
trouvait
par la suite qu'il n'eût pas deviné, il
remontoit
remontait
à la source de son erreur,
&
et
tâchoit
tâchait
de découvrir ce qui l'
avoit
avait
trompé. Par cette étude, il
avoit
avait
compris quelles sont les voies sûres, les véritables moyens
&
et
les circonstances capitales qui présagent un bon succès aux grands desseins,
&
et
qui les font presque toujours réussir. Cette pratique continuelle de lecture,
de méditation
&
et
d'observation des choses du monde, l'
avoit
avait
élevé à un tel point de sagacité, que ses conjectures sur l'avenir
passoient
passaient
presque dans le conseil d'Espagne, pour des prophéties.
A
À
cette
connoissance
connaissance
profonde de la nature des grandes affaires,
étoient
étaient
joints des
talens
talents
singuliers pour les manier, une facilité de parler
&
et
d'écrire avec un agrément inexprimable ; un instinct merveilleux pour se
connoître
connaître
en hommes ; un air toujours gai
&
et
ouvert, où il
paroissait
paraissait
plus de feu que de gravité, éloigné de la dissimulation, jusqu'à approcher de
la naïveté ; une humeur libre
&
et
complaisante, d'autant plus impénétrable, que tout le mondé
croyoit
croyait
la pénétrer ; des
manieres
manières
tendres, insinuantes
&
et
flatteuses, qui
attiroient
attiraient
le secret des cœurs les plus difficiles à s'ouvrir ; toutes les
apparences d'une
entiere
entière
liberté d'esprit dans les plus cruelles agitations.
Ne trouvez-vous pas là
cette fidélité, cette expression que vous demandiez il n'y a qu'un moment ? Le
premier coup de pinceau nous peint déjà en racourci quel est l'homme dont il s'agit :
c'est un puissant génie
&
et
un esprit
très-dangereux
très dangereux
. Ces deux traits joints à une étude profonde,
&
et
à tous les
talens
talents
propres à séduire, forment un sujet capable de tout entreprendre
&
et
de tout exécuter,
&
et
à qui rien ne
manquoit
manquait
pour être le premier mobile de cette fameuse conjuration qui pensa renverser
l'état de Venise.
A
À
la suite de ce
caractere
caractère
, mettons celui de Henri III, Roi d'Angleterre. Il est écrit avec autant de
fidélité
&
et
avec plus d'élégance encore.Révol. d'Angl. l. 3.
Henri, dit l'
Auteur
auteur
, se trouva en prenant les rênes de la monarchie, dans un
état bien éloigné de celui qui lui
convenoit
convenait
. Chargé d'affaires à négocier,
&
et
de querelles à soutenir ; engagé au-dehors à réparer des pertes qu'il n'
avoit
avait
pas faites, mais qu'on lui
reprochoit
reprochait
, tandis qu'il ne les
réparoit
réparait
pas ; troublé au-dedans par une ligue opiniâtre à lui demander des
priviléges
privilèges
qui le
dégradoient
dégradaient
, il se vit, avec de grands besoins
&
et
une plus grande inclinaision à la dépense, dans un royaume épuisé d'argent,
dépendant pour en avoir, de
ceux-même
ceux mêmes
Même est ici un adjectif, et non un
adverbe. dont il le
devoit
devait
tirer. Il
auroit
aurait
fallu, pour soutenir le poids de sa couronne en ces conjonctures, un grand
génie, un bon politique, un esprit vif
&
et
pénétrant, des vues étendues
&
et
assurées, du courage
&
et
de la fermeté, de l'habileté
&
et
un grand
savoir faire
savoir-faire
pour manier tant d'esprits fâcheux, pour en occuper d'inquiets, pour en
contenter de difficiles :
&
et
c'est ce que Henri n'
avoit
avait
pas. C'
étoit
était
un esprit mou, facile à rebuter ; faisant des amis par bonté,
&
et
les abandonnant par
foiblesse
faiblesse
; voulant
&
et
commençant avec ardeur, mais ne suivant
&
et
ne finissant rien ; hautain, mais soutenant mal ses
hauteurs ; hardi à demander,
&
et
propre à recevoir un refus ; ayant d'assez bonnes vues, mais prenant mal
ses mesures,
&
et
n'usant presque jamais qu'à contre-temps, ou de la vigueur, ou de la
souplesse, qui eussent fait en lui de fort bons effets, s'il eût mieux su les mettre en
œuvre.
Vous remarquez, sans doute, avec quelle adresse l'historien nous expose la
difficulté des circonstances
ou
où
se trouva ce prince. Le contraste des qualités qui lui eussent été nécessaires
avec celles qu'il
avoit
avait
, fait sortir davantage les traits de son
caractere
caractère
, qui sont alors sur nous le présage des malheurs qu'il éprouva pendant son
régne
règne
.
Je
lisois
lisais
il y a quelques jours, répliqua Timagène, dans un
Auteur
auteur
estimable d'ailleurs, un
caractere
caractère
qui ne me
paroît
paraît
pas à beaucoup près
aussi-bien
aussi bien
fait que ceux-là. C'est celui de Philippe duc d'Anjou,
frere
frère
de Louis XIV. Il n'est pas long ; il ne vous
ennuyera
ennuiera
pas ;
&
et
c'est peut-être là son plus grand mérite. Le voici.Hist. du
regne de Louis XIV, t. 3.
Ce prince
étoit
était
bien différent du Roi,
&
et
quoiqu'il eut beaucoup d'esprit,
&
et
qu il fut déjà parvenu à sa dix-huitieme année, il n'
avoit
avait
ni solidité ni expérience, ce qui le
rendoit
rendait
non-seulement
non seulement
incapable de gouverner, mais même de
connoître
connaître
ses véritables intérêts ; en sorte qu'il y
avoit
avait
à craindre que ses
confidens
confidents
, auxquels
ils se livroient
il se livrait
, ne lui fissent faire bien des fautes, en lui donnant de mauvais conseils.
Je ne sais pas comment on peut accuser un jeune prince de dix-huit ans de manquer
d'expérience. A-t-on droit d'en attendre à cet âge ? La solidité n'est pas non plus
le défaut ordinaire de la première jeunesse. Mais je conçois encore moins comment, avec
beaucoup d'esprit, on peut être incapable de connoître ses véritables intérêts. Tout ce
portrait se réduit à deux défauts qui appartiennent plus à l'âge qu'à la personne ;
&
et
on ne nous apprend rien, ou presque rien, des vices particuliers du prince, de
ses vertus, de ses passions : car enfin il
devoit
devait
en avoir qui lui fussent propres, comme le reste des hommes. Il semble néanmoins
que l'
Auteur
auteur
avoit
avait
un moyen bien facile de faire
connoître
connaître
le duc d'Anjou, en le comparant avec le Roi son
frere
frère
. Ses premiers mots
paroissent
paraissent
même annoncer ce dessein,
&
et
il ne
tenoit
tenait
qu'à lui de poursuivre le
parallèle
parallele
. Cette
manière
maniere
de peindre a toujours l'avantage de représenter dans un seul tableau deux hommes
illustres,
&
et
de les mettre l'un
&
et
l'autre dans un plus grand jour par l'opposition de leurs qualités réciproques.
Salluste a mieux saisi l'occasion. Quelle énergie, quelle vérité dans le beau
parallele
parallèle
qu'il fait de Caton
&
et
de César ?His genus, stras-, eloquentia propexqua* lia
fuêre : magnitudo animi par, item gloria; fed alia alii. Cxfar beneficiis ac
munificentiâ magnus habebatur ; inregrirate vitæ , Cato. Ille mansuctudine
&
et
miserteordiâ clarus fac-tu» : huic severius dignitatcm addiderat. C*«far
dando, sublcvando , ignofeendo ; Cato , nihil largiundo, glomrn adcptus est. In al-tero
miseris perfugium , in altero malis pernicies. Illius facilitas , hu)us conftan-tia
laudabatut. Poftrcmo Casser in anitnum induxerat laborare ; vigilare ; negotiis
amico-rom intentus sua negligcre; nihil denegare, quod dono dignum essec ; sibi magnum
impe-rium , exercitum, bellum novum exoptabat, ubi virtus enitcfcere posset. At Catoni
üudiuinmodeftiæ , decoris , sed maxime severitatil erar. Non divitiis cum divite , nequc
factionc Cum factiofo , sed cum ftrenuo virtute , cura modefto pudore , cum innocente
abftincnti.i certabat ; esse , quàm videri bonus malebat : ita quö minus gloriam
petcbat, eö magis ad-fequebatur. De bel. Cai.Pour la naissance,
l'âge
&
et
l'éloquence, ces deux hommes
célébres
célèbres
n'
avoient
avaient
presque aucun avantage l'un sur l'autre : même grandeur d'âme dans tous
les deux, même célébrité ; mais ils l'
avoient
avaient
méritée par des moyens bien
différens
différents
. César s'
étoit
était
fait un grand nom par ses bienfaits
&
et
sa magnificence ; Caton, par son innocence : celui-Ià
devoit
devait
son éclat à sa douceur, à sa sensibilité ; celui-ci s'
étoit
était
rendu respectable par sa sévérité. César acheta la gloire
aux prix des largesses, des
grâces
graces
, des secours de toute
espèce
espece
: Caton l'obtint par une économie inflexible. L'un
étoit
était
l'asile des malheureux ; l'autre, le fléau des
méchans
méchants
. On
aimoit
aimait
dans le premier, un
caractere
caractère
doux
&
et
traitable ; on
estimoit
estimait
dans le second, une fermeté à toute épreuve. En un mot, César s'
étoit
était
proposé de n'épargner ni veilles ni travaux pour réussir ; de se livrer
tout entier aux affaires de ses amis, même aux dépens des siennes ; de ne rien
refuser de tout ce qu'il
pouvoit
pouvait
accorder avec bienséance : il
desiroit
desirait
quelque grand emploi, le commandement d'une armée, une nouvelle guerre,
ou
où
son mérite put
paroître
paraître
avec éclat. Mais toutes les inclinations de Caton
étoient
étaient
pour la simplicité, la décence,
&
et
sur tout
surtout
pour la sévérité. Il ne
disputoit
disputait
point en opulence avec les riches, en intrigues avec les factieux ; mais
en courage avec les plus braves, en retenue avec les plus réservés, en régularité avec
les plus vertueux. Plus jaloux d'être homme de bien, que de le
paroître
paraître
, il
arrivoit
arrivait
d'autant plus surement à la gloire, qu'il la
recherchoit
recherchait
avec moins d'empressement.
Voilà ce qui s'appelle peindre les hommes. J'
apperçois
aperçois
déjà dans le premier un génie trop ambitieux
&
et
trop adroit pour ne pas arriver à la souveraine puissance ;
&
et
dans l'autre un caractère trop vertueux
&
et
trop inflexible, pour demeurer paisiblement son sujet.
Je ne vois rien, poursuivit Euphorbe, qui soit plus capable d'attacher un lecteur
intelligent aux
événemens
événements
qu'on lui raconte que ces sortes de
caracteres
caractères
. En lui faisant bien
connoître
connaître
les principaux personnages, on lui procure le plaisir de juger lui-même leurs
projets
&
et
leurs actions. Il prend parti dans leurs querelles; il s'affecte, il se
passionne en faveur de celui ci, contre celui-là. Après le pathétique, c'est cette
espece
espèce
d'ornement qui jette dans le récit historique le plus vif intérêt.
J'ai bien entendu parler du pathétique dans les
pieces
pièces
d'éloquence, interrompit Timagène ; mais je ne
soupçonnois
soupçonnais
pas qu'il trouvât sa place dans l'histoire. Je lui en
accorderois
accorderais
une tout au plus dans la tragédie
&
et
dans l'épopée.
Dans l'histoire, reprit Euphorbe, il est moins étudié, moins artificiel ; mais son
effet n'en est que plus puissant, parce qu'il est soutenu de la vérité. Il consiste à
recueuillir, avec soin, jusqu'aux moindres circonstances d'un fait propre à exciter la
compassion, à les développer avec assez d'adresse pour faire croître successivement cette
émotion, qui nous plaît même en nous arrachant des larmes. Dans la
poësie
poésie
, dans l'
éloquence
éloquence,
le pathétique n'est presque qu'un enfant de l'art : ici l'écrivain n'a rien
autre chose à faire, que de profiter habilement des
événemens
événements
, où il se présente de lui-même. Avez-vous jamais pu lire,
sans être ému, l'histoire de Coriolan dans Tite-Live, celle de Virginie, la peinture de la
consternation de Rome, après la bataille de Cannes ?
Je vous avoue mon ingratitude, répondit Timagene. En faisant ces lectures, trop occupé,
fans doute, de l'objet en lui-même, je n'ai jamais su aucun gré à l'
Auteur
auteur
des pleurs qu'il me
faisoit
faisait
verser. Je ne
songeois
songeais
pas même qu'il pût y avoir quelque part. Je lui rends maintenant toute la
reconnoissance
reconnaissance
que je lui dois. Je vois qu'il a eu soin de réunir les circonstances les plus
capables de faire impression sur moi. Mais à propos de cela, je ne vois pas pourquoi vous
avez dit
tout-à-l'heure
tout à l'heure
que, parmi les circonstances, il
falloit
fallait
recueuillir
recueillir
jusqu'aux plus
légéres
légères
. Ce choix me
paroît
paraît
peu propre à produire un grand effet.
Celui du pathétique, répartit Euphorbe, dépend
très-souvent
très souvent
de cette attention. Un geste, un coup-d'œuil, un mot, qui par eux-mêmes ne sont
rien, dans bien des occasions sont le trait perçant qui
pénétre
pénètre
jusqu'au cœur.Cyrop. l. 7. Panthée, épouse
d'Abradate,
avoit
avait
fait faire à son mari une superbe armure pour combattre dans l'armée de Cyrus
contre Crésus. Elle ne l'
avoit
avait
point prévenu de ces préparatifs. Le jour même de la bataille où ce malheureux
prince perdit la vie, Panthée lui apporte ce présent,
&
et
veut l'en revêtir de ses propres mains. Mais, en lui rendant ce tendre service,
elle laisse, malgré elle, échapper des larmes : lorsqu'elle ne peut plus embrasser ce
cher époux, elle baise encore le char sur lequel il est monté. Assurément ce sont des
objets bien peu considérables que les pleurs d'une femme,
&
et
ces démonstrations de tendresse qu'elle étend jusqu'au char, qui porte son
mari : ce sont néanmoins ces objets qui touchent, qui ébranlent dans ce récit.
Ce que vous venez de dire, répliqua Timagène, me rappelle ce fait singulier arrivé sous
l'empereur Conrad III. Ce prince
assiégeoit
assiégeait
la ville de Lansperg. Les femmes lui
envoyerent
envoyèrent
demander un saufconduit pour sortir de la ville. L'empereur l'accorda : il
fit plus ; il leur permit d'emporter avec elles ce qu'elles
pourroient
pourraient
porter de plus précieux. Qui ne
croiroit
croirait
qu'elles se
chargèrent
chargerent
de leurs pierreries
&
et
de leurs bijoux ? Point du tout. On les vit sortit
toutes portant leurs maris sur leurs épaules. Cette anecdote est bien dans le genre dont
vous parlez. Par elle-même, elle semble peu digne de la majesté de l'histoire : mais
elle laisse dans l'
âme
ame
un sentiment d'admiration
&
et
de tendresse qui la
releve
relève
au-dessus des
événemens
événements
les plus sérieux.
Ajoutons à cela, poursuivit Euphorbe, que quand il s'agit d'un homme distingué,
sur-tout
surtout
dans une occasion critique, tout nous intéresse ;
&
et
dès-lors
dès lors
rien n'est petit, rien n'est à négliger.
Révol. de Port.
Révolution de Portugal.
Vasconcellos, caché dans un armoire sous un monceau de papiers,
&
et
découvert par un signe que fit aux meurtriers une vieille servante, est un objet
plus frappant pour nous, que si on se contentoit de nous dire, qu'il fut trouvé dans son
appartement par les conjurés,
&
et
percé de mille coups.Il est question ici de Miguel de
Vasconcelos (ou Vasconcellos, 1590-1640), un homme d'État portugais. Depuis le
moment où le duc de
Montmorenci
Montmorency
est condamné à mort, jusqu'à celui où il périt sur l'
échaffaud
échafaud
, toutes ses démarches, toutes ses actions, ses paroles
sur-tout
surtout
, ses discours, tels qu'ils sont dans l'exacte vérité, sont
autant de ressorts du pathétique, qui mettent en mouvement la sensibilité.Il s'agit de Henri II de Montmorency (1595-1632), exécuté à Toulouse le 30
octobre 1632. Voyons, dans l'exemple présent, de quelle
maniere
manière
un habile historien a su profiter de ces secours, en racontant ce triste événement.
Hist. de Louis XIII
Histoire du règne de Louis XIII
par le
P.
Père
Griffer, vol. 2.
Il s'agit de l'Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de Navarre(3 vol. in-4°,
Paris: Les libraires associés, 1758), par Henri Griffet (1698-1771).
Toute la ville de Toulouse
retentissoit
retentissait
de
gémissemens
gémissements
&
et
de pleurs. Chacun
frémissait
frémissoit
à la vue de l'appareil tragique de l'exécution qui le
préparait
préparoit
: les courtisans eux-mêmes
osoient
osaient
paroître
paraître
affligés : le peuple
accouroit
accourait
en foule dans les églises pour prier Dieu de fléchir le cœur du Roi. Plusieurs
crioient
criaient
dans les rues,
grace
grâce
,
grace
grâce
, miséricorde, miséricorde ;
&
et
leurs cris se
faisoient
faisaient
entendre
jusques
jusque
dans l'archevêché où le Roi
étoit
était
logé. Le maréchal de Châtillon en prit occasion de lui dire, que les
sentimens
sentiments
de compassion
&
et
de douleur qu'il
voyoit
voyait
peints dans les
ieux
yeux
&
et
sur le visage de tous ceux qui l'
environnoient
environnaient
, l'
avertissoient
avertissaient
qu'il
feroit
ferait
plaisir à beaucoup de personnes, s'il pardonnoit au duc de
Montmorenci
Montmorency
. Je ne
serois
serais
pas roi, reprit le monarque inflexible, si j'
avois
avais
les
sentimens
sentiments
des particuliers. Le comte de Charlus
avoit
avait
été chargé d'aller demander au duc, de la part du Roi, le cordon de l'ordre du
Saint-Esprit
&
et
le bâton de maréchal de France. Lorsqu'il se fut acquitté de cette commission,
Monsieur
&
et
cher cousin, lui dit le duc, je rends volontiers
&
et
le bâton
&
et
l'ordre à mon Roi, puisqu'il juge que je suis indigne de sa
grace
grâce
. Le comte partit
aussi-tôt
aussitôt
pour aller chez le Roi, qu'il trouva occupé à jouer aux échecs avec M. de
Liancourt. Louis
avoit
avait
le déplaisir de voir que celui qui
jouoit
jouait
avec lui
&
et
tous les courtisans qui
entroient
entraient
dans le cabinet, ne
pouvoient
pouvaient
retenir leurs larmes. Sire, lui dit le comte de
Charlus, je viens de la part de M. de
Montmorenci
Montmorency
vous apporter son collier de l'ordre
&
et
son bâton de maréchal de France, dont vous l'aviez ci-devant honoré,
&
et
vous dire en
même-temps
même temps
qu'il meurt avec un sensible déplaisir de vous avoir offensé ;
&
et
que bien loin de se plaindre de la mort à laquelle il est condamné, il la
trouve trop douce par rapport au crime qu'il a commis. En prononçant ces paroles,
le comte se mit à genoux ;
&
et
embrassant les pieds du Roi, qu'il
arrosoit
arrosait
de ses larmes ; ah Sire ! lui dit-il, que votre majesté fasse
grace
grâce
à M. de
Montmorenci
Montmorency
. Ses ancêtres ont si bien servi les Rois, vos prédécesseurs :
faites-lui
grace
grâce
, Sire
.
Tous ceux qui
étoient
étaient
dans le cabinet se mirent aussi à genoux ,
&
et
demanderent
demandèrent
grace
grâce
en pleurant. Non, dit le Roi d'un air chagrin, il n'y a point de
grace
grâce
; il faut qu'il meure. On ne doit pas être fâché de voir mourir un
homme qui l'a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu'il est tombé par
sa faute dans un si grand malheur. Allez lui dire, ajoutat-il, que toute la
grace
grâce
que je puis lui faire, c'est que le bourreau ne le touchera point, qu'il ne
lui mettra point la corde sur les épaules,
&
et
qu'il ne fera que lui couper le cou. Launay, étant
aller
allé
trouver le Roi une seconde fois, ceux qui
étoient
étaient
avec le duc de
Montmorenci
Montmorency
eurent encore un moment d'espérance, qui s'évanouit à son retour....
Il me
semble que vous êtes à-peu-près dans le même état que les courtisans de Louis XIII,
&
et
que vous avez peine à retenir vos larmes. Poursuivons. Launay
étant revenu de chez le Roi, livra le duc de Montmorenci au grand-prévôt ;
&
et
le duc comprit alors qu'il n'y
avoit
avait
plus d'espérance. Il pria le
P.
Père
Arnoux
&
et
trois autres Jésuites qui l'
accompagnoient
accompagnaient
, de ne pas l'abandonner,
&
et
de lui aider àLe Grevisse permet la
construction. mourir chrétiennement. Son chirurgien s'étant approché pour lui
couper les cheveux, le duc s'
apperçut
aperçut
qu'il
étoit
était
tout en pleurs,
&
et
qu'il n'
avoit
avait
pas la force de lui rendre ce dernier devoir. Un historien dit même qu'il
s'évanouit. Le duc lui dit : Comment vous, qui m'exhortiez si
souvent à recevoir tous les maux, comme
venans
venants
de la main de Dieu, vous êtes aujourd'hui plus affligé que moi !
Consolez-vous, Lucante, je veux vous embrasser,
&
et
vous dire le dernier adieu, pendant que j'ai les mains libres. Il
l'embrassa en effet en le priant de se souvenir de lui. Il tendit ensuite ses bras à
l'exécuteur,
&
et
voulut être lié, quoiqu'on lui eût dit que le Roi l'
avoit
avait
dispensé de cette ignominie. Il souffrit patiemment que l'exécuteur lui coupât
les cheveux,
&
et
lui découvrit le col
&
et
une partie des épaules. Il s'avança ensuite, tenant un crucifix entre ses
mains, pour aller à l'
échaffaud
échafaud
. Les portes de l'hôtel-de-ville
étoient
étaient
fermées ;
&
et
il n'y avoit dans la cour que le grand-prévôt avec ses archers, le greffier du Parlement, les Capitouls
&
et
les officiers du corps de ville, qui
avoient
avaient
eu ordre d'assister à l'exécution en habit de cérémonie. Le duc en entrant
dans cette cour, remarqua la statue de Henri IV, qui est posée au-dessus de la porte
inférieure de l'
hôtel-de-ville
hôtel de ville
de Toulouse : il s'arrêta un moment pour la considérer ;
&
et
le
P.
Père
Arnoux lui ayant demandé s'il
desiroit
desirait
quelque chose : non, mon
pere
père
, lui dit-il : je
regardois
regardais
l'effigie de ce grand monarque, qui
étoit
était
un
très-bon
très bon
&
et
très-généreux
très généreux
prince, de qui j'
avois
avais
l'honneur d'être filleul. Allons, mon
pere
père
, voici le seul
&
et
le plus assuré chemin du paradis. Etant arrivé au pied de l'
échaffaud
échafaud
, il pria un des
Jésuites
jésuites
qui
accompagnoient
accompagnaient
le
P.
Père
Arnoux, de faire en sorte que sa tête ne tombât point à terre,
&
et
de la
recueuillir
recueillir
, s'il
étoit
était
possible. Il salua tous ceux qui
étoient
étaient
dans la cour,
&
et
les pria de dire au Roi qu'il
mouroit
mourait
son
très-humble
très humble
sujet,
&
et
avec un regret extrême de l'avoir offensé. II monta ensuite sur
l'échaffaud ; se mit à genoux ; baisa le crucifix, que le
P.
Père
Arnoux retira de ses mains ; reçut une
dernière
derniere
absolution,
&
et
se recommanda aux
prières
prieres
des
Jésuites
jésuites
qui l'
assistoient
assistaient
. Le billot sur lequel il
devoit
devait
recevoir le coup de la mort s'étant trouvé trop bas, il eut de la peine à s'y
appuyer, à cause de la blessure qu'il
avoit
avait
à la gorge. Il dit à I'exécuteur d'attendre pour le frapper, qu'il se fût mis
dans une situation moins douloureuse ;
&
et
lorsqu'il l'eut trouvée, frappez hardiment, lui
dit-il ;
&
et
s'écria aussitôt, Seigneur Jésus, recevez mon
ame
âme
. A peine eut-il prononcé ces paroles, que le bourreau lui trancha la
tête d'un seul coup, pendant que tous les
assistans
assistants
fondoient
fondaient
en larmes.
Outre les détails
&
et
le choix des circonstances, ses discours mêlés dans ce récit produisent le plus
grand effet sur des cœurs sensibles. Ils nous dévoilent dans cet illustre criminel une
ame
âme
tranquille
&
et
grande sous le glaive d'un bourreau,
&
et
, ce qui peut être est plus difficile encore, dans l'abbatement du repentir.
Il y a
long-temps
longtemps
, ajouta Timagène, que j'ai éprouvé pour la
première
premiere
fois, ce que peut un discours touchant pour émouvoir l'
ame
âme
. Celui que Germanicus mourant adresse à ses amis m'a coûté autrefois bien des
larmes. Je me le rappelle encore avec attendrissement.Si fato concederem, justus mihi dolor etiam adversus Deos estet, quod me
parentibus, liberis, patriæ, intra juventam præmaturo exitu raperent : nunc scelere
Pisonis
&
et
Plancinæ interceptus, ultimas preces pectoribus vestris relinquo : referatis
patri ac fratri, quibus acerbitatibus dilaceratus, quibus insidiis circumventus,
miserrimam vitam pessimâ morte finierim. Si quos spes meæ, si quos propinquus sanguis,
etiam quos invidia erga viventem movebat, inlacrymabunt, quondam florentem,
&
et
tot bellorum superstitem, mulie-[p387]bri fraude cecidisse. Erit vobis locus
querendi apud senatum, invocandi leges. Non hoc praecipuum amicorum munus est, prosequi
defunctum ignavo questu ; sed quæ voluerit, meminisse, quae mandaverit exequi. Flebunt
Germanicum etiam ignoti : vindicabitis vos, si me potius quàm fortunam meam fovebatis.
Ostendite populo Romano divi Augusti neptem, eandemque conjugem meam : numerate sex
libe-[p388]ros. Misericordia cum accusantibus erit, fingentibusque scelesta mandata aut
non credent homines, aut non ignoscent.
Tac. Annal.
Tacite, Annales,
lib. 2. c. 70.
Si je
périssois
périssais
par un accident naturel, dit ce héros, il semble que j'
aurois
aurais
un juste sujet de me plaindre des Dieux mêmes, qui par une mort prématurée m'
enleveroient
enleveraient
dans la fleur de la jeunesse à ma famille, à mes
enfans
enfants
, à ma patrie ; mais je succombe aujourd'hui sous la scélératesse de Pison
&
et
de Plancine. C'est dans vos cœurs que je dépose mes
dernières
dernieres
prières
prieres
. Allez rapporter à mon
pere
père
&
et
à mon
frwre
frère
, quels maux j'ai soufferts, quels
piéges
pièges
on m'a tendus, quelle mort cruelle a terminé la plus triste des vies. Ceux que
mes espérances où les liens du sang m'
attachoient
attachaient
, ceux même qui ne
voyoient
voyaient
mes succès qu'avec un
œuil
œil
jaloux, donneront des larmes à mes malheurs : ils s'indigneront qu'un
jeune prince au sein de la gloire, échappé à tant de hasards
&
et
de combats, soit péri par les artifices d'une femme. Que de raisons
n'aurez-vous pas de porter vos plaintes au sénat, d'invoquer ses
loix
lois
! Arroser de pleurs stériles les cendres d'un ami, n'est pas le plus
important des devoirs de l'amitié : c'est de se rappeller, c'est d'exécuter ses
dernieres
dernières
volontés. Laissez les étrangers même pleurer Germanicus ; vengez-moi,
vous, si vous étiez plus attachés à moi, qu'à ma fortune. Montrez aux Romains la
princesse mon épouse, la petite-fille d'Auguste ; présentez-Ieur six princes,
fruits de cette heureuse union : la pitié due à mes malheurs appuyera vos
accusations. Si mes ennemis s'excusent sur des ordres aussi faux que
barbares, on refusera de les croire, oùS'agit-il d'une
coquille? leur crime n'en sera pas moins condamné.
Quel
Quels
sentimens
sentiments
n'
étoient
étaient
pas capables de produire ces
dernieres
dernières
paroles, s'il est vrai qu'elles aient été prononcées par Germanicus
expirant ? Il faut pourtant avouer que ces sortes de discours, s'ils sont dénués de
circonstances pathétiques, agitent moins vivement, que le détail de ces mêmes
circonstances, quand on les
supposeroit
supposerait
arivées de tout autre secours. Il me semble encore trouver une autre différence
entre les exemples que nous avons cités. Dans le détail de la mort de Germanicus, de
Virginie, du duc de
Montmorenci
Montmorency
, je ne me sens pas affecté de la même
maniere
manière
que quand on me rapporte le trait de Panthée, ou celui des femmes de Lansperg.
Le premier sentiment a quelque chose de douloureux : il plaît ; mais la pitié
qui l'accompagne, porte avec elle une
espece
espèce
d'amertume. L'autre renferme je ne sais quoi de délicieux,
&
et
l'admiration s'y mêle avec le plus vif intérêt.
Rien n'est plus juste, que votre remarque, repartit Euphorbe. Ce
secondLe texte original est bien second, et
non pas fécond. genre de pathétique, que les Grecs nous
ont désigné sous le nom d'[grec], prouve l'empire que l'honnête
&
et
le beau ont naturellement sur nos cœurs, pour les toucher
&
et
les émouvoir. Tout ce qui est vertueux vient se peindre dans notre
ame
âme
, comme dans un miroir
fidele
fidèle
,
&
et
nous force d'admirer
&
et
d'aimer ses traits. Peut-on être insensible, par exemple, à la beauté de ce fait
raconté par Pline le naturaliste ?L. 35, ch. 10.Démétrius
fils d'Antigone, ce fameux Polyorcetes preneur de villes,
formoit
formait
le
siége
siège
de Rhodes. Protogène, peintre célèbre
demeuroit
demeurait
dans un des
fauxbourgs
faubourgs
,
&
et
se
trouvoit
trouvait
ainsi au milieu des troupes ennemies. La crainte du danger, les désordres si
communs dans un camp, le bruit inévitable dans les travaux d'un
siége
siège
, rien ne fut capable de lui faire abandonner son
attelier
atelier
;La graphie de l'original est attestée chez
Féraud.
&
et
il s'occupa de son art comme auparavant. Le prince en fut instruit. Il fut
curieux de le voir,
&
et
lui demanda la cause d'une tranquillité si rare : c'est que je sais,
répondit l'artiste, que vous faites la guerre aux Rhodiens,
&
et
non pas aux arts. Cette réponse eut tout l'effet qu'on en
pouvoit
pouvait
attendre. Démétrius fit placer une garde autour de l'
attelier
atelier
du peintre, pour le mettre en sureté ;
&
et
lui-même, il
alloit
allait
souvent, pendant le
siége
siège
, admirer les chef-d'œuvres de son pinceau.
Je vous avoue, répliqua Timagene, que ce dernier pathétique me plaît davantage que
l'autre. Le premier me
paroît
paraît
un peu
Anglois
anglais
: celui-ci au contraire me flatte agréablement en me faisant retrouver dans
moi-même les plus beaux principes de la vertu. Cet avantage se rencontre souvent aussi
dans les réflexions que fait l'historien,
&
et
dans les anecdotes frappantes qu'il rapporte à propos.
Les unes
&
et
les autres, reprit Euphorbe, sont d'un grand secours dans le récit historique,
pourvu que les anecdotes soient utiles,
&
et
que les réflexions soient vraies. Convient-il à la dignité de l'histoire de
rapporter des
événemens
événements
détachés de l'objet principal, s'ils n'apprennent rien,
&
et
par la seule raison qu'ils ont quelque chose d'amusant ou de singulier ?
Ces sortes de faits doivent être de quelque utilité à l'
Auteur
auteur
, ou du moins au lecteur.
A
À
celui-là, en lui fournissant les moyens de mettre dans un plus beau jour le
génie de quelques particuliers, ou d'un peuple entier ; à celui-ci, en lui faisant
naître des idées conformes à la vertu
&
et
aux bonnes mœurs, ou en lui dévoilant les vices
&
et
ses défauts des hommes, pour lui apprendre à s'en garantir. Comme c'est là le
plus grand fruit de l'histoire
&
et
son principal but, tout ce qui peut produire cet effet a un droit assuré d'y
être admis. L'abbé de Saint-Réal, dans ses discours sur ce genre de littérature, nous
montre quel fond inépuisable de réflexions fournissent ces anecdotes, pour nous aider à
connoître
connaître
le cœur de l'homme,
&
et
à sonder ses derniers replis. Sans m'arréter ici aux exemples qu'il cite en
assez grand nombre,
&
et
que vous pouvez consulter, je me contente de vous en rapporter deux ou trois,
que j'ai lus depuis peu dans quelques ouvrages modernes. Jagellon Roi de Pologne
faisoit
faisait
la guerre à l'ordre Teutonique.Il s'agit de Sigismond Ier le
Vieux (1467-1548),roi de Pologne, membre de la dynastie Jagellon, qui mena la guerre
entre la Pologne et les Chevaliers teutoniques (l’ordre de la Maison de sainte Marie des
Teutoniques) entre 1519 et 1521. Comme il
entendoit
entendait
la messe, on vint l'avertir coup-sur-coup que l'armée des chevaliers
avançoit
avançait
,
&
et
que déjà elle n'
étoit
était
pas bien loin. Le Roi, sans s'émouvoir, continua ses
prieres
prières
jusqu'à la fin du sacrifice. Les ennemis voyant que les
Polonois
Polonais
ne s'
ébranloient
ébranlaient
point, crurent qu'ils
avoient
avaient
peur,
&
et
leur grand maître députa au Roi de Pologne deux chevaliers, qui lui
présenterent
présentèrent
deux épées nues
&
et
ensanglantées, en lui
disant.
disant :
Fastes de la Pol. par M. Contant Dorville.
Notre chef ne craint point de vous fournir des armes, pour vous inspirer
plus de courage, sur le point d'ouvrir le combat. Si le
terrein
terrain
où vous campez vous
paroît
paraît
trop étroit
&
et
trop serré pour faire vos manœuvres, nous consentons à reculer quelques pas.
Jagellon, reprend l'
Auteur
auteur
, ne daigna pas s'offenser de cette bravade. Je suis surpris, répondit-il aux
députés, que votre grand maître se presse si fort de me rendre les armes. Je reçois
celles que vous me présentez, avec plaisir,
&
et
j'en tire un favorable augure pour le succès de cette journée. En effet,
jamais audace ne fut punie plus cruellement. De cent quarante mille soldats, dont
étoit
était
composée l'armée
Teutonique
teutonique
, cinquante mille
resterent
restèrent
sur le champ de bataille, entre lesquels on compta le grand-maître
&
et
trois
cens
cents
chevaliers ou commandeurs, outre quatorze mille prisonniers.
Desit:
limites de la citation. Si l'historien s'
étoit
était
borné, comme il
pouvoit
pouvait
le faire, à rapporter les dispositions
&
et
le succès du combat, nous aurions moins bien connu le
caractere
caractère
du Roi de Pologne,
&
et
nous aurions perdu les leçons
secretes
secrètes
que nous donnent le pieux
&
et
l'héroïque sang-froid de ce prince,
&
et
la juste punition d'une fanfaronade
tout-à-fait
tout à fait
déplacée.
Il y a véritablement une epece de satisfaction, interrompit Timagène, à voir humilier ces
hommes avantageux, dont le mérite assez communément ne consiste que dans l'admirable
opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. J'ai eu du plaisir ces jours-ci à lire, dans un journal
bien écrit, un trait sur M. de Turenne, moins sérieux que le vôtre, mais qui est bien dans
le même genre.An. litt. 1770, feuille 21.
Un petit maître étoit assis sur le théâtre à côté du grand Turenne, à lui
seul inconnu. Il s'avisa par gentillesse de lui arracher son chapeau,
&
et
de le jetter par terre. Quelqu'un l'avertit dans ce moment, qu'il ignoroit
sans doute à quel homme il se jouoit ainsi : que c'étoit le
vicomte de Turenne. Celui-ci cependant ramassa tranquillement son chapeau,
&
et
se contenta de dire à ce jeune sot, qui s'épuisoit en excuses sur ce qu'il
l'avoit pris pour un autre ; eh ! Monsieur, quand ç'eût été tout autre, votre
procédé n'en seroit pas plus louable.
Cette scene, à mon avis, étoit plus capable
d'instruire, que la piece à laquelle on étoit venu assister. Elle faisoit toucher au doigt
à quels dangers s'exposent l'orgueuil
&
et
la fatuité, qu'accompagnent d'ordinaire l'imprudence
&
et
l'étourderie. Elle nous montre d'ailleurs toute la noblesse d'une grande ame,
trop élevée au-dessus de pareilles
sotises
sottises
La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de
référence. pour s'en irriter
&
et
vouloir s'en
vanger
venger
La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de
référence.. Les meilleures instructions sont celles qu'on puise dans la conduite
des hommes. Certains traits de générosité du chevalier Bayard, la réponse qu'il fit en
mourant au connétable de Bourbon, sont des leçons qui laissent des traces plus profondes
encore dans le coeur, que dans l'esprit. Je n'oublierai jamais celle que Canut, Roi
d'Angleterre, donna un jour à ses courtisans. Ce prince étoit sur le bord de la mer. Un
flatteur s'avisa de l'appeller le Roi des Rois, le souverain de la
terre
&
et
des mers. Le héros, sans rien répondre, s'assit sur la grève. Un moment après,
voyant la marée monter, il apostropha ainsi la mer : « La terre où je suis est à
moi ;
&
et
toi-même tu es soumise à ma domination. Je te commande de n'avancer pas plus
loin,
&
et
de respecter les pieds de ton Roi. »Desit. Limites de la
citation. Cependant le flux peu respectueux n'obéissoit point
&
et
mouilloit déjà les pieds du monarque. « Vous voyez, dit alors Canut en se
tournant vers les seigneurs de sa suite, comment je suis maître de la mer. Apprenez par-là
ce que c'est que la puissance des Rois de la terre,
&
et
qu'à proprement parler, il ne faut appeller Roi que ce grand Dieu, par qui le
ciel, la terre
&
et
la mer sont gouvernés. »Rév. d'Angl. t. 1.Après ces mots, il
alla dans l'église de S. Pierre mettre sur la tête du crucifix un diadème, dont il se
servoit,
&
et
ne voulut plus le reprendre. Cependant ce Canut n'étoit ni un visionnaire, ni un
imbécille
imbécile
La graphie est attestée dans le Dictionnaire de
l'Académie (1762)..
Si j'
entreprenois
entreprenais
d'écrire l'expédition de M. de Montcalm, poursuivit Euphorbe, je n'
oublierois
oublierais
pas l'instruction que reçut d'un Cacique
Cacique est le « nom qu'on donnoit aux Princes dans le Mexique et dans
quelques régions de l'Amérique », selon le Dictionnaire de
l'Académie (1762). cet excellent officier dans un moment de
colere
colère
, à laquelle il s'
étoit
était
livré contre sa coutume. « Tu es maître, dit l'indien,
&
et
tu te fâches ! » Quels traits de
lumiere
lumière
partent de ce peu de mots ! Il n'est presque point d'anecdote, qui puisse
entrer en
parallelle
parallèle
avec celle-là, si ce n'est peut-être la réponse de M. Fabert, depuis maréchal de
France, à M. de Cinqmars.Il s'agit de Abraham (de) Fabert d'Esternay
(1599-1662), lieutenant général puis maréchal de France, et de Henri Coiffier de Ruzé
(1620-1642), marquis de Cinq-Mars, qui mena une conspiration contre
Richelieu.
Vous parlez sans doute, reprit Timagene, de celle que ce brave
&
et
vertueux guerrier fit au grand écuyer, lorsque ce dernier lui fit part de la
conspiration qu'il
avoit
avait
formée contre le cardinal de Richelieu,
&
et
qu'il voulut l'engager dans ce complot. Vous m'obligeriez de me la
rappeller ; car je vous avoue qu'il ne m'en reste plus qu'un souvenir confus.
Elle mérite assurément, repartit Euphorbe, de n'être point oubliée ;car elle met
dans tout son jour la franchise de ce grand homme. La voici :
Hist. de Louis XIII
Histoire de Louis XIII
,
tom.
tome
troisieme
troisième
.
J'ai pour maxime d'entrer dans les intérêts de mes amis, jamais dans
leurs passions. Quiconque me méprise assez , pour exiger de moi ce
que je crois contraire à mon honneur
&
et
à mon devoir, me dispense par cette insulte des égards
&
et
de la considération que je lui dois.
Dans l'original,
les guillemets initiaux manquent.
Si j'
étois
étais
disciple de Pythagore, continua Timagène, je me
persuaderois
persuaderais
que l'
ame
âme
du chevalier Dayard
étoit
était
venue animer le corps de M. Fabert, tant je trouve de ressemblance entre les
vertus de ces deux grands hommes. Même droiture, même fidélité, même franchise :
&
et
tout cela se montre dans la réponse que vous venez de rapporter. Quand on a de
pareilles anecdotes à raconter, il est sage, je crois, de supprimer toutes réflexions. Le
simple récit en fait naître assez : ce qu'on
pourroit
pourrait
ajouter ne
feroit
ferait
que distraire,
&
et
rallentir
ralentir
l'impression naturelle des objets.
N'avez-vous pas remarqué, ajouta Euphorbe, ce qui arrive souvent dans la
conversation ? Si un particulier dit un bon mot,
&
et
qu'il s'avise d'en rire le premier, la compagnie garde le sérieux. La
plaisanterie ne réussit que quand celui qui en est l'auteur,
paroît
paraît
n'y prendre presque aucune part. Il en est de même dans ces saillies de génie ou
de vertu, dont nous parlons. On s'indispose contre un historien, qui
veut nous endoctriner mal-à-propos. Mais il est des
événemens
événements
, des détails même d'une nature toute différente. Ils demandent d'être
éclaircis ;
&
et
d'ailleurs tous les lecteurs ne sont pas toujours capables de tirer les
conséquences des faits qu'on leur met sous les
ieux
yeux
. Dans ces circonstances, l'historien remplit son objet lorsqu'il entremêle dans
son récit quelques réflexions propres à lui donner du jour. Mais pour cela, il faut
quelles
qu'elles
soient vraies : car, comme dit un
Auteur
auteur
,
Man. de bien penser
Père Bouhours, Manière de bien penser dans les ouvrages
d'esprit.
.
rien n'est plus irrégulier que de penser faux sur des
événemens
événements
véritables.
Rien de plus vrai, par exemple, que celle-ci : communi naturæ vitio fit, ut latitantibus
&
et
incognitis rebus mugis confidamus
&
et
vehementius exterreamur
Caesar de bello civ. lib.
2.. Il suffit en effet de consulter l'expérience, pour convenir que c'est une
foiblesse
faiblesse
naturelle à presque tous les hommes, de s'
allarmer
alarmer
plus vivement ou de se rassurer davantage dans les
événemens
événements
dont ils ignorent les causes, que dans tout autre.
La
reflexion
réflexion
de votre
Auteur
auteur
, répliqua Timagène, m'afflige : elle est humiliante pour l'humanité. J'aime
mieux celle de
Valere
Valère
Maxime,Valère Maxime (Valerius Maximus, premier siècle après
J.-C.), historien et moraliste romain. à l'occasion de Tigranes Roi d'Arménie,
dans l'entrevue qu'il eut avec Pompée, après sa défaite.Val. max. l.
5. c. 1.Ce prince s'étant
jetté
jeté
aux pieds de son vainqueur, celui-ci le releva,
&
et
lui rendit sa couronne, jugeant, dit l'historien, qu'il
étoit
était
aussi beau de faire des Rois, que de les vaincre : aeque
pulchrum esse judicans
&
et
vincere reges
&
et
facere.
Je sais, poursuivit Euphorbe, qu'on peut, sans vous déplaire, n'être pas toujours de
votre avis. Ainsi, je ne crains point de remarquer que la réflexion de
Valere
Valère
Maxime porte avec elle un air d'appareil
&
et
des prétentions à l'esprit, que n'a point celle de César. L'une semble se
proposer d'instruire son lecteur, l'autre de célébrer son
Auteur
auteur
. Et vous conviendrez que l'utilité est le plus grand mérite d'une réflexion.
Nous en avons une dans Tacite où cet avantage est frappant. Après avoir remarqué avec
quelle adresse Agricola
avoit
avait
su se ménager sous l'empire de Domitien,
&
et
adoucir le
caractere
caractère
farouche
&
et
sanguinaire de ce tyran, l'historien ajoute :Sciant
quibus moris illicita mirari, posse etiam sub malis principibus magnos viros esse,
obsequiumque ac modestiam, si industria ac vigor adsint, eò laudis excedere, quò
plerique per abrupta, sed in nullum reipublicae usum, ambitiosâ morte inclaruerunt. In vitae Agric. cap. 42.
Que ceux qui bornent leur admiration aux entreprises audacieuses
&
et
téméraires, apprennent, par son exemple, qu'il peut y avoir de grands hommes
sous de mauvais princes,
&
et
que la soumission
&
et
la modération, si elles sont soutenues d'une vigueur
&
et
d'une activité propres aux grandes affaires, peuvent arriver au même point de
gloire où sont arrivés la plupart des autres, par des, procédés hardis
&
et
violens
violents
,
&
et
par une mort éclatante, mais inutile à la république.
L'
Auteur
auteur
nous présente ici le plus beau fruit du sujet qu'il traite. C'est avec le même
succès que l'abbé de Vertot, après avoir peint l'obstination de D. Sebastien à faire la
guerre en Afrique, contre l'avis de son conseil,
insere
insère
ce peu de mots dans son récit :
Révol. de Port.
Révolution de Portugal.
Comme si la souveraine puissance
donnoit
donnait
une souveraineté de raison.
Ce sont là des leçons utiles
&
et
bien placées.
Vous mériteriez-bien en effet, reprit Timagène, que je prisse un peu d'humeur contre
vous. Vous faites
main-basse
main basse
impitoyablement sur tout ce qui a quelque apparence d'esprit. Vous voulez donc
le bannir
entièrement
entierement
de l'histoire ?
Je ne dis pas cela, répondit Euphorbe. Je ne prétends point exclure le morceau que vous
avez cité de
Valere
Valère
Maxime, ni même le condamner. J'établis seulement une comparaison entre les deux
phrases dont il s'agit ;
&
et
je crois que celle de César mérite mieux le nom de réflexion, que celle de
Valere
Valère
Maxime. Changeons les livrées de cette
derniere
dernière
; elle trouvera sa place parmi les pensées, qui sont un des principaux
ornemens
ornements
du récit historique :
&
et
celle que vous venez de
rappeller
rappeler
, a droit assurément d'être distinguée parmi les plus belles. Cela n'est-il pas
suffisant pour faire ma paix avec vous ?
Vous la faites un peu en vainqueur, repartit Timagène. Mais je
renoncerois
renoncerais
plutôt à tous les écrivains du monde, que d'être en guerre avec vous. Quelque
nom que vous donniez à ce qu'a dit
Valere
Valère
Maxime, dès que vous l'admettez dans l'histoire, je suis content. Ce sera donc
une pensée,
&
et
même une belle pensée.
A
À
Dieu ne plaise, poursuivit Euphorbe, que je bannisse de l'histoire cette
espèce
espece
d'ornement. Elle y produit le même effet que les fleurs dans un vaste parterre.
On varie, on releve un récit trop sérieux ou trop uniforme, par quelques pensées nobles,
délicates, pathétiques, ou même sublimes : car, comme nous l'avons déjà remarqué
après le
P.
Père
Rapin, le grand dans l'objet joint à la simplicité dans
l'expression, forme souvent le sublime ;
&
et
ces deux choses conviennent parfaitement au récit historique. D'où vous
conclurez aisément que ces sortes de pensées dont nous nous sommes déjà entretenus,
peuvent trouver place dans l'histoire,
&
et
qu'on peut leur appliquer tout ce que nous en avons deja dit en général.
Je viens de lire, reprit Timagène, dans une description du triomphe de Constantin, après
sa victoire sur Maxence, une pensée bien noble
&
et
bien frappante, à l'occasion de la tête du tyran que l'on
portoit
portait
dans ce triomphe.
Suberat adhuc saevitia,
&
et
horrendae frontis minas mors ipsa non vicerat.
Nazaire, panég. de Const.
le Grand.
Dans ses
ieux
yeux
éteints, dit l'orateur, on
démêloit
démêlait
encore la barbarie
&
et
la cruauté ;
&
et
la mort même n'
avoit
avait
pu adoucir l'air farouche
&
et
menaçant de son front.
Cette pensée, repartit Euphorbe,
figureroit
figurerait
aussi-bien
aussi bien
dans une histoire que dans un panégyrique. Elle est pleine de grandeur
&
et
de majesté, sans avoir d'enflure. Elle n'a point l'affectation de celle de
Florus, dans sa description de la bataille de Tarente. Non content d'avoir dit des soldats
tués dans ce combat,Relictae in vultibus minae,
&
et
in ipsâ morte ira vivebat.
leur front
portoit
portait
encore un air menaçant, il ajoute,
&
et
leur fureur
vivoit
vivait
après leur mort.
Celle-ci m'en rappelle une autre de Paterculus, qui est à
peu-près
peu près
dans le même goût.
A
À
l'occasion du corps de Pompée inhumé sur le rivage,
&
et
couvert d'un peu de sable, il s'exprime ainsi ;In tantum in illo riro discordante for-[p404]tunâ, ut cui modò ad
victoriam terra defuerat, deesset ad sepulturam
. Vel. Paterc. lib. 2.
dans ce grand'homme la fortune fut bien peu d'accord avec elle-même.
Cette même terre, qui peu de temps auparavant, n'
avoit
avait
pas suffi à ses victoires
manquoit
manquait
alors à sa sépulture.
Voilà bien de la recherche ; mais, est-ce là du
beau ? Au reste, pour vous avouer mon goût particulier, les pensées dont je fais le
plus de cas, sont celles qu'on nomme délicates.
Si j'ai bonne mémoire, interrompit Timagène, nous avons dit que la pensée délicate
étoit
était
celle qui
procuroit
procurait
à l'esprit un charme secret, en lui faisant concevoir beaucoup plus qu'elle ne
sembloit
semblait
exprimer.Voir le cinquième entretien, pages 267-268. Il sera question à nouveau de la pensée délicate au onzième entretien, pages 565-566. Vous-en rappelleriez-vous
quelques-unes de ce genre ?
Elles ne sont pas fort communes, répondit Euphorbe. Tacite nous en fournira un exemple.
En parlant de Galba, il dit ;Major privato visus
dum privatus fuit ; [p405]
&
et
omnium consensu capax imperii, nisi imperasset.
Tant que ce prince fut simple particulier, il parut au-dessus de son
état ;
&
et
tout l'univers l'eut jugé digne du trône, s'il n'y fut jamais monté.
C'est
ce qu'a répété un de nos
poëtes
poètes
à l'occasion de Henri III.
Telle brille au second rang, qui s'
éclypse
éclipse
au premier.
Je me rappelle encore d'avoir vu quelque part cette pensée, au sujet
de Louis XIV. Il ne fait la guerre, que pour rendre les peuples heureux,
en se les asujettissant,
&
et
il a trouvé dans la victoire quelque chose de plus glorieux que la victoire
même.
Il ne faut qu une attention médiocre, pour appercevoir la richesse
&
et
la fécondité de ces pensées. Celle de Tacite, par exemple, me fait concevoir que
des
talens
talents
&
et
des vertus propres à établir la réputation d'un particulier, ne suffisent pas à
un souverain : elle m'apprend encore que le desir de s'avancer porte souvent les
hommes à une
espece
espèce
d'héroïsme, dont ils ne sont plus capables, lorsqu'ils ont obtenu l'objet de
leurs vœux.
Ajoutons donc aussi, répliqua Timagène, que ces sortes de pensées ornent la diction,
&
et
qu'elles sont une des principales sources de la
beauté stile
beauté du style
L'ommission de du, dans
l'original, est corrigée dans les errata de l'édition originale,
en fin du volume.;
&
et
combien d'ouvrages historiques doivent au
stile
style
leur principal succès !
Ce succès n'a rien d'étonnant, dit Euphorbe, si le
stile
style
a les qualités que demande Cicéron :Nihil est in historiâ purâ
&
et
illustri brevitate dulcius. Lib. de clar. orat. c.
120. s'il est clair, s'il est noble, s'il est concis, il porte avec lui un charme
invincible.
A
À
ce que dit ici l'orateur Romain joignons une autre qualité ; celle d'être
proportionné au sujet que l'on traite, c'est-à-dire, vif
&
et
animé dans les effets des passions violentes ; léger dans les sujets
riants ; rapide
&
et
coupé dans ceux où l'action est prompte
&
et
intéresse par sa célérité ; mais jamais affecté ni ampoulé.
Je crois avoir lu
dernierement
dernièrement
, reprit Timagène, un morceau d'histoire bien propre à servir d'exemple dans
cette
espece
espèce
de
stile
style
rapide, dont vous venez de parler. Je vais le chercher dans l'
Auteur
auteur
: vous en jugerez vous-même. Il s'agit de la conquête de la Normandie toute
entiere
entière
, faite par Charles VII, Roi de France, sur Henri VI, Roi d'Angleterre. Le Roi
n'eut besoin que de treize mois pour terminer cette expédition,
&
et
l'historien n'emploie que trois pages pour la raconter.
Révol. d'Angl.
Révolutions d'Angleterre,
t. 2.
Brezé, dit-il, prit d'abord le Pont-de-l'Arche ; Robert de Beuil, surnommé Floquet, bailli d'Evreux, prit Conches
&
et
Verneuil. Un
meûnier
meunier
qu'un
Anglois
anglais
bâtit,Desit. livra cette
derniere
dernière
place, l'une des plus fortes de la province. Sur quoi Charles ayant partagé
ses troupes en divers petits corps, les fit entrer en même temps dans le pays par divers
endroits, sous la conduite du Connétable, des ducs de Bretagne
&
et
d'Alençon, des comtes de Dunois, de Clermont, d'Eu, de Nevers, de Saint Pol,
qui, en peu de mois, réduisirent sous l'obéissance du Roi tout ce qui ne
demandoit
demandait
pas sa présence. Pendant ce temps-là, ce monarque
formoit
formait
une armée à Louviers, où le Roi de Sicile
&
et
le duc du Maine l'
étoient
étaient
venu joindre avec leurs troupes auxquelles le comte de Dunois, qu'il fit son
lieutenant-général, ayant aussi joint les siennes, on marcha vers Rouen, que le Roi
avoit
avait
résolu d'assiéger. Rouen
étoit
était
bien pourvu d'Anglois : le régent y
étoit
était
en personne,
&
et
Talbot, qui
valoit
valait
une armée, s'y
étoit
était
renfermé avec lui : mais à la vue du Roi légitime, les
habitans
habitants
étant entrés en différend avec les
Anglois
anglais
, se
cantonnerent
cantonnèrent
,
traiterent
traitèrent
avec Charles,
&
et
se mutinant enfin tout-à-fait,
pousserent
poussèrent
la garnison,
&
et
l'
obligerent
obligèrent
à se renfermer dans le vieux palais, où le comte de Dunois l'ayant attaquée,
elle se rendit par composition après quelques jours de résistance. Le duc de Sommerset
se retira avec les siens en basse-Normandie,
&
et
Talbot demeura en otage de cinquante mille écus d'or que le Régent
devoit
devait
payer au Roi par un des articles de la capitulation. Charles ayant fait son
entrée dans Rouen, poussa ses conquêtes au pays de Caux, où Harfleur l'arrêta ;
mais il le prit,
&
et
le reste plia devant lui. L'hiver qui se
faisoit
faisait
sentir, n'empêcha pas l'armée victorieuse, animée par l'exemple de son Roi, de
passer la seine
&
et
d'assiéger Honfleur, où un gouverneur opiniâtre soutint le
siége
siège
assez
long-temps
longtemps
. On prit la place par composition le dix-
huitieme
huitième
de février. La bataille de Formigny, hâta la prise de ce qui
restoit
restait
de villes à réduire en basse-Normandie,
&
et
abrégea fort la conquête. Le Connétable
&
et
le comte de Clermont s'
étoient
étaient
réunis à propos près de cette bourgade, située entre Carentan
&
et
Bayeux, pour s'opposer à Thomas Tyrel, nouvellement arrivé d'
Angletterre
Angleterre
avec environ trois mille hommes, auxquels s'étant joint d'autres
troupes tirées des garnisons d'alentour, il s'en
étoit
était
formé une armée, qui
tenoit
tenait
la campagne
&
et
reprenoit
reprenait
des villes. Lisieux
&
et
Valognes
avoient
avaient
reçu Tyrel, qui
menaçoit
menaçait
de plus grands progrès, lorsque le comte
&
et
le Connétable l'ayant heureusement rencontré au lieu que je viens de nommer,
quoique beaucoup inférieurs en nombre, lui
livrerent
livrèrent
bataille, le défirent, lui tuèrent près de cinq mille hommes, en prirent
quatorze cent prisonniers, du nombre desquels il fut lui-même,
&
et
ne perdirent que six soldats, circonstance qui fit passer cet événement pour
miraculeux. Cette journée fut le coup fatal qui acheva de ruiner les forces des
Anglois
anglais
en Normandie. De Formigny l'armée victorieuse se rendit à Caen, où le Roi se
trouva,
&
et
rassembla toutes ses troupes, la prise de cette ville étant une affaire
décisive, qu'il ne
falloit
fallait
pas laisser languir. Le duc de Sommerset défendit Caen en personne, comme il
avoit
avait
défendu Rouen,
&
et
le rendit de même par composition. Après quoi peu de places
résisterent
résistèrent
, hormis Cherbourg, qu'on attaqua la
derniere
dernière
; mais qui capitula enfin comme les autres, après un mois de
siége
siège
, par lequel finit la conquête, environ le milieu du mois d'
Août
août
de l'année 1450.
Assurément cet historien a été plus heureux que
Pélisson
Pellisson-
Fontanier ; car il a trouvé un
Pegase
Pégase
assez prompt pour suivre son héros.Il s'agit de Paul
Pellisson-Fontanier (1624-1693), homme de lettres français, et auteur d'une Histoire de l’Académie française depuis son établissement jusqu’en
1652 (2 vols., 1653).
Sa course
seroit
serait
encore plus rapide, repartit Euphorbe, si ses phrases
étoient
étaient
un peu moins longues :
&
et
peut-être
par-là
par là
remarqueroit
remarquerait
-on moins aussi quelques négligences dans l'expression, qui font peine dans ce
morceau. Au surplus, cette rapidité de
stile
style
n'est avantageuse que dans certains cas particuliers. Les autres qualités dont
nous avons parlé, sont d'un usage plus ordinaire. Il n'est point de récit qui ne doive
avoir un
caractere
caractère
particulier, analogue au sujet qu'il détaille,
&
et
c'est
sur-tout
surtout
par ce rapport qu'il plaît à l'imagination. Les muses d'Hérodote
auroient
auraient
plus de
grace
grâce
, si elles
étoient
étaient
moins ornées
&
et
moins verbeuses : Thucidide au contraire, n'a rien de superflu : mais
je vois peu de
modeles
modèles
plus parfaits en ce genre que CésarDe bello Gal. lib.
2.,
sur-tout
surtout
dans le récit qu'il nous fait de son expédition contre les
Belges, etDe bello civ. lib. 3. dans la description de cette
fameuse journée, qui lui soumit Pompée et l'univers. Quelle noble vivacité, quelle chaleur
de
stile
style
, et en
même-temps
même temps
quelle exactitude ! Quelle clarté et quelle sagesse ! C'est un mérite
bien rare, que de savoir exécuter et raconter parfaitement d'aussi grandes choses. Mais,
si je ne me trompe, j'entends un équipage qui entre dans la cour. Voilà encore
quelqu'importun qui vient nous interrompre.
Allez, reprit Timagène, recevoir votre compagnie. Je vais m'amuser ici à relire les deux
endroits de César que vous venez de citer, et je vous rejoindrai après les premiers
complimens
compliments
.