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    <fileDesc>
      <titleStmt>
        <title>"Préface" de : Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition
          électronique.</title>
        <author>François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794)</author>
        <editor>Christof Schöch</editor>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>Version 0.7, 09/2014</edition>
      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <p>Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/
          sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition
          électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.</p>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl>
          <author>Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794)</author>
          <title>Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter</title>
          <pubPlace>Paris</pubPlace>
          <publisher>Charles-Pierrre Berton</publisher>
          <date>1776</date>
          <extent>Format in-12, X-725 pages.</extent>
        </bibl>
      </sourceDesc>
    </fileDesc>
    <encodingDesc>
      <projectDesc>
        <p>Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le
          récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.
        </p>
      </projectDesc>
      <editorialDecl>
        <p>L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles,
          abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées,
          abréviations explicitées).</p>
      </editorialDecl>
    </encodingDesc>
    <revisionDesc>
      <change when="2010-01-07" who="Christof Schöch">Transfer to TEI-Lite.</change>
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        publication.</change>
    </revisionDesc>
  </teiHeader>
  <text>
    <body>
      <div type="chapter" xml:id="essai00">
        <head>PRÉFACE.</head>
        <p>L’amour du <choice>
            <orig>Récit</orig>
            <reg>récit</reg>
          </choice> est, pour ainsi dire, une passion naturelle à l’homme. Observez cet enfant, dont
          le corps chancelant peut à peine se soutenir encore sans le secours d’une main <choice>
            <orig>étrangere</orig>
            <reg>étrangère</reg>
          </choice>&#160;; s’il est question d’entendre raconter il quitte brusquement ses jeux, ses <choice>
            <orig>amusemens</orig>
            <reg>amusements</reg>
          </choice>&#160;; il s’attache à la personne qui parle&#160;; les <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> fixés <choice>
            <sic>sur sur</sic>
            <corr>sur</corr>
          </choice> sa bouche, il demeure immobile&#160;; rien n’est capable de le distraire. <choice>
            <orig>Aussi-tôt</orig>
            <reg>Aussitôt</reg>
          </choice> que la <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice> histoire est finie, il en désire, il en demande une autre. Il est malheureux,
          sans doute, que cette <pb n="ii" xml:id="P002"/> avidité ne soit communément rassasiée que
          du faux, du ridicule, de l’incroyable répandus dans les contes, dont on amuse ce premier
          âge. Quel profit ne <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice>-on pas faire de cette curiosité pour <choice>
            <orig>jetter</orig>
            <reg>jeter</reg>
          </choice> dans ces jeunes esprits les semences du beau <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de l’honnête&#160;; pour y graver, par la main du plaisir, des principes puisés
          dans cette religion toute divine, qui les <choice>
            <orig>reconnoît</orig>
            <reg>reconnaît</reg>
          </choice> déjà pour ses <choice>
            <orig>enfans</orig>
            <reg>enfants</reg>
          </choice>&#160;? Les <choice>
            <orig>fables</orig>
            <reg><hi rend="italic">Fables</hi></reg>
          </choice> de <choice>
            <orig>la Fontaine</orig>
            <reg>La Fontaine</reg>
          </choice>, qu’on leur met en main, sont un excellent livre, sans doute. Mais l’expérience
          a dû nous apprendre, qu’elles sont au-dessus de leur portée, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que l’obligation qu’on leur impose de les imprimer dans leur mémoire, sans les
          entendre, suffit quelquefois pour les dégoûter de les lire dans un âge plus formé, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus capable d’en tirer quelque utilité. Ne <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice>-il pas à désirer qu’une plume <pb n="iii" xml:id="P003"/> habile et zélée pour
          le bien public fît un recueil de faits <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d’anecdotes vraies, intéressantes, extraites de nos meilleurs historiens, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> propres à inspirer le goût de toutes les vertus morales <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> chrétiennes, ainsi que l’horreur du vice<choice>
            <sic>.</sic>
            <corr>&#160;?</corr>
          </choice> Ce petit ouvrage écrit d’une <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> simple <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> naïve, <choice>
            <orig>serviroit</orig>
            <reg>servirait</reg>
          </choice> d’abord aux personnes chargées de cette tendre enfance. Elles se <choice>
            <orig>nourriroient</orig>
            <reg>nourriraient</reg>
          </choice> elles-mêmes de ce trésor, pour le faire passer ensuite dans l’âme de leurs
          élèves. Ceux-ci bientôt après en <choice>
            <orig>jouiroient</orig>
            <reg>jouiraient</reg>
          </choice> par eux-mêmes&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ce prélude les <choice>
            <orig>conduiroit</orig>
            <reg>conduirait</reg>
          </choice>, sans peine, à des lectures plus sérieuses.</p>
        <p>Cette inclination pour le récit n’est pas un <choice>
            <orig>privilége</orig>
            <reg>privilège</reg>
          </choice> de l’enfance&#160;: elle nous accompagne pendant toute notre vie. Dans tous les
          états, l’art de raconter est un de nos <choice>
            <orig>amusemens</orig>
            <reg>amusements</reg>
          </choice>
          <pb n="iv" xml:id="P004"/>les plus délicieux&#160;; il assaisonne tous nos plaisirs. Il
          nous instruit même <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> nous forme.<note resp="author">Nescire quid <choice>
              <orig>antea</orig>
              <reg>ante</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>quàm</orig>
              <reg>quam</reg>
            </choice> natus sis, acciderit, id est semper esse puerum. Quid enim est ætas hominis,
            nisi <choice>
              <orig>quum</orig>
              <reg>ea</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>memoriâ</orig>
              <reg>memoria</reg>
            </choice> rerum veterum cum superiorum ætate contexitur. <choice>
              <orig><hi rend="italic">Cic. orator. c.</hi> 21</orig>
              <reg>Cicéron, <hi rend="italic">Orator</hi>, ch. 21</reg>
            </choice>.</note><note resp="editor">Cicéron, <hi rend="italic">Orator ad Brutum</hi>,
            section XXXIV/120 (voir <ref target="/node/20">bibliographie</ref>). Dans le passage
            d’où provient la citation, Cicéron développe l’image de l’<hi rend="italic">orator
              perfectus</hi>, qui doit être instruit dans des domaines divers, dont la dialectique
            et la logique (113-117), l’éthique et la physique (118-119), le droit et l’histoire
            (120). Bérardier cite une phrase tirée du passage sur l’utilité des connaissances dans
            le domaine de l’histoire. - Bérardier omet à juste titre l’<hi rend="italic">autem</hi>
            de l’original (Nescire autem quid...) puisqu’il extrait la phrase de son contexte. La
            variante du texte en <hi rend="italic">nisi ea</hi> au lieu de <hi rend="italic">nisi
              quum</hi>, que la plupart des éditions critiques proposent, ne change pas le sens du
            passage, mais indique que Bérardier semble avoir utilisé une édition du texte qui
            maintient un texte qui n’est présent que dans un seul codex datant du IXe siècle. Le
            signe diacritique dans <hi rend="italic">memoriâ</hi> semble indiquer, ici, que la
            voyelle est longue et qu’il s’agit donc d’un ablatif. (tu)</note>&#160;<q rend="inline"
            >Ignorer, dit Cicéron, ce qui s’est fait avant nous, c’est être toujours enfant.
            Qu’est-ce en effet que la durée de l’homme, si le souvenir des choses passées n’unit
            point sa vie avec les temps qui l’ont précédé&#160;?</q> Il <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> inutile de s’étendre ici sur les avantages infinis de l’histoire, de la fable <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des autres objets du récit. Mille autres les ont détaillés, dans tous les temps.
          Mais il est nécessaire d’en conclure, qu’un genre de littérature si propre à contribuer à
          la douceur de notre vie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <pb n="v" xml:id="P005"/> même à la perfection de nos mœurs, mérite une attention <choice>
            <orig>particuliere</orig>
            <reg>particulière</reg>
          </choice>. Les défauts d’un ouvrage le rendent ordinairement stérile&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus encore dans notre <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice>, que dans tout autre. Souvent on y considère moins le sujet dont l’auteur s’est
          occupé, que la <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> dont il est écrit.</p>
        <p>On <choice>
            <orig>sçait</orig>
            <reg>sait</reg>
          </choice> assez quelle influence a sur les esprits la <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> de raconter. L’art de présenter les faits d’un certain côté, d’affaiblir
          certaines circonstances <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d’en fortifier d’autres, sans altérer essentiellement la vérité, enfin d’y
          insérer quelques courtes réflexions, fait voir aux lecteurs les objets revêtus des mêmes
          couleurs sous lesquelles le préjugé ou l’entêtement les montre à l’écrivain lui-même.
          C’est ainsi que <choice>
            <orig>Rapin Thoiras</orig>
            <reg>Rapin de Thoyras</reg>
          </choice><note resp="author"><choice>
              <orig>Dissert. sur les Wigs &amp; les Toris</orig>
              <reg><hi rend="italic">Dissertation sur les whigs et les torys</hi></reg>
            </choice>.</note> invective <pb n="vi" xml:id="P006"/>contre Laud, <choice>
            <orig>archevêque</orig>
            <reg>Archevêque</reg>
          </choice> de Cantorbéry, qui <choice>
            <orig>prêchoit</orig>
            <reg>prêchait</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig><hi rend="italic">l’Obéissance passive</hi></orig>
            <reg><hi rend="italic">l’obéissance passive</hi></reg>
          </choice>, sous le <choice>
            <orig>régne</orig>
            <reg>règne</reg>
          </choice> de Charles premier,<note resp="editor">La <hi rend="italic">Dissertation sur les
              whigs et les torys</hi>, par Paul Rapin de Thoyras (1661-1724), parut en 1717 (voir
              <ref target="/node/20">bibliographie</ref>). Il y est question de William Laud
            (1573–1645), archevêque de Cantorbéry de 1633 à 1645. Sur William Laud, on peut
            consulter l’article de Pierre Lurbe, «&#160;Théologie et ecclésiologie chez William Laud
            (1573-1645), archevêque de Cantorbéry&#160;», 2009 (voir <ref target="/node/21"
              >bibliographie</ref>).</note>&#160;<choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que l’<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> du <choice>
            <orig>Dictionnaire Historique</orig>
            <reg><hi rend="italic">Dictionnaire historique</hi></reg>
          </choice> en six <choice>
            <abbr><hi rend="italic">vol.</hi></abbr>
            <expan>volumes</expan>
          </choice><note resp="author"><choice>
              <abbr>Art.</abbr>
              <expan>Article</expan>
            </choice> Thomas de Cantorbéry.</note> se croit obligé d’excuser la résistance de <choice>
            <abbr>S.</abbr>
            <expan>Saint</expan>
          </choice> Thomas, archevêque de la même ville, aux entreprises de Henri II.<note
            resp="editor">Thomas Becket, dit saint Thomas de Cantorbéry (1117-1170). Archevêque de
            Cantorbéry de 1162 à 1170, il chercha à soustraire l’Église catholique romaine de la
            jurisdiction et du contrôle royaux et fut assassiné par des proches du roi en 1170. Le
            dictionnaire en question n’a pas pu être identifié.</note>&#160; Il est donc essentiel,
          même aux lecteurs, de ne pas ignorer les principes <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> qui concourent à former un bon récit, soit pour éviter de semblables <choice>
            <orig>écueuils</orig>
            <reg>écueils</reg>
          </choice>, lorsqu’ils sont obligés de raconter, soit pour ne point donner dans les <choice>
            <orig>piéges</orig>
            <reg>pièges</reg>
          </choice> où conduit souvent la lecture. À l’aide de ces <choice>
            <orig>lumiéres</orig>
            <reg>lumières</reg>
          </choice> on découvre l’artifice, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l’on punit l’<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> qui veut nous tromper, par le mépris qu’il mérite.</p>
        <p><pb n="vii" xml:id="P007"/>Cependant, comme les préceptes ont toujours un air <choice>
            <orig>austere</orig>
            <reg>austère</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> semblent menacer de quelque <choice>
            <orig>sécheresse</orig>
            <reg>sècheresse</reg>
          </choice>, il a fallu les déguiser sous le voile d’une conversation dont le <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> familier <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sans appareil n’<choice>
            <orig>auroit</orig>
            <reg>aurait</reg>
          </choice> rien de rebutant, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice> même procurer un utile délassement. La liberté de ce <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> doit autoriser quelques digressions, qui se rencontrent dans ces entretiens, sur
          des objets qui semblent se présenter d’eux-mêmes. Elles peuvent contribuer à la variété, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
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          vous serez renvoyé dans la classe des hommes crédules&#160;; <choice>
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          du goût, que des <choice>
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</TEI>
"Préface" de : Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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PRÉFACE.

L’amour du Récit récit est, pour ainsi dire, une passion naturelle à l’homme. Observez cet enfant, dont le corps chancelant peut à peine se soutenir encore sans le secours d’une main étrangere étrangère  ; s’il est question d’entendre raconter il quitte brusquement ses jeux, ses amusemens amusements  ; il s’attache à la personne qui parle ; les ieux yeux fixés sur sur sur sa bouche, il demeure immobile ; rien n’est capable de le distraire. Aussi-tôt Aussitôt que la premiere première histoire est finie, il en désire, il en demande une autre. Il est malheureux, sans doute, que cette avidité ne soit communément rassasiée que du faux, du ridicule, de l’incroyable répandus dans les contes, dont on amuse ce premier âge. Quel profit ne pourroit pourrait -on pas faire de cette curiosité pour jetter jeter dans ces jeunes esprits les semences du beau & et de l’honnête ; pour y graver, par la main du plaisir, des principes puisés dans cette religion toute divine, qui les reconnoît reconnaît déjà pour ses enfans enfants  ? Les fables Fables de la Fontaine La Fontaine , qu’on leur met en main, sont un excellent livre, sans doute. Mais l’expérience a dû nous apprendre, qu’elles sont au-dessus de leur portée, & et que l’obligation qu’on leur impose de les imprimer dans leur mémoire, sans les entendre, suffit quelquefois pour les dégoûter de les lire dans un âge plus formé, & et plus capable d’en tirer quelque utilité. Ne seroit serait -il pas à désirer qu’une plume habile et zélée pour le bien public fît un recueil de faits & et d’anecdotes vraies, intéressantes, extraites de nos meilleurs historiens, & et propres à inspirer le goût de toutes les vertus morales & et chrétiennes, ainsi que l’horreur du vice .  ? Ce petit ouvrage écrit d’une maniere manière simple & et naïve, serviroit servirait d’abord aux personnes chargées de cette tendre enfance. Elles se nourriroient nourriraient elles-mêmes de ce trésor, pour le faire passer ensuite dans l’âme de leurs élèves. Ceux-ci bientôt après en jouiroient jouiraient par eux-mêmes ; & et ce prélude les conduiroit conduirait , sans peine, à des lectures plus sérieuses.

Cette inclination pour le récit n’est pas un privilége privilège de l’enfance : elle nous accompagne pendant toute notre vie. Dans tous les états, l’art de raconter est un de nos amusemens amusements les plus délicieux ; il assaisonne tous nos plaisirs. Il nous instruit même & et nous forme.1 Nescire quid antea ante quàm quam natus sis, acciderit, id est semper esse puerum. Quid enim est ætas hominis, nisi quum ea memoriâ memoria rerum veterum cum superiorum ætate contexitur. Cic. orator. c. 21 Cicéron, Orator, ch. 21 .2 Cicéron, Orator ad Brutum, section XXXIV/120 (voir bibliographie). Dans le passage d’où provient la citation, Cicéron développe l’image de l’orator perfectus, qui doit être instruit dans des domaines divers, dont la dialectique et la logique (113-117), l’éthique et la physique (118-119), le droit et l’histoire (120). Bérardier cite une phrase tirée du passage sur l’utilité des connaissances dans le domaine de l’histoire. - Bérardier omet à juste titre l’autem de l’original (Nescire autem quid...) puisqu’il extrait la phrase de son contexte. La variante du texte en nisi ea au lieu de nisi quum, que la plupart des éditions critiques proposent, ne change pas le sens du passage, mais indique que Bérardier semble avoir utilisé une édition du texte qui maintient un texte qui n’est présent que dans un seul codex datant du IXe siècle. Le signe diacritique dans memoriâ semble indiquer, ici, que la voyelle est longue et qu’il s’agit donc d’un ablatif. (tu) Ignorer, dit Cicéron, ce qui s’est fait avant nous, c’est être toujours enfant. Qu’est-ce en effet que la durée de l’homme, si le souvenir des choses passées n’unit point sa vie avec les temps qui l’ont précédé ? Il seroit serait inutile de s’étendre ici sur les avantages infinis de l’histoire, de la fable & et des autres objets du récit. Mille autres les ont détaillés, dans tous les temps. Mais il est nécessaire d’en conclure, qu’un genre de littérature si propre à contribuer à la douceur de notre vie & et même à la perfection de nos mœurs, mérite une attention particuliere particulière . Les défauts d’un ouvrage le rendent ordinairement stérile ; & et plus encore dans notre siécle siècle , que dans tout autre. Souvent on y considère moins le sujet dont l’auteur s’est occupé, que la maniere manière dont il est écrit.

On sçait sait assez quelle influence a sur les esprits la maniere manière de raconter. L’art de présenter les faits d’un certain côté, d’affaiblir certaines circonstances & et d’en fortifier d’autres, sans altérer essentiellement la vérité, enfin d’y insérer quelques courtes réflexions, fait voir aux lecteurs les objets revêtus des mêmes couleurs sous lesquelles le préjugé ou l’entêtement les montre à l’écrivain lui-même. C’est ainsi que Rapin Thoiras Rapin de Thoyras 3 Dissert. sur les Wigs & les Toris Dissertation sur les whigs et les torys . invective contre Laud, archevêque Archevêque de Cantorbéry, qui prêchoit prêchait l’Obéissance passive l’obéissance passive , sous le régne règne de Charles premier,4 La Dissertation sur les whigs et les torys, par Paul Rapin de Thoyras (1661-1724), parut en 1717 (voir bibliographie). Il y est question de William Laud (1573–1645), archevêque de Cantorbéry de 1633 à 1645. Sur William Laud, on peut consulter l’article de Pierre Lurbe, « Théologie et ecclésiologie chez William Laud (1573-1645), archevêque de Cantorbéry », 2009 (voir bibliographie).  & et que l’ Auteur auteur du Dictionnaire Historique Dictionnaire historique en six vol. volumes 5 Art. Article Thomas de Cantorbéry. se croit obligé d’excuser la résistance de S. Saint Thomas, archevêque de la même ville, aux entreprises de Henri II.6 Thomas Becket, dit saint Thomas de Cantorbéry (1117-1170). Archevêque de Cantorbéry de 1162 à 1170, il chercha à soustraire l’Église catholique romaine de la jurisdiction et du contrôle royaux et fut assassiné par des proches du roi en 1170. Le dictionnaire en question n’a pas pu être identifié.  Il est donc essentiel, même aux lecteurs, de ne pas ignorer les principes & et les régles règles qui concourent à former un bon récit, soit pour éviter de semblables écueuils écueils , lorsqu’ils sont obligés de raconter, soit pour ne point donner dans les piéges pièges où conduit souvent la lecture. À l’aide de ces lumiéres lumières on découvre l’artifice, & et l’on punit l’ Auteur auteur qui veut nous tromper, par le mépris qu’il mérite.

Cependant, comme les préceptes ont toujours un air austere austère , & et semblent menacer de quelque sécheresse sècheresse , il a fallu les déguiser sous le voile d’une conversation dont le stile style familier & et sans appareil n’ auroit aurait rien de rebutant, & et pourroit pourrait même procurer un utile délassement. La liberté de ce stile style doit autoriser quelques digressions, qui se rencontrent dans ces entretiens, sur des objets qui semblent se présenter d’eux-mêmes. Elles peuvent contribuer à la variété, & et elles ne sont point assez longues pour faire perdre de vue le principal sujet que l’on traite.

On ne trouvera point ici de ces traits piquans piquants , de ces réflexions hardies, empruntés de la prétendue philosophie moderne, si fort à la mode. C’est pourtant là, dira-t-on, le vrai moyen pour qu’un livre fasse fortune. Sans cet assaisonnement, il sera peu goûté : vous serez renvoyé dans la classe des hommes crédules ; & et ce terme est devenu synonyme , avec celui d’ imbécille imbécile . Je sens tout le poids de cette réflexion. Néanmoins je puis encore douter, (car qu’est-ce que ces Messieurs ne nous ont pas permis de révoquer en doute ?) Je je puis douter que ce goût soit celui du public, c’est-à-dire, de la plus saine partie de la littérature ; & et dans ce doute, qui me paroît paraît assez bien fondé, je ne veux pas acheter les suffrages d’un certain genre de lecteurs, au prix de tout ce qu’il y a de plus respectable. Si tous les grands hommes des siécles siècles passes étoient étaient des imbecilles imbéciles , il vaut mieux l’être avec eux & et comme eux, que de prendre pour la lumière le Pirrhonisme Pyrrhonisme ténébreux de nos jours.7 Référence à la pensée sceptique de Pyrrhon d’Élis (360–275 av. J.-C.).

Ces entretiens ne sont point un traité complet sur l’art de raconter. Pour l’exécuter, il eut fallu des volumes ; & et je crains les ouvrages volumineux, autant que le public. C’est un essai, c’est-à-dire, quelques réflexions, quelques observations sur le récit, empruntées plutôt du goût, que des régles règles . Les régles règles doivent leur naissance aux chef-d’œuvres des meilleurs écrivains. Homere Homère & et Virgile ont donné l’idée de celles de l’ Epopée épopée  : les Sophocles, les Euripides, les Aristophanes, les Térences, ont été les législateurs du théâtre : & et ainsi des autres. Un succès constant est un maître infaillible, & et l’autorité dont il jouit dans la république des lettres, est un une espece espèce 8 À plusieurs reprises, mais de manière peu systématique, le mot 'espèce’ est traité comme masculin, dans l’Essai sur le récit. d’empire absolu, qui porte avec lui le sceau de l’immortalité. Sur ce principe, j’ai cru devoir appuyer ce que j’ai dit des différens différents genres de narrations, sur un grand nombre d’exemples. Les Auteurs auteurs de qui ils sont tirés seront les garans garants de ce que j’avance ; & et , en amusant le lecteur, ils peuvent former ou satisfaire son goût.

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"Préface" de : Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

Transfer to TEI-Lite. Updated header and page number information. Updated page numbers. Minor adjustments for TAPAS publication.
PRÉFACE.

L’amour du Récit récit est, pour ainsi dire, une passion naturelle à l’homme. Observez cet enfant, dont le corps chancelant peut à peine se soutenir encore sans le secours d’une main étrangere étrangère  ; s’il est question d’entendre raconter il quitte brusquement ses jeux, ses amusemens amusements  ; il s’attache à la personne qui parle ; les ieux yeux fixés sur sur sur sa bouche, il demeure immobile ; rien n’est capable de le distraire. Aussi-tôt Aussitôt que la premiere première histoire est finie, il en désire, il en demande une autre. Il est malheureux, sans doute, que cette avidité ne soit communément rassasiée que du faux, du ridicule, de l’incroyable répandus dans les contes, dont on amuse ce premier âge. Quel profit ne pourroit pourrait -on pas faire de cette curiosité pour jetter jeter dans ces jeunes esprits les semences du beau & et de l’honnête ; pour y graver, par la main du plaisir, des principes puisés dans cette religion toute divine, qui les reconnoît reconnaît déjà pour ses enfans enfants  ? Les fables Fables de la Fontaine La Fontaine , qu’on leur met en main, sont un excellent livre, sans doute. Mais l’expérience a dû nous apprendre, qu’elles sont au-dessus de leur portée, & et que l’obligation qu’on leur impose de les imprimer dans leur mémoire, sans les entendre, suffit quelquefois pour les dégoûter de les lire dans un âge plus formé, & et plus capable d’en tirer quelque utilité. Ne seroit serait -il pas à désirer qu’une plume habile et zélée pour le bien public fît un recueil de faits & et d’anecdotes vraies, intéressantes, extraites de nos meilleurs historiens, & et propres à inspirer le goût de toutes les vertus morales & et chrétiennes, ainsi que l’horreur du vice .  ? Ce petit ouvrage écrit d’une maniere manière simple & et naïve, serviroit servirait d’abord aux personnes chargées de cette tendre enfance. Elles se nourriroient nourriraient elles-mêmes de ce trésor, pour le faire passer ensuite dans l’âme de leurs élèves. Ceux-ci bientôt après en jouiroient jouiraient par eux-mêmes ; & et ce prélude les conduiroit conduirait , sans peine, à des lectures plus sérieuses.

Cette inclination pour le récit n’est pas un privilége privilège de l’enfance : elle nous accompagne pendant toute notre vie. Dans tous les états, l’art de raconter est un de nos amusemens amusements les plus délicieux ; il assaisonne tous nos plaisirs. Il nous instruit même & et nous forme.Nescire quid antea ante quàm quam natus sis, acciderit, id est semper esse puerum. Quid enim est ætas hominis, nisi quum ea memoriâ memoria rerum veterum cum superiorum ætate contexitur. Cic. orator. c. 21 Cicéron, Orator, ch. 21 . Cicéron, Orator ad Brutum, section XXXIV/120 (voir bibliographie). Dans le passage d’où provient la citation, Cicéron développe l’image de l’orator perfectus, qui doit être instruit dans des domaines divers, dont la dialectique et la logique (113-117), l’éthique et la physique (118-119), le droit et l’histoire (120). Bérardier cite une phrase tirée du passage sur l’utilité des connaissances dans le domaine de l’histoire. - Bérardier omet à juste titre l’autem de l’original (Nescire autem quid...) puisqu’il extrait la phrase de son contexte. La variante du texte en nisi ea au lieu de nisi quum, que la plupart des éditions critiques proposent, ne change pas le sens du passage, mais indique que Bérardier semble avoir utilisé une édition du texte qui maintient un texte qui n’est présent que dans un seul codex datant du IXe siècle. Le signe diacritique dans memoriâ semble indiquer, ici, que la voyelle est longue et qu’il s’agit donc d’un ablatif. (tu) Ignorer, dit Cicéron, ce qui s’est fait avant nous, c’est être toujours enfant. Qu’est-ce en effet que la durée de l’homme, si le souvenir des choses passées n’unit point sa vie avec les temps qui l’ont précédé ? Il seroit serait inutile de s’étendre ici sur les avantages infinis de l’histoire, de la fable & et des autres objets du récit. Mille autres les ont détaillés, dans tous les temps. Mais il est nécessaire d’en conclure, qu’un genre de littérature si propre à contribuer à la douceur de notre vie & et même à la perfection de nos mœurs, mérite une attention particuliere particulière . Les défauts d’un ouvrage le rendent ordinairement stérile ; & et plus encore dans notre siécle siècle , que dans tout autre. Souvent on y considère moins le sujet dont l’auteur s’est occupé, que la maniere manière dont il est écrit.

On sçait sait assez quelle influence a sur les esprits la maniere manière de raconter. L’art de présenter les faits d’un certain côté, d’affaiblir certaines circonstances & et d’en fortifier d’autres, sans altérer essentiellement la vérité, enfin d’y insérer quelques courtes réflexions, fait voir aux lecteurs les objets revêtus des mêmes couleurs sous lesquelles le préjugé ou l’entêtement les montre à l’écrivain lui-même. C’est ainsi que Rapin Thoiras Rapin de Thoyras Dissert. sur les Wigs & les Toris Dissertation sur les whigs et les torys . invective contre Laud, archevêque Archevêque de Cantorbéry, qui prêchoit prêchait l’Obéissance passive l’obéissance passive , sous le régne règne de Charles premier,La Dissertation sur les whigs et les torys, par Paul Rapin de Thoyras (1661-1724), parut en 1717 (voir bibliographie). Il y est question de William Laud (1573–1645), archevêque de Cantorbéry de 1633 à 1645. Sur William Laud, on peut consulter l’article de Pierre Lurbe, « Théologie et ecclésiologie chez William Laud (1573-1645), archevêque de Cantorbéry », 2009 (voir bibliographie).  & et que l’ Auteur auteur du Dictionnaire Historique Dictionnaire historique en six vol. volumes Art. Article Thomas de Cantorbéry. se croit obligé d’excuser la résistance de S. Saint Thomas, archevêque de la même ville, aux entreprises de Henri II.Thomas Becket, dit saint Thomas de Cantorbéry (1117-1170). Archevêque de Cantorbéry de 1162 à 1170, il chercha à soustraire l’Église catholique romaine de la jurisdiction et du contrôle royaux et fut assassiné par des proches du roi en 1170. Le dictionnaire en question n’a pas pu être identifié.  Il est donc essentiel, même aux lecteurs, de ne pas ignorer les principes & et les régles règles qui concourent à former un bon récit, soit pour éviter de semblables écueuils écueils , lorsqu’ils sont obligés de raconter, soit pour ne point donner dans les piéges pièges où conduit souvent la lecture. À l’aide de ces lumiéres lumières on découvre l’artifice, & et l’on punit l’ Auteur auteur qui veut nous tromper, par le mépris qu’il mérite.

Cependant, comme les préceptes ont toujours un air austere austère , & et semblent menacer de quelque sécheresse sècheresse , il a fallu les déguiser sous le voile d’une conversation dont le stile style familier & et sans appareil n’ auroit aurait rien de rebutant, & et pourroit pourrait même procurer un utile délassement. La liberté de ce stile style doit autoriser quelques digressions, qui se rencontrent dans ces entretiens, sur des objets qui semblent se présenter d’eux-mêmes. Elles peuvent contribuer à la variété, & et elles ne sont point assez longues pour faire perdre de vue le principal sujet que l’on traite.

On ne trouvera point ici de ces traits piquans piquants , de ces réflexions hardies, empruntés de la prétendue philosophie moderne, si fort à la mode. C’est pourtant là, dira-t-on, le vrai moyen pour qu’un livre fasse fortune. Sans cet assaisonnement, il sera peu goûté : vous serez renvoyé dans la classe des hommes crédules ; & et ce terme est devenu synonyme , avec celui d’ imbécille imbécile . Je sens tout le poids de cette réflexion. Néanmoins je puis encore douter, (car qu’est-ce que ces Messieurs ne nous ont pas permis de révoquer en doute ?) Je je puis douter que ce goût soit celui du public, c’est-à-dire, de la plus saine partie de la littérature ; & et dans ce doute, qui me paroît paraît assez bien fondé, je ne veux pas acheter les suffrages d’un certain genre de lecteurs, au prix de tout ce qu’il y a de plus respectable. Si tous les grands hommes des siécles siècles passes étoient étaient des imbecilles imbéciles , il vaut mieux l’être avec eux & et comme eux, que de prendre pour la lumière le Pirrhonisme Pyrrhonisme ténébreux de nos jours.Référence à la pensée sceptique de Pyrrhon d’Élis (360–275 av. J.-C.).

Ces entretiens ne sont point un traité complet sur l’art de raconter. Pour l’exécuter, il eut fallu des volumes ; & et je crains les ouvrages volumineux, autant que le public. C’est un essai, c’est-à-dire, quelques réflexions, quelques observations sur le récit, empruntées plutôt du goût, que des régles règles . Les régles règles doivent leur naissance aux chef-d’œuvres des meilleurs écrivains. Homere Homère & et Virgile ont donné l’idée de celles de l’ Epopée épopée  : les Sophocles, les Euripides, les Aristophanes, les Térences, ont été les législateurs du théâtre : & et ainsi des autres. Un succès constant est un maître infaillible, & et l’autorité dont il jouit dans la république des lettres, est un une espece espèce À plusieurs reprises, mais de manière peu systématique, le mot 'espèce’ est traité comme masculin, dans l’Essai sur le récit. d’empire absolu, qui porte avec lui le sceau de l’immortalité. Sur ce principe, j’ai cru devoir appuyer ce que j’ai dit des différens différents genres de narrations, sur un grand nombre d’exemples. Les Auteurs auteurs de qui ils sont tirés seront les garans garants de ce que j’avance ; & et , en amusant le lecteur, ils peuvent former ou satisfaire son goût.