Huitième entretien. Narration oratoire

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      <titleStmt>
        <title>"Huitième entretien. Narration oratoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de
          raconter. Édition électronique.</title>
        <author>François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794)</author>
        <editor>Christof Schöch</editor>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>Version 0.7, 09/2014</edition>
      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <p>Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0
          (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://berardier.org en 2010.</p>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl>
          <author>Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794)</author>
          <title>Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter</title>
          <pubPlace>Paris</pubPlace>
          <publisher>Charles-Pierrre Berton</publisher>
          <date>1776</date>
          <extent>Format in-12, X-725 pages.</extent>
        </bibl>
      </sourceDesc>
    </fileDesc>
    <encodingDesc>
      <projectDesc>
        <p>Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le
          récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.
        </p>
      </projectDesc>
      <editorialDecl>
        <p>L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles,
          abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées,
          abréviations explicitées).</p>
      </editorialDecl>
    </encodingDesc>
    <revisionDesc>
      <change when="2010-08-25" who="Christof Schöch">Transfer to TEI-Lite</change>
      <change when="2011-04-11" who="Christof Schöch">Revised header information and revised
        transcription.</change>
      <change when="2014-09-06" who="Christof Schöch">Minor adjustments for TAPAS
        publication.</change>
    </revisionDesc>
  </teiHeader>
  <text>
    <body>
      <div type="chapter" xml:id="ENT08">
        <head>HUITIÈME ENTRETIEN. <lb/><hi rend="italic">Narration <choice>
              <orig>Oratoire</orig>
              <reg>oratoire</reg>
            </choice>, ses qualités et ses <choice>
              <orig>ornemens</orig>
              <reg>ornements</reg>
            </choice>.</hi></head>
        <p>Sur le soir les deux amis s'étant retrouvés seuls dans le même cabinet, Timagène dit à
          Euphorbe&#160;; je suis étonné <pb xml:id="p412"/> que vous n'ayez pas retenu ici plus
          longtemps cet homme d'esprit qui vient de nous quitter. Vous me <choice>
            <orig>paroissez</orig>
            <reg>paraissez</reg>
          </choice> fort lié avec lui&#160;; et je crois qu'il a, de son côté, tout ce qu'il faut
          pour mériter cette liaison.</p>
        <p>Il n'a pas dépendu de moi, répondit Euphorbe, qu'il ne passât deux ou trois jours au
          moins avec nous. Je l'en ai pressé, avant que vous fussiez descendu dans le <choice>
            <orig>sallon</orig>
            <reg>salon</reg>
          </choice>&#160;: mais ses affaires, ou plutôt celles du public, ne lui permettent pas de
          s'absenter de la ville plus d'un jour. C'est un de nos bons avocats&#160;: et il en est
          peu qui <choice>
            <orig>réussisse</orig>
            <reg>réussissent</reg>
          </choice> mieux que lui, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans le récit oratoire ou dans l'exposition du fait.</p>
        <p>Quel mérite si rare trouvez-vous donc, répliqua Timagène, à exposer le plus simplement
          qu'il est possible un événement, dont les détails nous ont été fournis par d'autres? C'est
          à cela, je pense, que se réduit tout le travail de l'orateur dans cette partie. </p>
        <p>Quelque complaisance que <choice>
            <orig>j'aye</orig>
            <reg>j'aie</reg>
          </choice> pour vous, reprit Euphorbe, je ne puis souscrire à votre avis. Et d'abord, en
          laissant pour un moment les plaidoyers et les mémoires, <choice>
            <sic>ou</sic>
            <corr>où</corr>
          </choice> la simplicité n'est assurément pas sans art, il est d'autres discours <pb
            xml:id="p413"/> qui sont du ressort de l'éloquence. Il faut, par exemple, faire l'éloge
          d'un <choice>
            <orig>grand-homme</orig>
            <reg>grand homme</reg>
          </choice>, après sa mort ou pendant sa vie. Cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de discours n'est, à proprement parler, qu'une narration continuelle. Se
          contentera-t-on alors de cette simplicité sans art et sans <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>, dont vous parlez <choice>
            <orig>.</orig>
            <reg>?</reg>
          </choice></p>
        <p>Je n'ai point prétendu, répondit Timagène, renfermer ces sortes de compositions dans ce
          que je viens de dire. Je sais qu'il faut y déployer toutes les richesses de l'art
          oratoire, le coloris du <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>, les éclats du sublime, le brillant des pensées et des descriptions. Dans ces
          occasions, l'auditoire cherche plus le plaisir que la vérité. Si l'on est trompé, c'est
          qu'on veut l'être&#160;; et cette séduction, sans être nuisible à personne, tend à faire
          aimer au moins une <choice>
            <orig>chimere</orig>
            <reg>chimère</reg>
          </choice> aimable. Mais vous me permettrez d'ajouter, qu'outre les plaidoyers et les
          mémoires, il est d'autres discours où la simplicité dans la narration doit tenir lieu
          d'ornement. Dans le conseil d'un grand prince, on <choice>
            <orig>delibere</orig>
            <reg>délibère</reg>
          </choice> à quel général on confiera le commandement des armées dans une guerre
          importante. Il faut appuyer le mérite d'un particulier contre le crédit et la faveur. Pour
          y <pb xml:id="p414"/> réussir, il est nécessaire de <choice>
            <orig>rappeller</orig>
            <reg>rappeler</reg>
          </choice> ses expéditions, ses victoires, et les succès dûs à son habileté. Assurément
          l'harmonie des périodes, la recherche des figures, les fleurs de l'éloquence, <choice>
            <orig>seroient</orig>
            <reg>seraient</reg>
          </choice> bien déplacées dans une pareille circonstance.</p>
        <p>J'en conviens, poursuivit Euphorbe. Mais, dans les sujets de ce genre, il est assez rare
          que l'orateur ait un récit à faire&#160;; et la narration de Cicéron dans ce beau
            discours<note resp="author">Orat. pro lege Manil.</note> où il détermina les Romains à
          charger Pompée de la guerre contre Mithridate, n'est qu'un exposé succinct de l'état où <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> les affaires de Rome en Asie. Quoi qu'il en soit, je vous ai promis de vous
          faire voir que, dans le récit même d'un plaidoyer, il entre plus d'art que vous ne croyez.
          Il faut m'acquitter envers vous. Je ne parle point ici de la clarté, de la <choice>
            <orig>briéveté</orig>
            <reg>brièveté</reg>
          </choice> et de ces autres qualités dont nous nous sommes déjà entretenus, et qui sont
          communes au récit oratoire avec tous les autres récits.<note resp="editor">Voir en
            particulier le <ref target="/essai/second/">second entretien</ref>.</note> Je m'arrête à
          ce qui lui est propre, c'est-à-dire, à l'adresse nécessaire à l'orateur dans cette <pb
            xml:id="p415"/> partie de son discours&#160;; adresse qui consiste en deux objets
          principaux, à établir le fondement des preuves, et à disposer favorablement l'esprit des
          juges et des auditeurs. Pour produire ces deux effets, ce n'est pas assez d'exposer
          nuement et simplement la chose telle quelle est. Aussi Cicéron<choice>
            <orig>, </orig>
            <reg> </reg>
          </choice>dit-il,<note resp="author">De inventione, l. 1, c. 35.</note> que la narration
          dont nous parlons, est l'exposition de ce qui s'est passé, ou de ce qui a dû
          vraisemblablement se passer&#160;: et Quintilien ajoute à cette même idée<note
            resp="author">Quint. lib. 4° cap. 2°. Narratio est rei factae, vel ut factae, utilis ad
            persuadendum expositio.</note> que cette exposition doit préparer les voies à la
          persuasion. <q rend="inline">Il ne suffit pas</q> dit encore Cicéron,<note resp="author"
            >De invent. l. 1, c. 35, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> seq.</note>
          <q rend="inline">de veiller à la brièveté, à la clarté, à la vraisemblance dans le
            récit&#160;; il faut encore éviter qu'il ne soit nuisible, qu'il ne soit inutile, qu'il
            ne soit déplacé&#160;; enfin il faut faire en sorte qu'il soit analogue à la
          cause.</q></p>
        <p>Voilà en effet plus d'ouvrage que je n'<choice>
            <orig>avois</orig>
            <reg>avais</reg>
          </choice> imaginé, interrompit Timagène.</p>
        <p><pb xml:id="p416"/>Je conçois aisément les deux premiers défauts que proscrit l'orateur
          Romain. Une narration nuisible, est celle qui <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> capable de révolter ou d'indisposer les auditeurs<note resp="author"><hi
              rend="italic">Ibid</hi>.</note>. Lorsque l'avocat est dans la nécessité de rapporter
          des faits de ce genre, je pense qu'il ne peut mieux faire, que de les disperser dans tout
          le cours de son plaidoyer, pour les rendre moins sensibles, et de joindre <choice>
            <orig>aussi-tôt</orig>
            <reg>aussitôt</reg>
          </choice> à chacun d'eux quelque réponse ou quelque réflexion qui serve, pour ainsi dire,
          d'appareil aux mauvaises suites qu'ils <choice>
            <orig>pourroient</orig>
            <reg>pourraient</reg>
          </choice> avoir. La narration est inutile lorsque le fait est connu de ceux qui nous
          entendent, et que nous n'avons rien à ajouter à cette <choice>
            <orig>connoissance</orig>
            <reg>connaissance</reg>
          </choice>&#160;; ou lorsqu'il a été exposé par notre adverse partie, d'une <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> qui ne peut nous être désavantageuse. Il est aisé de conclure que dans ces
          circonstances, il faut omettre toute narration. Mais je ne vois pas aussi clairement
          quelle est celle que vous nommez déplacée, et celle qui n'est point analogue à la cause.
          Cette partie du discours, comme vous l'avez remarqué vous-même, doit donner <pb
            xml:id="p417"/> naissance aux preuves&#160;: elle doit donc les précéder&#160;; et <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice>, il faut qu'elle suive immédiatement l'exorde. Vous regardez apparemment comme
          déplacées, celles qui n'<choice>
            <orig>observeroient</orig>
            <reg>observeraient</reg>
          </choice> pas cet ordre qui semble dicté par la raison.</p>
        <p>Non, mon cher ami, reprit Euphorbe&#160;; ce n'est point là du tout ma pensée. Le
          raisonnement que vous venez de faire, tout juste qu'il est en général, peut et doit
          souffrir bien des exceptions. Une narration déplacée est celle qui ne se trouve pas dans
          l'endroit, où l'intérêt de la cause demande qu'elle se rencontre. <choice>
            <orig>Rappellez vous</orig>
            <reg>Rappelez-vous</reg>
          </choice> le beau plaidoyer de Cicéron pour T. Annius Milon&#160;; vous y verrez une de
          ces narrations admirablement <choice>
            <orig>placée</orig>
            <reg>placées</reg>
          </choice>, précisément parce qu'elle est hors de sa place ordinaire. Milon et Clodius <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> à la tête de deux factions dans Rome. Le premier <choice>
            <orig>venoit</orig>
            <reg>venait</reg>
          </choice> de mettre à mort son ennemi sur la voie Appienne&#160;: le meurtre <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> constant&#160;; Milon en <choice>
            <orig>convenoit</orig>
            <reg>convenait</reg>
          </choice>&#160;; il <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> même osé <choice>
            <orig>reparoître</orig>
            <reg>reparaître</reg>
          </choice> dans Rome, après un coup aussi hardi. Cependant cet événement <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice> grand bruit dans la ville&#160;: le sénat <choice>
            <orig>allarmé</orig>
            <reg>alarmé</reg>
          </choice> d'une pareille audace, <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> eu recours aux plus grands <choice>
            <orig>remédes</orig>
            <reg>remèdes</reg>
          </choice> dans les maux de l'état&#160;: il <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p418"/> revêtu Pompée d'un pouvoir absolu par cette fameuse formule,<note
            resp="author"><hi rend="italic">Videat Pompeius ne respublica aliquid detrimenti
              capiat</hi>.</note>
          <q rend="italic">que Pompée veille à ce que la république ne soit point
          endommagée</q>&#160;: en conséquence de ce décret, Pompée <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> ordonné une information extraordinaire. Tout cela <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> fort mal disposé les esprits pour Milon&#160;: on <choice>
            <orig>disoit</orig>
            <reg>disait</reg>
          </choice> que son affaire <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> déjà jugée par avance, et qu'il <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> perdu. Si dans ces circonstances, l'orateur eût rapporté le fait au commencement
          de son discours sans autre précaution, il <choice>
            <orig>auroit</orig>
            <reg>aurait</reg>
          </choice> eu lieu de craindre qu'on ne refusât d'ajouter foi à son récit, ou du moins
          qu'il ne fît une impression trop <choice>
            <orig>foible</orig>
            <reg>faible</reg>
          </choice> sur son auditoire. Il change donc l'ordre usité, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> commence par réfuter ces préjugés contraires à sa partie. Ces nuages étant une
          fois dissipés, il lui est bien plus facile de présenter les faits sous un coup d'<choice>
            <orig>œuil</orig>
            <reg>œil</reg>
          </choice> qui lui soit favorable&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est ce qu'il exécute avec cet art que vous lui <choice>
            <orig>connoissez</orig>
            <reg>connaissez</reg>
          </choice>. Je <choice>
            <orig>soupçonnerois</orig>
            <reg>soupçonnerais</reg>
          </choice> que le mauvais succès du premier discours qu'il fit dans cette cause, et que
          nous n'avons pas, <choice>
            <orig>venoit</orig>
            <reg>venait</reg>
          </choice> de ce qu'il n'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p419"/> point songé d'abord à prévenir par ce moyen les clameurs et le tumulte
          de ceux qui <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> prévenus contre sa partie.</p>
        <p>C'est peut-être à l'imitation de l'orateur Romain, ajouta Timagène, qu M. le Maître,<note
            resp="author">Plaid. 14.</note> dans un plaidoyer que je <choice>
            <orig>lisois</orig>
            <reg>lisais</reg>
          </choice> ces jours-ci, a placé une de ces précautions oratoires, avant l'exposition du
          fait. Il <choice>
            <orig>parloit</orig>
            <reg>parlait</reg>
          </choice> pour une demande en séparation&#160;: l'avocat de la partie adverse <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> sans doute avancé, qu'on ne <choice>
            <orig>pouvoit</orig>
            <reg>pouvait</reg>
          </choice> reprocher à son client d'autre défaut que de s'oublier quelquefois à table, et
          de passer un peu les bornes de la tempérance&#160;: ce qui ne semble pas suffisant pour
          autoriser une femme à demander sa séparation. C'est pourquoi l'orateur a cru, qu'avant de
          rapporter les faits relatifs à la cause, il <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> prévenir ses juges que le vin <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> des suites affreuses dans le particulier en question, qu'il le <choice>
            <orig>portoit</orig>
            <reg>portait</reg>
          </choice> à des excès inouis, et en <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>un</orig>
            <reg>une</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de monstre.</p>
        <p>Dans un autre discours<note resp="author">Plaid. sixieme.</note> du même avocat, reprit
          Euphorbe, vous avez dû voir <pb xml:id="p420"/> la réfutation mêlée et confondue dans la
          narration même. Il s'<choice>
            <orig>agissoit</orig>
            <reg>agissait</reg>
          </choice> de prouver qu'un religieux <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> entré par force dans un <choice>
            <orig>monastere</orig>
            <reg>monastère</reg>
          </choice>, et y <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> fait profession malgré lui. Le détail des circonstances <choice>
            <orig>etoit</orig>
            <reg>etait</reg>
          </choice> long, et <choice>
            <orig>pouvoit</orig>
            <reg>pouvait</reg>
          </choice> ennuyer&#160;; la cause <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> par elle-même une apparence odieuse, que les adversaires <choice>
            <orig>avoient</orig>
            <reg>avaient</reg>
          </choice> pris soin d'augmenter, en faisant un magnifique éloge de la vie
          religieuse&#160;; certains faits <choice>
            <orig>pouvoient</orig>
            <reg>pouvaient</reg>
          </choice> laisser des idées désavantageuses dans l'esprit des juges, si l'on <choice>
            <orig>différoit</orig>
            <reg>différait</reg>
          </choice> à les expliquer ou <choice>
            <sic>a</sic>
            <corr>à</corr>
          </choice> y répondre. L'habile orateur, qui <choice>
            <orig>sentoit</orig>
            <reg>sentait</reg>
          </choice> ces <choice>
            <orig>inconvéniens</orig>
            <reg>inconvénients</reg>
          </choice>, a pris le parti d'entrecouper son récit par des réflexions capables de prévenir
          tous ces mauvais effets. Vous voyez clairement que le lieu du récit oratoire n'est
          déterminé, que par la nature de l'objet sur lequel on doit parler&#160;; et cela doit déjà
          vous faire entendre ce qu'exige Cicéron, quand il demande qu'il soit analogue à la cause.
          Cette analogie n'est autre chose que l'addresse de l'orateur à intéresser ses juges, et
          les prévenir en faveur des faits qu'il rapporte, et à établir les <choice>
            <orig>fondemens</orig>
            <reg>fondements</reg>
          </choice> des preuves qu'il doit employer dans la suite. Ce sont là ces deux effets
          importants, dont je vous <choice>
            <orig>parlois</orig>
            <reg>parlais</reg>
          </choice> il n'y a qu'un instant. <pb xml:id="p421"/> Pour mettre dans un plus grand jour
          cet artifice, voyons quel usage en a fait un célèbre avocat de ce <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice>. Permettez que je vous fasse la lecture du récit oratoire, dans la cause que <choice>
            <sic>M.</sic>
            <corr>M. </corr>
          </choice>Cochin<note resp="editor">Henri Cochin, avocat français, né à Paris le 10 juin
            1687 et mort le 27 février 1747.</note> plaida pour le président d'Aiguille, contre
          Catherine de Belrieu de Virasel, qui <choice>
            <orig>prétendoit</orig>
            <reg>prétendait</reg>
          </choice> être sa petite nièce, et que le président <choice>
            <orig>traitoit</orig>
            <reg>traitait</reg>
          </choice> d'enfant supposé. Figurez-vous, pour un moment, que vous êtes assis sur le trône
          de la justice. Après avoir entendu l'avocat, vous jugerez la question en dernier ressort.
            <q rend="inline">Mad. de Virasel fut mariée le premier avril 1700. On n'examine point si
            elle rapporta à son époux cette dot précieuse, sans laquelle tous les biens sont
            méprisables&#160;: <q rend="verse">
              <lb/><l><hi rend="italic">Dos est magna parentium</hi>
              </l>
              <l><hi rend="italic">Virtus, et metuens alterius viri</hi>
              </l>
              <l><hi rend="italic">Certo fædere castitas.</hi></l>
            </q> On <choice>
              <orig>souhaiteroit</orig>
              <reg>souhaiterait</reg>
            </choice> que la conduite de M. de Virasel n'eut pas forcé le public à pousser plus loin
            sa curiosité sur ce sujet. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> peine <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice>-on sorti des premiers jours consacrés à la joie et aux plaisirs, que l'on vit
            éclater une funeste division entre l'époux et l'épouse. M. de Virasel, qui convient de
            ce fait <pb xml:id="p422"/> dans son mémoire imprimé, n'a pas jugé à propos de nous en
            découvrir la cause. ... Respectons des secrets que M. de Virasel n'a pas trouvé bon de
            nous confier&#160;: contentons-nous du fait, qu'il a reconnu si positivement. Cependant
            la nouvelle de la grossesse de Mad. de Virasel se répand dans le public&#160;: cet
            événement souvent propre à ranimer la tendresse d'un époux, ne fit pas une semblable
            impression sur le cœur de M. de Virasel. Quoi qu'il en soit, Mad. de Virasel n'étant
            encore que dans le <choice>
              <orig>sixieme</orig>
              <reg>sixième</reg>
            </choice> mois de son mariage, suivit au mois de septembre M. de Volusan son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice> dans le château de Bessan&#160;; et, après avoir passé quelques jours avec
            lui, elle se retira seule dans son château de <choice>
              <orig>Tartuguere</orig>
              <reg>Tartuguère</reg>
            </choice>, où elle accoucha d'une fille le 6 ou 7 octobre 1700. M. le président de
            Volusan, qui se rendait chaque jour à <choice>
              <orig>Tartuguere</orig>
              <reg>Tartuguère</reg>
            </choice>, écrivit <choice>
              <orig>aussi-tôt</orig>
              <reg>aussitôt</reg>
            </choice> à M. de Virasel que sa femme <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> accouchée, que l'enfant <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> venu mort au monde. C'est M. de Virasel lui-même qui nous a informé de cette
            vérité&#160;; et ce fut avec cette circonstance que la nouvelle de l'accouchement de
            Mad. de Virasel fut rendue publique dans sa famille. Un <pb xml:id="p423"/> fait
            important qu'il faut placer ici, est qu'en effet on ne trouve dans aucun registre, soit
            de la paroisse dans laquelle Mad. de Virasel est accouchée, soit d'aucune autre
            l'extrait <choice>
              <orig>baptistere</orig>
              <reg>baptistère</reg>
            </choice> de cette fille de Mad. de Virasel. Ce fait décisif aura son application dans
            la suite. Sur la foi de M. de Volusan, sur l'aveu de M. et de Mad. de Virasel, toute la
            famille est demeurée intimement persuadée que M. de Virasel n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> point d'<choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice>. On n'en <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> point <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> dans la maison du gendre, ni du beau-<choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>&#160;; ce fruit malheureux qui <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> péri avant sa naissance, <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> même presque échappé à la mémoire des plus proches <choice>
              <orig>parens</orig>
              <reg>parents</reg>
            </choice>. C'est en cet état que Mad. de Virasel est décédée au mois de novembre de
            l'année 1703, sans avoir pu réparer pendant le temps qu'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> duré son mariage la perte qu'elle <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> faite de son premier fruit. M. de Virasel entre les témoignages de sa douleur, n'<choice>
              <orig>oublioit</orig>
              <reg>oubliait</reg>
            </choice> pas cette circonstance, qui la <choice>
              <orig>rendoit</orig>
              <reg>rendait</reg>
            </choice> plus vive&#160;; que Mad. de Virasel en mourant l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> laissé sans <choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice>. Il <choice>
              <orig>disoit</orig>
              <reg>disait</reg>
            </choice> aux personnes qui le <choice>
              <orig>venoient</orig>
              <reg>venaient</reg>
            </choice> voir&#160;: <hi rend="italic">Saltem si quis mihi parvulus <choice>
                <orig>aulâ</orig>
                <reg>aula</reg>
              </choice> luderet Æneas</hi>&#160;: du moins s'il m'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice>
            <pb xml:id="p424"/> resté quelqu'enfant pour ma consolation, je <choice>
              <orig>supporterois</orig>
              <reg>supporterais</reg>
            </choice> ma perte avec plus de soulagement. Toutes les personnes de condition s'<choice>
              <orig>intéresserent</orig>
              <reg>intéressèrent</reg>
            </choice> au malheur de M. de Virasel. Mais quelle fut leur surprise, lorsqu'au bout
            d'un mois, on vit <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> dans sa maison une petite fille, qu'il <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> faire passer pour être la même dont Mad. de Virasel <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> accouchée en 1700&#160;? L'imposture <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> trop <choice>
              <orig>grossiere</orig>
              <reg>grossière</reg>
            </choice> pour ne pas exciter l'indignation de toute la province, <choice>
              <orig>sur-tout</orig>
              <reg>surtout</reg>
            </choice> quand on fut informé de la qualité des personnes des mains de qui il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pris ce sujet d'opprobre et de scandale, qu'il <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> introduire dans sa famille. M. le président d'Aiguille, plus intéressé que les
            autres par les liens du sang qui l'unissent de si près avec M. de Virasel, fut un des
            premiers à témoigner sa surprise. Il ne voulut cependant rien hasarder, qu'il ne fût
            exactemenr instruit des circonstances de la prétendue découverte de M. de Virasel. Le 11
            décembre 1703, il envoie chercher la Peluchon, cette femme chez qui M. de Virasel <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> allé prendre sa prétendue fille&#160;; il se fait faire le récit odieux des
            démarches de M. de <pb xml:id="p425"/> Virasel&#160;; il s'informe ensuite de la qualité
            de cette femme, de ses habitudes, de son commerce. Plus on avance dans ces recherches,
            plus on est frappé d'horreur, à la vue d'une supposition si criminelle. Enfin M. le
            président d'Aiguille croit être obligé d'éclater, et fait signifier le 31 janvier 1704,
            tant à M. le président de Virasel qu'à M. le président de Volusan, une protestation
            solemnelle, dans laquelle il se récrie contre la supposition et l'imposture. Il déclare
            ouvertement, qu'il ne prétend pas que tout ce que M. de Virasel pourra faire puisse
            mettre cette petite <choice>
              <orig>mandiante</orig>
              <reg>mendiante</reg>
            </choice><note resp="editor">La graphie de l'original, quoique inhabituelle, est
              cependant attestée dans les dictionnaires de référence (Féraud).</note>, qu'il a
            retirée chez lui, en possession de l'état de fille dudit seigneur de Virasel et de
            ladite dame de Mulet de Volusan, son épouse. M. de Volusan, de son côté, que l'affront <choice>
              <orig>touchoit</orig>
              <reg>touchait</reg>
            </choice> encore de plus près, rompit toute liaison avec son gendre. Sa juste <choice>
              <orig>colere</orig>
              <reg>colère</reg>
            </choice> l'a accompagné jusqu'au tombeau&#160;; et s'il a donné au devoir de la
            religion un pardon qu'elle exige, <choice>
              <orig>ç'a</orig>
              <reg>ça a</reg>
            </choice> été sans trahir la justice qu'il <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> à sa famille. Prêt à mourir, il a bien voulu voir M. de Virasel, pour lui
            pardonner&#160;; mais non pas cet enfant d'ignominie, pour le <choice>
              <orig>reconnoître</orig>
              <reg>reconnaître</reg>
            </choice>. Il <pb xml:id="p426"/> n'en faut pas d'autre garant que son testament même,
            dans lequel méconnaissant cette production de l'imposture la plus détestable, il
            institue pour son <choice>
              <orig>héritiere</orig>
              <reg>héritière</reg>
            </choice> universelle la dame d'Essenaut, sa nièce. Mad. de Volusan accablée de douleur,
            s'est condamnée à son triste silence. Trop à plaindre d'avoir <choice>
              <sic>survêcu</sic>
              <corr>survécu</corr>
            </choice> à tant de <choice>
              <orig>disgraces</orig>
              <reg>disgrâces</reg>
            </choice>, elle a fait ce qu'elle a pu pour se cacher, s'il eût été possible, à
            elle-même, le désordre de sa maison&#160;; attendant avec respect la décision de la
            justice, qui <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> saisie du différend de M. de Virasel et de la dame d'Essenaut. Elle s'est
            réduite à ne point prendre de parti. C'est ce qui fait que dans quelques mémoires, que
            l'on a trouvés après sa mort, en distinguant les effets qui <choice>
              <orig>appartenoient</orig>
              <reg>appartenaient</reg>
            </choice> à la succession de M. de Volusan, elle veut, dit-elle, qu'ils soient rendus
            aux véritables héritiers de son mari. Ce n'est point ainsi qu'elle eut parlé d'une fille
            unique de sa fille, si elle eût reconnu la partie adverse pour telle&#160;: elle ne se <choice>
              <orig>seroit</orig>
              <reg>serait</reg>
            </choice> point réduite à des termes si vagues, et, l'on peut dire en quelque <choice>
              <orig>maniere</orig>
              <reg>manière</reg>
            </choice>, si <choice>
              <orig>indifférens</orig>
              <reg>indifférents</reg>
            </choice>. C'est dans ces <choice>
              <orig>sentimens</orig>
              <reg>sentiments</reg>
            </choice> qu'elle est décédée au mois <pb xml:id="p427"/> de décembre 1713, laissant
            pour seuls et uniques héritiers, M. le président d'Aiguille son <choice>
              <orig>frere</orig>
              <reg>frère</reg>
            </choice>, le sieur le Berthon et la dame de Lassalle, ses autres <choice>
              <orig>frere</orig>
              <reg>frère</reg>
            </choice> et sœur.</q> Vous voilà instruit de l'affaire. Prononcez maintenant.</p>
        <p>Vous voulez me prendre en défaut, répliqua Timagène&#160;; mais n'importe. Je crois qu'on
          ne peut pas se défendre de regarder la fille en question comme supposée, et qu'il faut par
          conséquent lui interdire de porter le nom et les armes de la famille dans laquelle elle <choice>
            <orig>prétendoit</orig>
            <reg>prétendait</reg>
          </choice> entrer.</p>
        <p>Si je ne <choice>
            <orig>savois</orig>
            <reg>savais</reg>
          </choice> pas quel a été le succès de cette cause, poursuivit Euphorbe, je <choice>
            <orig>déciderois</orig>
            <reg>déciderais</reg>
          </choice> comme vous, sur le narré que vous venez d'entendre. Mais les juges ont vu les
          choses sous un point de vue bien différent. Ils ont déclaré Catherine de Belrieu fille de
          M. de Virasel, et ont condamné ses <choice>
            <orig>parens</orig>
            <reg>parents</reg>
          </choice> à lui remettre les biens auxquels elle <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> droit de prétendre en cette qualité. Voici à <choice>
            <orig>peu-près</orig>
            <reg>peu près</reg>
          </choice> comme les faits se <choice>
            <orig>présenterent</orig>
            <reg>présentèrent</reg>
          </choice> à leurs <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>, sur les dépositions des témoins et autres informations, après les avoir
          dépouillés de tout l'artifice de l'éloquence. L'épouse de M. de Virasel, président au
          parlement de Bordeaux, <pb xml:id="p428"/> s'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> séparée de son mari, dès les premiers jours de son mariage, et s'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> retirée chez le président de Volusan, son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>, et <choice>
            <sic>delà</sic>
            <corr>de là</corr>
          </choice>, dans une de ses terres. Elle y mit au monde une fille. M. de Volusan et sa
          famille, mécontents de M. de Virasel, <choice>
            <orig>avoient</orig>
            <reg>avaient</reg>
          </choice> d'ailleurs un intérêt personnel de faire <choice>
            <orig>disparoître</orig>
            <reg>disparaître</reg>
          </choice> cette unique <choice>
            <orig>héritiere</orig>
            <reg>héritière</reg>
          </choice>, qui <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice> passer entre les mains de M. de Virasel des biens qu'ils <choice>
            <orig>auroient</orig>
            <reg>auraient</reg>
          </choice> conservés, sans cette naissance. On prend donc le parti de dire à la <choice>
            <orig>mere</orig>
            <reg>mère</reg>
          </choice>, et de répandre dans le public, que l'enfant <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> mort en venant au monde. Cependant on le fait transporter dans un village à
          quelques lieues de là&#160;; on le fait baptiser comme un enfant trouvé et on charge une
          pauvre femme de le nourrir, sans le <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice>. M. de Virasel fut d'abord trompé comme les autres, et ajouta foi au bruit
          public. Mais, trois ans après, sa femme étant morte, il fut mieux informé&#160;: il retira
          chez lui cet enfant et la reconnut pour sa fille&#160;: mais M. le président d'Aiguille et
          ses autres <choice>
            <orig>freres</orig>
            <reg>frères</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>refuserent</orig>
            <reg>refusèrent</reg>
          </choice> de souscrire à cette <choice>
            <orig>reconnoissance</orig>
            <reg>reconnaissance</reg>
          </choice> et lui <choice>
            <orig>contesterent</orig>
            <reg>contestèrent</reg>
          </choice> son état.</p>
        <p>Après avoir entendu ces deux récits, répliqua Timagène, je ne suis plus surpris <pb
            xml:id="p429"/> de voir Henri IV assistant à l'audience, donner gain de cause aux deux
          parties adverses. Un avocat sait fasciner nos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>, et nous faire <choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice> ce qui lui plaît. Avec quelle habileté le vôtre sait faire usage des
          circonstances et les tourner à son avantage&#160;! Le bruit s'est répandu que Mad. de
          Virasel a mis au monde un enfant mort&#160;: il en profite&#160;; il l'appuie même par une
          autre circonstance, qui semble en démontrer la vérité&#160;; c'est le défaut d'extrait <choice>
            <orig>baptistere</orig>
            <reg>baptistère</reg>
          </choice> dans toutes les paroisses, où il <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> naturellement se trouver. Tout cela est encore fortifié par l'aveu de M. de
          Virasel lui-même, dans les plaintes qu'il laisse échapper sur la mort de son épouse. Avec
          quelle adresse cet orateur interprète-t-il l'incertitude où Mad. de Volusan <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> avoir été jusqu'à sa mort sur l'état de l'enfant dont il s'<choice>
            <orig>agissoit</orig>
            <reg>agissait</reg>
          </choice>&#160;! Cet artifice est admirable&#160;; il en faut convenir. Mais n'est-il pas
          un peu contraire à la vérité, la sœur la plus inséparable de la probité&#160;?</p>
        <p>S'il se <choice>
            <orig>trouvoit</orig>
            <reg>trouvait</reg>
          </choice> au barreau, repartit Euphorbe, un orateur capable d'employer ces ressources dans
          une cause dont il <choice>
            <orig>connoîtroit</orig>
            <reg>connaîtrait</reg>
          </choice> lui-même le vice, ce <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> le plus condamnable des hommes. <pb xml:id="p430"/> Mais le plus souvent
          l'avocat est séduit par l'exposition des faits, comme vous venez de l'être vous-même. Il
          les apprend des parties intéressées, qui cachent ou ne dévoilent qu'à moitié ce qui peut
          leur nuire&#160;: il ne doit pas les soupçonner de mauvaise foi. Leurs prétentions lui <choice>
            <orig>paroissent</orig>
            <reg>paraissent</reg>
          </choice> donc marquées au coin de l'équité&#160;; et <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice>, il déploie tous les ressorts de son art, pour faire valoir ce qu'il croit
          légitime. Il se persuade qu'il prend en main les intérêts de l'innocence, tandis qu'il est
          quelquefois malgré lui le protecteur du crime et de l'injustice.</p>
        <p>J'<choice>
            <orig>aimerois</orig>
            <reg>aimerais</reg>
          </choice> bien autant, répliqua Timagène, qu'on plaidât ici comme dans l'Aréopage<note
            resp="editor">L'Aréopage était à Athènes un conseil qui se tenait sur une colline du
            même nom.</note>, où les avocats <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> obligés d'exposer le fait dans sa plus grande simplicité, sans réflexion, sans
          art&#160;; <choice>
            <sic>ou</sic>
            <corr>où</corr>
          </choice> tout appareil d'éloquence <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> interdit. Mais puisque l'usage est différent, il n'est pas inutile d'examiner
          comment ces <choice>
            <orig>Messieurs</orig>
            <reg>messieurs</reg>
          </choice> s'y prennent dans leurs récits, pour gagner leurs juges et établir leurs
          preuves&#160;; quand ce ne <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> que pour se mettre en garde contre l'illusion. Examinons donc, s'il vous plaît,
          dans le détail, en quoi consiste cette adresse. Je m'imagine qu'elle dépend d'abord <pb
            xml:id="p431"/> principalement d'un air naturel dans les faits, et d'une grande
          apparence de candeur et de vérité dans l'orateur, qui ne laisse aucunement pénétrer l'art
          de son récit. C'est cet admirable ressort, ou je ne me trompe, que Quintilien appelle la
          vraisemblance, et qu'il développe si bien dans ses institutions<note resp="author">Lib. 4.
            c. 2.</note>. Pour y réussir, selon cet habile rhéteur, il faut suivre pas à pas la
          nature&#160;; il faut exposer les motifs et les vues de ceux que nous faisons agir,
          montrer que leurs <choice>
            <orig>caracteres</orig>
            <reg>caractères</reg>
          </choice>, leurs habitudes s'accordent avec la conduite que nous leur attribuons. Mais
          surtout il faut déguiser tout cela sous le voile d'une simplicité qui ne laisse pas même
          soupçonner notre artifice. Il apporte ensuite pour exemple la <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> infiniment adroite dont Cicéron décrit le départ de Milon pour Lanuvium&#160;;
          et l'<choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de naïveté avec laquelle cet orateur peint, dans les démarches de sa partie, une
          tranquillité et même une lenteur qui n'est point naturelle à un homme occupé d'un grand
          crime. Une autre attention qu'il faut avoir, c'est de ne rien omettre de ce qui peut faire
          naître <pb xml:id="p432"/> des soupçons désavantageux à notre adverse partie, ou diminuer
          ceux qu'on <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice> avoir conçus contre nous. C'est un précepte que je me souviens d'avoir lu dans
          un ouvrage imprimé avec ceux de Cicéron.<note resp="author">Ad Heren. lib. 2, c. 3.</note>
        </p>
        <p>Je m'<choice>
            <orig>apperçois</orig>
            <reg>aperçois</reg>
          </choice> bien, poursuivit Euphorbe, que vous ne vous contentez pas de lire César et le
          chevalier Folard.<note resp="editor">Jean-Charles de Folard, dit le Chevalier de Folard
            (1669-1752), fut un stratège, ingénieur et homme de guerre français.</note> Vous venez
          en effet d'extraire des deux maîtres de l'éloquence <choice>
            <orig>Romaine</orig>
            <reg>romaine</reg>
          </choice>, ce qu'il y a de plus important dans le récit oratoire. J'y <choice>
            <orig>voudrois</orig>
            <reg>voudrais</reg>
          </choice> seulement ajouter, que l'orateur doit se borner aux circonstances qui forment ou
          qui <choice>
            <orig>appuyent</orig>
            <reg>appuient</reg>
          </choice> ses preuves. <q rend="inline">Ce qui donne aux narrations de M. Cochin un jour
            admirable</q>, dit l'auteur de la préface de ses œuvres, <q rend="inline">c'est qu'elles
            ne présentent rien qui n'ait rapport à son sujet<choice>
              <orig>, </orig>
              <reg> </reg>
            </choice>qui est unique.</q><note resp="editor">Voir la Préface de l'édition de 1751, p.
            xxxiii.</note> C'est par cette raison que le défenseur de Milon s'arrête à des détails
          qui semblent minutieux, comme le remarque Quintilien, mais qui prouvent invinciblement ce
          que l'orateur <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice> établir&#160;; savoir, que Milon ne <choice>
            <orig>méditoit</orig>
            <reg>méditait</reg>
          </choice> point un meurtre, qu'il n'a <pb xml:id="p433"/> point été l'agresseur, et que
          s'il a mis à mort Clodius, ce n'a été que dans les bornes d'une légitime défense. Si vous
          êtes curieux de voir avec quelle adresse un habile avocat s'insinue dans l'esprit de ses
          juges, par le détail des faits, et y prépare les voies du reste de son discours, lisons la
          narration de l'orateur <choice>
            <orig>Romain</orig>
            <reg>romain</reg>
          </choice><note resp="author">Orat. secunda, pro Sext. Roscio Amerino, n. 15.</note>,
          lorsqu'il défendit Sextus Roscius d'Amerie, accusé d'avoir assassiné son propre <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>. Cicéron <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> jeune alors, et l'on s'en <choice>
            <orig>apperçoit</orig>
            <reg>aperçoit</reg>
          </choice>&#160;: mais cette jeunesse est celle d'un grand homme, dont les coups d'essai
          sont presque des chef-d'œuvres. Il <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> pour juges, des sénateurs choisis par le dictateur Sylla dans les <choice>
            <orig>premieres</orig>
            <reg>premières</reg>
          </choice> maisons de Rome. Il se propose de leur prouver non seulement que Roscius est
          innocent du crime qu'on lui impute, mais même qu'on ne peut l'attribuer qu'aux deux
          Roscius, ses <choice>
            <orig>parens</orig>
            <reg>parents</reg>
          </choice> et ses accusateurs, appuyés du crédit d'un certain Chrysogonus, favori de Sylla.
          Ecoutons-le rapporter le fait dont il s'agit.<note resp="author">
            <q rend="inline"><choice>
                <orig/>
                <reg>[15] </reg>
              </choice>Sext. Roscius, pater hujusce, municeps Amerinus [p434] fuit, cum genere &amp;
              nobilitate, &amp; pecunia non modo sui municipii, verum etiam ejus vicinitatis facilè
              primus, tum gratiâ atque hospitiis florens hominum nobilissimorum. Nam cum Metellis,
              Serviliis, Scipionibus erat ei non modo hospitium, verum etiam domesticus usus et
              consuetudo, quas, ut æquum est, familias honestatis amplitudinisque gratia nomino.
              Itaque ex suis omnibus commodis hoc solum filio reliquit; nam patrimonium [p435]
              domestici prædones vi ereptum possident, fama et vita innocentis ab hospitibus
              amicisque paternis defenditur. <choice>
                <orig/>
                <reg>[16]</reg>
              </choice> Hic cum omni tempore nobilitatis fautor fuisset, tum hoc tumultu proximo,
              cum omnium nobilium dignitas et salus in discrimen veniret, præter ceteros in ea
              vicinitate eam partem causamque opera, studio, auctoritate defendit. Etenim rectum
              putabat pro eorum honestate se pugnare, propter quos ipse honestissimus inter suos
              numerabatur. Postea quam victoria constituta est ab armisque recessimus, cum
              proscriberentur [p436] homines atque ex omni regione caperentur ei, qui adversarii
              fuisse putabantur, erat ille Romæ frequens atque in foro et in ore omnium cotidie
              versabatur, magis ut exsultare victoria nobilitatis videretur quam timere, ne quid ex
              ea calamitatis sibi accideret. <choice>
                <orig/>
                <reg>[17]</reg>
              </choice> Erant ei veteres inimicitiæ cum duobus Rosciis Amerinis, quorum alterum
              sedere in accusatorum subselliis video, alterum tria hujusce prædia possidere audio;
              quas inimicitias si tam cavere potuisset, quam metuere solebat, [p437] viveret. Neque
              enim, judices, injuria metuebat. Nam duo isti sunt T. Roscii, quorum alteri Capitoni
              cognomen est, iste, qui adest, Magnus vocatur, homines ejus modi: Alter plurimarum
              palmarum vetus ac nobilis gladiator habetur, hic autem nuper se ad eum lanistam
              contulit, quique ante hanc pugnam tiro esset quod sciam, facile ipsum magistrum
              scelere audaciaque superavit. <choice>
                <orig/>
                <reg>[18]</reg>
              </choice> Nam cum hic Sex. Roscius esset Ameriæ, T. autem iste Roscius Romæ, cum hic
              filius adsiduus in prædiis esset cumque se voluntate patris rei familiari vitæque
              rusticæ dedisset, iste autem [p438] requens Romæ esset, occiditur ad balneas
              Pallacinas rediens a cena Sex. Roscius. Spero ex hoc ipso non esse obscurum, ad quem
              suspicio malefici pertineat; verum id, quod adhuc est suspiciosum, nisi perspicuum res
              ipsa fecerit, hunc adfinem culpæ judicatote. <choice>
                <orig/>
                <reg>[19]</reg>
              </choice> Occiso Sex. Roscio primus Ameriam nuntiat Mallius Glaucia quidam, homo
              tenuis, libertinus, cliens et familiaris istius T. Rosci, et nuntiat domum non fili,
              sed T. Capitonis inimici; et cum Post horam primam noctis occisus esset, primo
              diluculo nuntius hic Ameriam venit; decem horis nocturnis sex et quinquaginta [p439]
              milia passuum cisiis pervolavit, non modo ut exoptatum inimico nuntium primus
              adferret, sed etiam cruorem inimici quam recentissimum telumque paulo ante e corpore
              extractum ostenderet. <choice>
                <orig/>
                <reg>[20]</reg>
              </choice> Quadriduo quo hæc gesta sunt res ad Chrysogonum in castra L. Sullæ
              Volaterras defertur; magnitudo pecuniæ demonstratur; bonitas prædiorum ­ nam fundos
              decem et tris reliquit, qui Tiberim fere omnes tangunt ­ hujus inopia et solitudo
              commemoratur; demonstrant, cum pater hujusce Sex. Roscius, homo tam splendidus et
              gratiosus, nullo negotio sit occisus, <choice>
                <orig/>
                <reg>perfacile hunc hominem incautum et rusticum</reg>
              </choice> et Romæ ignotum [p440] de medio tolli posse; ad eam rem operam suam
              pollicentur. <choice>
                <orig/>
                <reg>[21]</reg>
              </choice> Ne diutius teneam, judices, societas coitur. Cum nulla jam proscriptionis
              mentio fieret, cum etiam, qui antea metuerant, redirent ac jam defunctos sese
              periculis arbitrarentur, nomen refertur in tabulas Sex. Rosci, hominis studiosissimi
              nobilitatis; manceps fit Chrysogonus; tria prædia vel nobilissima Capitoni propria
              traduntur, quæ hodie possidet; in reliquas omnis fortunas iste T. Roscius nomine
              Chrysogoni, quem ad modum ipse dicit, impetum facit.<choice>
                <orig> ...</orig>
                <reg/>
              </choice> Hæc omnia, judices, imprudente L. Sulla facta esse certo scio. <choice>
                <orig/>
                <reg>[22]</reg>
              </choice> Neque enim mirum, cum [p441] eodem tempore et ea, quæ præterita sunt,
              reparet et ea, quæ videntur instare, præparet, cum et pacis constituendæ rationem et
              belli gerendi potestatem solus habeat, cum omnes in unum spectent, unus omnia
              gubernet, cum tot tantisque negotiis distentus sit, ut respirare libere non possit, si
              aliquid non animadvertat, cum præsertim tam multi occupationem ejus observent
              tempusque aucupentur ut, simul atque ille despexerit, aliquid hujusce modi moliantur.
              Huc accedit, quod, quamvis ille felix sit, sicut est, tamen in tanta felicitate nemo
              potest esse in magna familia, qui neminem neque [p442] servum neque libertum improbum
              habeat. <choice>
                <orig/>
                <reg>[23]</reg>
              </choice> Interea iste T. Roscius, vir optimus, procurator Chrysogoni, Ameriam venit,
              in prædia hujus invadit, hunc miserum, luctu perditum, qui nondum etiam omnia paterno
              funeri justa solvisset, nudum eicit domo atque focis patriis disque penatibus
              præcipitem, judices, exturbat, ipse amplissimæ pecuniæ fit dominus. Qui in sua re
              fuisset egentissimus, erat, ut fit, insolens in aliena; multa palam domum suam
              auferebat; plura clam de medio removebat, non pauca suis adjutoribus large effuseque
              donabat, reliqua constituta auctione [p443] vendebat.<choice>
                <orig/>
                <reg> [24]</reg>
              </choice> Quod Amerinis usque eo visum est indignum, ut urbe tota fletus gemitusque
              fieret. Etenim multa simul ante oculos versabantur, mors hominis florentissimi, Sex.
              Rosci, crudelissima, fili autem ejus egestas indignissima, cui de tanto patrimonio
              prædo iste nefarius ne iter quidem ad sepulcrum patrium reliquisset, bonorum emptio
              flagitiosa, possessio, furta, rapinæ, donationes. Nemo erat, qui non audere omnia
              mallet quam videre in Sex. Rosci, viri optimi atque honestissimi, bonis jactantem se
              ac dominantem T. Roscium.<choice>
                <orig/>
                <reg> [25]</reg>
              </choice> Itaque decurionum [p444] decretum statim fit, ut decem primi proficiscantur
              ad L. Sullam doceantque eum, qui vir Sex. Roscius fuerit, conquerantur de istorum
              scelere et injuriis, orent, ut et illius mortui famam et fili innocentis fortunas
              conservatas velit.<choice>
                <orig/>
                <reg> Atque ipsum decretum, quæso, cognoscite.</reg>
              </choice> Legati in castra veniunt. Intellegitur, judices, id quod jam ante dixi,
              imprudente L. Sulla scelera hæc et flagitia fieri. Nam statim Chrysogonus et ipse ad
              eos accedit et homines nobilis adlegat, qui peterent, ne ad Sullam adirent, et omnia
              Chrysogonum, quæ vellent, esse facturum pollicerentur.<choice>
                <orig/>
                <reg> [26]</reg>
              </choice> Usque adeo autem ille [p445] pertimuerat, ut mori mallet, quam de his rebus
              Sullam doceri. Homines antiqui, qui ex sua natura ceteros fingerent, cum ille
              confirmaret sese nomen Sex. Rosci de tabulis exempturum, prædia vacua filio
              traditurum, cumque id ita futurum T. Roscius Capito, qui in decem legatis erat,
              appromitteret, crediderunt; Ameriam re inorata reverterunt. Ac primo rem differre
              cotidie ac procrastinare isti coeperunt, deinde aliquanto lentius nihil agere atque
              deludere, postremo, id quod facile intellectum est, insidias vitæ hujusce Sex. Rosci
              parare neque sese arbitrari [p446] posse diutius alienam pecuniam domino incolumi obtinere.<choice>
                <orig/>
                <reg> [27]</reg>
              </choice> Quod hic simul atque sensit, de amicorum cognatorumque sententia Romam
              confugit et sese ad Cæciliam, Nepotis sororem, Baliarici filiam, quam honoris causa
              nomino, contulit, qua pater usus erat plurimum; in qua muliere, judices, etiam nunc,
              id quod omnes semper existimaverunt, quasi exempli causa vestigia antiqui offici
              remanent. Ea Sex. Roscium inopem, ejectum domo atque expulsum ex suis bonis, fugientem
              latronum tela et minas, [p447] recepit domum hospitique oppresso jam desperatoque ab
              omnibus opitulata est. Ejus virtute, fide, diligentia factum est, ut hic potius vivus
              in reos quam occisus in proscriptos referretur.<choice>
                <orig/>
                <reg> [28]</reg>
              </choice> Nam postquam isti intellexerunt summa diligentia vitam Sex. Rosci custodiri
              neque sibi ullam cædis faciendæ potestatem dari, consilium ceperunt plenum sceleris et
              audaciæ, ut nomen hujus de parricidio deferrent, [p448] ut ad eam rem aliquem
              accusatorem veterem compararent, qui de ea re posset dicere aliquid, in qua re nulla
              subesset suspicio, denique ut, quoniam crimine non poterant, tempore ipso pugnarent.
              Ita loqui homines: 'Quod judicia tam diu facta non essent, condemnari eum oportere,
              qui primus in judicium adductus esset; huic autem patronos propter [p449] Chrysogoni
              gratiam defuturos; de bonorum venditione et de ista societate verbum esse facturum
              neminem; ipso nomine parricidi et atrocitate criminis fore, ut hic nullo negotio
              tolleretur, cum ab nullo defensus esset.<choice>
                <orig/>
                <reg> [29]</reg>
              </choice> Hoc consilio atque adeo hac amentia impulsi, [p450] quem ipsi, cum cuperent,
              non potuerunt occidere, eum jugulandum vobis tradiderunt.</q></note>
          <q rend="inline">Sextus Roscius, <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice> de ma partie, <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> un citoyen d'Amerie. Sa naissance, <pb xml:id="p434"/> sa noblesse, sa fortune
            le <choice>
              <orig>mettoient</orig>
              <reg>mettaient</reg>
            </choice> au premier rang, non seulement dans cette ville municipale, mais encore dans
            tous les environs. Il <choice>
              <orig>joignoit</orig>
              <reg>joignait</reg>
            </choice> à cela la faveur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'amitié de la noblesse la plus distinguée qu'il <choice>
              <orig>recevoit</orig>
              <reg>recevait</reg>
            </choice> chez lui. Sa maison <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> fréquentée par les Metellus, les Servilius, les Scipions&#160;: il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> même avec eux des liaisons intimes <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> une espèce<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus moderne
              que dans le reste du texte.</note> de familiarité. Si je rappelle ici ces grands noms,
            c'est avec la distinction <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le respect qui leur sont dûs. De tous les avantages dont <choice>
              <orig>jouissoit</orig>
              <reg>jouissait</reg>
            </choice> Roscius, ce dernier est le seul qu'il ait laissé à son malheureux fils. Des
            brigands domestiques ont envahi son patrimoine qu'ils <choice>
              <orig>possédent</orig>
              <reg>possèdent</reg>
            </choice> maintenant&#160;; mais les <choice>
              <orig>connoissances</orig>
              <reg>connaissances</reg>
            </choice> et les amis de son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>, prennent <pb xml:id="p435"/> la défense de sa réputation, de son innocence <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de sa vie. Roscius <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> toujours été le partisan de la noblesse&#160;; il le fut plus que jamais dans
            ces derniers troubles, où la dignité <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la vie de tous les nobles furent exposées aux plus grands dangers, et il
            n'épargna, dans son voisinage, ni ses soins, ni son zèle, ni son crédit pour une si
            belle cause. Il <choice>
              <orig>regardoit</orig>
              <reg>regardait</reg>
            </choice> comme un devoir pour lui de défendre l'honneur de ceux à qui il <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> celui dont il <choice>
              <orig>jouissoit</orig>
              <reg>jouissait</reg>
            </choice> lui-même parmi ses concitoyens. La victoire s'étant enfin déclarée, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ses combats ayant cessé, dans le temps où l'on <choice>
              <orig>arrêtoit</orig>
              <reg>arrêtait</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>par-tout</orig>
              <reg>partout</reg>
            </choice>, où l'on <choice>
              <orig>proscrivoit</orig>
              <reg>proscrivait</reg>
            </choice> ceux qui <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> soupçonnés d'avoir tenu le parti contraire, <pb xml:id="p436"/> il se montra
            fréquemment dans Rome, au milieu de la place publique, sous les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> des citoyens&#160;; il parut enfin prendre part au triomphe de la noblesse,
            bien loin d'appréhender qu'il ne lui en arrivât aucun accident. Depuis <choice>
              <orig>long-temps</orig>
              <reg>longtemps</reg>
            </choice> il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> des démêlés avec les deux Roscius d'Amerie, dont l'un est ici sous mes <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> parmi les accusateurs<choice>
              <orig>,</orig>
              <reg>&#160;;</reg>
            </choice> l'autre <choice>
              <orig>posséde</orig>
              <reg>possède</reg>
            </choice>, à ce que j'apprends, trois fonds de terre de l'accusé. Si Roscius eût été
            aussi attentif à prévenir les effets de ces démêlés, qu'ils lui <choice>
              <orig>causoient</orig>
              <reg>causaient</reg>
            </choice> d'<choice>
              <orig>allarmes</orig>
              <reg>alarmes</reg>
            </choice>, il <choice>
              <orig>vivroit</orig>
              <reg>vivrait</reg>
            </choice> aujourd'hui. Et ce n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> pas sans fondement qu'il <choice>
              <orig>craignoit</orig>
              <reg>craignait</reg>
            </choice> les ressentiments d'un T. Roscius Capiton, d'un T. Roscius Magnus, qui est ici
              présent.<pb xml:id="p437"/>
            <choice>
              <orig>Connoissez</orig>
              <reg>Connaissez</reg>
            </choice>, Messieurs, de quels hommes je parle&#160;: l'un est un ancien gladiateur,
            déjà fameux par plus d'une victoire remportée dans l'<choice>
              <sic>arêne</sic>
              <corr>arène</corr>
            </choice>&#160;: l'autre, qui n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> encore qu'un novice avant cet exploit, a pris depuis peu les leçons de cet
            excellent maître d'escrime, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'a bientôt emporté sur lui en scélératesse <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> en audace. En effet, suivons l'ordre des faits, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> je me flatte qu'ils vous feront voir clairement sur qui doivent tomber les
            soupçons du crime qui nous occupe. Sextus Roscius, pour qui je parle, est à Amerie, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> T. Roscius est à Rome&#160;; celui-là passe ses jours dans ses terres, où il
            se livre tout entier à la vie champêtre et au <pb xml:id="p438"/> soin de ses biens pour
            se conformer à la volonté de son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>&#160;; celui-ci ne sort point de la capitale&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> c'est dans ces circonstances que Sext. Roscius le <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice> est assassiné près des bains du mont Palatin, en revenant de souper. Mais ce
            ne sont là que des soupçons&#160;; allons plus loin&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> si la suite des <choice>
              <orig>événemens</orig>
              <reg>événements</reg>
            </choice> n'apporte ici l'évidence, je consens que vous regardiez ma partie comme
            coupable de ce meurtre. Le premier qui porta à Amerie la nouvelle de la mort de Roscius,
            fut un certain Manlius Glaucia, homme obscur, affranchi, client <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ami particulier de ce T. Roscius&#160;: où va-t-il l'annoncer&#160;? ce n'est
            pas chez son fils, mais chez T. Capiton, <pb xml:id="p439"/> son ennemi&#160;: le
            meurtre <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> été commis plus d'une heure après la nuit fermée, et le courrier arrive au
            point du jour à Amerie, ayant ainsi parcouru en chaise pendant les <choice>
              <orig>ténébres</orig>
              <reg>ténèbres</reg>
            </choice>, cinquante-six mille pas en dix heures de temps. Le but de tant de diligence n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> pas seulement d'apporter le premier à Capiton, une nouvelle qui put flatter sa
            haine&#160;: il <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, et fumant
            encore du sang qu'il <choice>
              <orig>venoit</orig>
              <reg>venait</reg>
            </choice> de répandre. Quatre jours après, on se rend à Volaterra, dans le camp de
            Sylla&#160;; on y raconte cet événement à Chrysogonus&#160;: on lui expose les sommes
            considérables <pb xml:id="p440"/> que laisse le défunt, la richesse de ses fonds, au
            nombre de treize, presque tous sur les bords du Tibre&#160;: on lui fait remarquer que
            son fils est sans ressource et sans appui&#160;: Si Sext. Roscius, lui dit-on, malgré sa
            magnificence <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> son crédit, a pu être assassiné sans peine, on peut plus aisément encore se
            défaire d'un particulier inconnu dans Rome&#160;: on lui offre, on lui promet de
            l'exécuter&#160;: en un mot, Messieurs, le complot se forme. On ne <choice>
              <orig>parloit</orig>
              <reg>parlait</reg>
            </choice> plus alors de proscriptions&#160;; ceux-mêmes que la crainte <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> mis en fuite, <choice>
              <orig>reparoissoient</orig>
              <reg>reparaissaient</reg>
            </choice> et se <choice>
              <orig>croyoient</orig>
              <reg>croyaient</reg>
            </choice> hors de danger&#160;: n'importe&#160;; Chrysogonus se porte pour adjugataire
              <pb xml:id="p441"/> des biens d'un citoyen, toujours dévoué à la noblesse. On donne en
            toute propriété à Capiton trois des meilleures terres, qu'il <choice>
              <orig>posséde</orig>
              <reg>possède</reg>
            </choice> aujourd'hui&#160;: et ce T. Roscius ici présent, s'empare de tout le reste du
            bien&#160;; mais, comme il le dit lui-même, au nom de Chrysogonus. <choice>
              <orig>...</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> Je suis parfaitement instruit, Messieurs, que tout cela s'est passé à <choice>
              <sic>l'insçu</sic>
              <corr>l'insu</corr>
            </choice> de Sylla. Doit-on être surpris en effet, qu'il échappe quelque chose à un
            homme chargé <choice>
              <orig>tout-à-la-fois</orig>
              <reg>tout à la fois</reg>
            </choice>, de réparer les maux passés, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de prévenir ceux qui semblent nous menacer&#160;; à un homme qui seul a le
            pouvoir de faire la guerre, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les moyens d'établir la paix, sur qui tous les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice>
            <pb xml:id="p442"/> sont ouverts, de qui tout dépend&#160;; à un homme enfin, occupé de
            tant d'affaires importantes, qu'à peine a-t-il le temps de respirer&#160;: <choice>
              <orig>sur-tout</orig>
              <reg>surtout</reg>
            </choice> si l'on se représente une foule de gens attentifs à observer le temps où il
            est le plus sérieusement appliqué, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à saisir l'instant où il détourne les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice>, pour ourdir quelque trame pareille à celle-ci. Sylla est heureux sans doute,
            ce titre lui convient&#160;: mais quelque soit son bonheur, il est impossible que dans
            un nombreux domestique, il n'y ait pas un esclave, pas un affranchi, dont la probité se
            soit jamais démentie. Cependant, ce même T. Roscius, ce vertueux procureur de
            Chrysogonus, <pb xml:id="p443"/> arrive à Amerie&#160;: il s'empare des terres de
            Sextus, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>, avant que ce malheureux fils eut pu rendre les derniers devoirs aux cendres
            de son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>, il le dépouille, il ne lui laisse que la <choice>
              <orig>misere</orig>
              <reg>misère</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les larmes, il l'arrache violemment à ses Dieux Pénates,<note resp="editor"
              >"Les Pénates sont des divinités étrusques puis romaines. Ils sont chargés de la garde
              du foyer et plus particulièrement des biens, du feu servant à faire la cuisine et du
              garde-manger." (Art. "Pénates", Wikipedia, <ref
                target="http://fr.wikipedia.org/wiki/Pénates"
                >http://fr.wikipedia.org/wiki/Pénates</ref>.)</note> il le bannit, il le chasse de
            sa propre maison, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> devient le maître d'une ample <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> riche succession. Destiné par son état aux humiliations de l'indigence, il
            devint audacieux dans une fortune <choice>
              <orig>étrangere</orig>
              <reg>étrangère</reg>
            </choice>&#160;; c'est l'ordinaire. Il emporta publiquement plusieurs effets chez
            lui&#160;: il en fit <choice>
              <orig>disparoître</orig>
              <reg>disparaître</reg>
            </choice> bien d'autres <choice>
              <orig>secretement</orig>
              <reg>secrètement</reg>
            </choice>&#160;: il fit de riches <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de magnifiques <choice>
              <orig>présens</orig>
              <reg>présents</reg>
            </choice> à ses coopérateurs, <pb xml:id="p444"/> et fit vendre le reste à l'<choice>
              <orig>enchere</orig>
              <reg>enchère</reg>
            </choice>. Cette conduite parut si indigne aux habitants d'Amerie, que la ville <choice>
              <orig>entiere</orig>
              <reg>entière</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>retentissoit</orig>
              <reg>retentissait</reg>
            </choice> de pleurs et de <choice>
              <orig>gémissemens</orig>
              <reg>gémissements</reg>
            </choice>. Mille objets se <choice>
              <orig>réunissoient</orig>
              <reg>réunissaient</reg>
            </choice> pour augmenter leur douleur&#160;; la mort cruelle du plus illustre de leurs
            concitoyens, l'état déplorable de son fils dépouillé du plus beau patrimoine par
            l'avarice d'un scélérat, qui ne lui <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas même laissé un sentier pour aller verser des larmes sur le tombeau de son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>, la vente et l'usurpation criminelle de de ses biens dissipés par le vol, les
            rapines et les prodigalités. Il n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> point d'accident, point de malheur qu'on trouvât comparable à celui <pb
              xml:id="p445"/> de voir un T. Roscius enrichi <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> décoré des biens de Sext. Roscius, le plus <choice>
              <sic>honnêtes</sic>
              <reg>honnête</reg>
            </choice> et le plus vertueux des hommes. En conséquence les Décurions<note
              resp="editor">Les décurions sont les membres de "l'ordo decurionum", c'est-à-dire des
              assemblées locales des cités ou municipes de l'Empire romain (voir Art. "Ordre
              décurional", Wikipédia, <ref
                target="http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_d%C3%A9curional"
                >http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre décurional</ref> )</note> s'assemblent <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ordonnent par un <choice>
              <orig>decret</orig>
              <reg>décret</reg>
            </choice>, que les dix premiers d'entr'eux se rendront auprès de Sylla, qu'ils lui
            représenteront quel homme <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> S. Roscius, qu'ils se plaindront de l'injustice de ces scélérats, qu'ils le
            prieront enfin de mettre à couvert sous sa protection <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'honneur d'un <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice> mort, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la fortune d'un fils innocent. <choice>
              <orig>...</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> Les députés arrivent au camp. C'est ici, Messieurs, qu'on <choice>
              <orig>reconnoît</orig>
              <reg>reconnaît</reg>
            </choice> la vérité de ce que j'ai dit, que Sylla <choice>
              <orig>ignoroit</orig>
              <reg>ignorait</reg>
            </choice> ces infamies et ces horreurs. Chrysogonus vient trouver <pb xml:id="p446"/>
            les députés lui-même&#160;; il leur <choice>
              <orig>envoye</orig>
              <reg>envoie</reg>
            </choice> des gens de distinction pour les prier de ne point voir Sylla, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les assurer que Chrysogonus se soumettra à tout ce qu'ils désirent. Il <choice>
              <orig>appréhendoit</orig>
              <reg>appréhendait</reg>
            </choice> si fort que toutes ces intrigues ne vinssent aux oreilles de Sylla, qu'il eût
            préféré la mort à un pareil accident. Les députés élevés dans la simplicité des premiers
            âges, <choice>
              <orig>jugeoient</orig>
              <reg>jugeaient</reg>
            </choice> des autres par leur propre cœur. Chrysogonus <choice>
              <orig>protestoit</orig>
              <reg>protestait</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>effaceroit</orig>
              <reg>effacerait</reg>
            </choice> du tableau des <choice>
              <orig>proscripts</orig>
              <reg>proscrits</reg>
            </choice> le nom de Sext. Roscius, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>remettroit</orig>
              <reg>remettrait</reg>
            </choice> à son fils toutes ses terres&#160;: T. Roscius Capiton l'un des dix députés <choice>
              <orig>garantissoit</orig>
              <reg>garantissait</reg>
            </choice> ces promesses&#160;: ils les crurent <choice>
              <orig>sinceres</orig>
              <reg>sincères</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>retournerent</orig>
              <reg>retournèrent</reg>
            </choice> à Amerie, sans avoir exécuté leur commission. On com-<pb xml:id="p447"/>mença
            d'abord par différer <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> remettre de jour en jour ce qu'on <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> promis&#160;; ensuite par des lenteurs affectées, on demeura dans l'inaction, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> on éluda l'exécution de ses <choice>
              <orig>engagemens</orig>
              <reg>engagements</reg>
            </choice>&#160;; enfin, il fut aisé de s'<choice>
              <orig>appercevoir</orig>
              <reg>apercevoir</reg>
            </choice> qu'on en <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> aux jours de Sex. Roscius le fils, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> que nos adversaires <choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> compris, qu'ils ne <choice>
              <orig>pouvoient</orig>
              <reg>pouvaient</reg>
            </choice> pas jouir plus <choice>
              <orig>long-temps</orig>
              <reg>longtemps</reg>
            </choice> d'un bien usurpé, s'ils <choice>
              <orig>laissoient</orig>
              <reg>laissaient</reg>
            </choice> vivre celui qui en <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> le propriétaire Iégitime. Roscius pénétra leur dessein&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> par le conseil de ses <choice>
              <orig>parens</orig>
              <reg>parents</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de ses <choice>
              <orig>connoissances</orig>
              <reg>connaissances</reg>
            </choice>, il prit <choice>
              <orig>aussi-tôt</orig>
              <reg>aussitôt</reg>
            </choice> la fuite <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se retira à Rome auprès de Cécilia, fille de Népos, de tout temps l'amie de
            son <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> dont je ne dois parler qu'avec les éloges qu'elle mérite. Oui, Messieurs,
            c'est une opinion <pb xml:id="p448"/> générale que dans cette femme respectable les
            Dieux ont voulu conserver même jusqu'à nos jours des traces de l'humanité <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de la bienfaisance de nos <choice>
              <orig>peres</orig>
              <reg>pères</reg>
            </choice>, comme pour nous servir de modèle. Elle fut sensible à la <choice>
              <orig>misere</orig>
              <reg>misère</reg>
            </choice> de Roscius chassé de sa maison, dépouillé de ses biens, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qui <choice>
              <orig>fuyoit</orig>
              <reg>fuyait</reg>
            </choice> la fureur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les menaces d'une troupe de brigands&#160;; elle le reçut chez elle&#160;;
            elle appuya même de son crédit cet hôte infortuné, abandonné de tout le monde au milieu
            de la plus cruelle oppression. S'il voit encore la <choice>
              <orig>lumiere</orig>
              <reg>lumière</reg>
            </choice> en attendant votre arrêt, si son nom n'est pas parmi ceux des <choice>
              <orig>proscripts</orig>
              <reg>proscrits</reg>
            </choice>, s'il n'est pas lui-même au rang des morts&#160;; c'est à la vertu, à la
            probité, au <choice>
              <orig>zéle</orig>
              <reg>zèle</reg>
            </choice> ardent de Cécilia qu'il le doit. Nos ennemis comprirent que la vie de Roscius <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> à couvert sous une <pb xml:id="p449"/> pareille protection, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu'ils n'<choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> plus de moyens de répandre son sang. Ils <choice>
              <orig>formerent</orig>
              <reg>formèrent</reg>
            </choice> alors un projet digne de la scélératesse <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de l'audace la plus consommée&#160;: ce <choice>
              <sic>fût</sic>
              <corr>fut</corr>
            </choice> de le déférer comme coupable de parricide&#160;; de trouver quelqu'ancien
            délateur, qui pût former une accusation sur un objet, où il n'y <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas lieu au moindre soupçon&#160;; enfin, d'armer pour le perdre les
            circonstances même du temps, puisque leur injuste cruauté <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> sans ressource. Ils se <choice>
              <orig>reposoient</orig>
              <reg>reposaient</reg>
            </choice> sur certains discours que l'on <choice>
              <orig>tenoit</orig>
              <reg>tenait</reg>
            </choice> dans Rome&#160;; qu'après un temps si long, où l'on n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> vu aucun jugement criminel, on ne <choice>
              <orig>pouvoit</orig>
              <reg>pouvait</reg>
            </choice> pas manquer de condamner le premier qui <choice>
              <orig>paroîtroit</orig>
              <reg>paraîtrait</reg>
            </choice> en justice. Ils se <choice>
              <orig>flatterent</orig>
              <reg>flattèrent</reg>
            </choice> que la faveur de Chrysogonus <choice>
              <orig>écarteroit</orig>
              <reg>écarterait</reg>
            </choice> tous ceux qui <choice>
              <orig>voudroient</orig>
              <reg>voudraient</reg>
            </choice> plaider pour l'accusé&#160;; que personne ne se <choice>
              <orig>hasarderoit</orig>
              <reg>hasarderait</reg>
            </choice> de parler de la vente de ses biens <pb xml:id="p450"/> et du complot formé
            contre lui&#160;; que le seul nom de parricide et l'atrocité de ce crime <choice>
              <sic>applaniroient</sic>
              <corr>aplaniraient</corr>
            </choice><note resp="editor">La graphie de l'original n'est pas attestée dans les
              dictionnaires de référence (mais voir Féraud).</note> toutes les difficultés, et le <choice>
              <orig>livreroient</orig>
              <reg>livreraient</reg>
            </choice> sans défense à leur ressentiment et à la mort. C'est dans cette vue,
            Messieurs, c'est avec cette fureur aveugle qu'ils vous ont laissé le soin de faire périr
            un homme, qu'ils n'ont pu égorger eux-mêmes, comme ils le <choice>
              <orig>desiroient</orig>
              <reg>desiraient</reg>
            </choice>.</q></p>
        <p>Je pense comme vous, reprit Timagène, que Cicéron, dix ans plus tard, <choice>
            <orig>auroit</orig>
            <reg>aurait</reg>
          </choice> abrégé ce récit et mieux caché son jeu. Au reste, nous pouvons profiter de cette
          jeunesse&#160;: elle nous laisse mieux <choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice> l'art de l'orateur&#160;; et je remarque d'abord ici cette vraisemblance si fort
          recommandée par Quintilien. Les faits naissent les uns des autres d'une manière si
          naturelle, qu'ils ne laissent pas lieu au moindre soupçon. Un homme riche est assassiné,
          dans des temps de troubles et de désordres&#160;; il a des ennemis qui se proposent
          d'envahir ses biens&#160;: ils s'appuient du crédit d'un <pb xml:id="p451"/> scélérat
          puissant et avide, pour se défaire d'un héritier incommode&#160;: tout cela n'est que la
          marche ordinaire du crime et de la passion. Rien de plus naturel que les artifices dont
          ils se servent pour tromper les députés d'Amerie, et pour éluder les promesses qu'ils leur <choice>
            <orig>avoient</orig>
            <reg>avaient</reg>
          </choice> faites&#160;: enfin rien de plus familier à des pervers, que d'employer la
          faveur d'un de leurs complices, pour armer sa justice elle-même contre l'innocence qu'ils
          veulent perdre. Tout s'accorde ici parfaitement bien&#160;: l'abus de la faveur dans
          Chrysogonus, avec le rôle timide qu'il joue&#160;; le <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les habitudes des deux Roscius, avec l'intrigue qu'ils conduisent. La simplicité
          des députés, est un tableau d'après nature. Il n'y a pas moins d'adresse dans ce récit à
          préparer les preuves. On est à <choice>
            <orig>demi-persuadé</orig>
            <reg>demi persuadé</reg>
          </choice>, lorsqu'on l'a entendu. Cicéron <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice> établir, ce me semble, que les deux Roscius <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> eux-mêmes les seuls auteurs du meurtre dont ils <choice>
            <orig>accusoient</orig>
            <reg>accusaient</reg>
          </choice> leur parent. Dans cette vue, il a soin d'observer que Roscius le <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> partisan de la noblesse, à la tête de laquelle <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> Sylla&#160;: ce qui prouve qu'il n'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> point été mis au nombre des <choice>
            <orig>proscripts</orig>
            <reg>proscrits</reg>
          </choice>. Il fait remarquer les inimités <pb xml:id="p452"/> qui <choice>
            <orig>regnoient</orig>
            <reg>regnaient</reg>
          </choice> entre le défunt et les accusateurs&#160;; tandis que le fils n'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> jamais témoigné que du respect et de l'obéissance à son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>&#160;: mais il s'arrête surtout sur le temps, le lieu <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les circonstances de cet assassinat, qui donnent ici le plus grand jour. Au
          moment que Roscius perd la vie à Rome, Titus est dans cette capitale, et Sextus à
          Amerie&#160;: un ami de Titus en porte la nouvelle dans cette <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice> ville, en dix heures de nuit, non pas à Sextus, mais à Capiton l'un des
          accusateurs&#160;: après la mort du <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>, ses biens se trouvent partagés entre les deux Roscius <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> Chrysogonus, tandis que le fils est dépouillé et réduit à l'indigence, et n'a pu
          obtenir la liberté de défendre sa vie, que par la protection de Cécilia. Assurément il
          faut être aveugle, et aveugle volontaire, pour ne pas voir dans ce détail de quelle main
          le coup est parti.</p>
        <p>Tout cela est fort bien, comme vous le remarquez, poursuivit Euphorbe&#160;: mais que
          pensez-vous de l'habileté de notre orateur à se tirer de l'embarras où le <choice>
            <orig>mettoit</orig>
            <reg>mettait</reg>
          </choice> sa propre cause, et à intéresser ses juges pour sa partie&#160;? Défendre un
          malheureux, sans appui, contre les poursuites d'un homme tout-puissant <pb xml:id="p453"/>
          par la faveur de Sylla, qui seul <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> alors le maître, ou plutôt, le tyran<note resp="editor">La graphie est ici plus
            moderne que dans le reste du texte.</note> de Rome, vous conviendrez que c'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> une entreprise difficile, et peut-être aussi périlleuse pour l'avocat, que pour
          son client. Cicéron ne fut point enrayé de ces difficultés, et trouva dans son <choice>
            <orig>art,</orig>
            <reg>art</reg>
          </choice> de quoi les vaincre. Il fait réflexion que le temps où il parle est le <choice>
            <orig>regne</orig>
            <reg>règne</reg>
          </choice> de la noblesse&#160;; que Sylla s'est ouvertement déclaré pour ce premier corps
          de l'état, dont il <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> membre lui-même&#160;; qu'il a choisi ses juges dans les plus illustres maisons
          des patriciens, tels que les Métellus, les Servilius, les Scipions&#160;: il a grand soin <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice> de représenter le <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice> de Roscius comme un homme dévoué aux intérêts de la noblesse, et partisan de
          tout ce qui <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> un grand nom dans la république. Ce n'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> pas encore là le pas le plus dangereux. Cette <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> de penser <choice>
            <orig>pouvoit</orig>
            <reg>pouvait</reg>
          </choice> rendre la mémoire de Roscius plus <choice>
            <orig>chere</orig>
            <reg>chère</reg>
          </choice> à ceux qui <choice>
            <orig>devoient</orig>
            <reg>devaient</reg>
          </choice> venger sa mort&#160;; mais il <choice>
            <orig>falloit</orig>
            <reg>fallait</reg>
          </choice> attaquer Chrysogonus l'ami, le confident, le favori du nouveau souverain,
          dévoiler son avarice et montrer qu'il <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> l'âme de cette intrigue. Comment exécuter tout cela sans nuire à sa cause en
          irritant Sylla, qu'on <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> naturellement <pb xml:id="p454"/> soupçonner <choice>
            <sic>d'authoriser</sic>
            <corr>d'autoriser</corr>
          </choice>, ou du moins de tolérer ces crimes&#160;? C'est à prévenir cet inconvénient que
          Cicéron emploie toute son adresse. Il assure que le chef de la république <choice>
            <orig>ignoroit</orig>
            <reg>ignorait</reg>
          </choice> absolument ces odieuses menées&#160;: et il <choice>
            <orig>appuye</orig>
            <reg>appuie</reg>
          </choice> cette assurance sur sa propre <choice>
            <orig>connoissance</orig>
            <reg>connaissance</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>particuliere</orig>
            <reg>particulière</reg>
          </choice>&#160;; sur les agitations et les inquiétudes de Chrysogonus, lorsqu'il
          appréhende que Sylla ne soit instruit de ce qui se passe&#160;; enfin sur la nature même
          des occupations de cet heureux vainqueur de Marius&#160;; et cette <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice> preuve lui donne occasion de faire un éloge de Sylla, d'autant plus flatteur,
          qu'il semble amené par la nécessité de la cause, et qu'il <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> qu'on ne se propose que d'excuser sa conduite. Sylla est l'homme de
          l'état&#160;: c'est sur lui seul que roulent les intérêts publics et particuliers,
          présents et à venir&#160;: enfin il consacre au soin de la république son temps, son repos
          et les douceurs de sa vie. Remarquer que Cicéron ne dit ici rien que de vrai, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'il n'est point adulateur, même en faisant la cour à un usurpateur. Le beau
          portrait qu'il fait ensuite de Cécilia, femme de Sylla, n'est pas moins propre à gagner le
          dernier. Célébrer les vertus d'une épouse, <pb xml:id="p455"/> c'est louer le choix qu'à
          fait son époux. Enfin, la peinture de l'état affreux où se trouve Roscius obligé de
          défendre son honneur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sa vie contre ceux qui lui ont ravi ses biens <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'auteur de ses jours, privé de la triste consolation d'arroser de ses larmes
          les cendres de son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>, doit intéresser les cœurs les plus insensibles.</p>
        <p>Le pathétique et les autres <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> de l'éloquence, répliqua Timagène, trouvent donc place aussi dans le récit
          oratoire&#160;? Comment, s'il vous plaît, accordez-vous cela, avec cette simplicité qui
          lui est si recommandée&#160;?</p>
        <p>C'est précisément là que j'en <choice>
            <orig>voulois</orig>
            <reg>voulais</reg>
          </choice> venir, poursuivit Euphorbe. La simplicité de cette narration, consiste plutôt à
          avoir des <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> mâles <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sérieux, qu'à n'en point avoir. Le même Cicéron, bon juge en cette <choice>
            <orig>matiere</orig>
            <reg>matière</reg>
          </choice>, en parlant de cette partie du discours,<note resp="author">De orator.
            partitionibus. c. 35.</note> même dans le genre judiciaire, y admet les objets <choice>
            <orig>frappans</orig>
            <reg>frappants</reg>
          </choice>, les surprises inopinées, les grands <choice>
            <orig>mouvemens</orig>
            <reg>mouvements</reg>
          </choice>, les <choice>
            <orig>sentimens</orig>
            <reg>sentiments</reg>
          </choice> de la douleur, de la crainte, de la joie, de la tristesse. On y voit meme <pb
            xml:id="p456"/> avec plaisir, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans le panégyrique des pensées ingénieuses et délicates, telles que celle de
          Pline, en faisant l'éloge de Trajan&#160;;<note resp="author"><q rend="italic">Credent ne
              posteri, nihil ipsum, ut imperator fieret, agitasse, nihil fecisse, nisi quod meruit <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> paruit&#160;?</q></note>
          <q rend="inline"><choice>
              <orig>la</orig>
              <reg>La</reg>
            </choice> postérité pourra-t-elle croire que ce prince n'a jamais recherché la
            souveraine puissance, et que, pour y parvenir, il n'a fait d'autres démarches que la
            mériter et obéir.</q> Mais, dans ces <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>, il faut toujours beaucoup de réserve <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de sagesse, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> en bannir tout ce qui a l'air affecté ou trop étudié. De tous les défauts, dit
            Quintilien,<note resp="author"><q rend="italic">Omnium vitiorum pessimum&#160;: nam
              eætera cum vitentur, hoc petitur.</q> Instit. lib. 8. cap. 3.</note> l'affectation est
          le pire&#160;: on évite les autres&#160;; on recherche celui-là.</p>
        <p>Vous prévenez une difficulté que j'<choice>
            <orig>allois</orig>
            <reg>allais</reg>
          </choice> vous faire, interrompit Timagène, à l'occasion du récit oratoire que vous venez
          d'examiner. Car parmi les beautés sans nombre qui s'y rencontrent, je crois y <choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice> des traits qui ont besoin de quelque indulgence. N'y a-t-il pas quelque chose de
          forcé dans cette idée, <pb xml:id="p457"/> que Glaucia <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice>
          <q rend="italic">non seulement apporter le premier à Capiton une nouvelle qui pût flatter
            sa haine, mais encore lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> fumant encore du sang qu'il <choice>
              <orig>venoit</orig>
              <reg>venait</reg>
            </choice> de répandre&#160;?</q> J'<choice>
            <orig>aurois</orig>
            <reg>aurais</reg>
          </choice> désiré, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice>, que cet illustre orateur nous eût épargné plusieurs jeux de mots, que votre
          traduction a fait <choice>
            <orig>disparoître</orig>
            <reg>disparaître</reg>
          </choice> en grande partie. Tel est, <q rend="italic">ut hic potius vivus in reos, quam
            occisus in proscriptos referretur</q>&#160;; Cæcilia a fait en sorte que Roscius fut
          placé plutôt parmi les accusés pendant sa vie, que parmi les <choice>
            <sic>proscripts</sic>
            <corr>proscrits</corr>
          </choice> après sa mort&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ces deux autres, qu'on ne peut rendre exactement dans notre langue, <q
            rend="italic">quorum alterum sedere in accusatorem subselliis video, alterum tria
            hujusce prædia possidere audio</q>&#160;: et plus bas, <q rend="inline">ut ad eam rem
            aliquem accusatorem veterem compararent, qui de ed re posset dicere aliquid, in qua re
            nulla subesset suspicio</q>. Je ne vois pas quelle grâce peut avoir dans cet endroit, le
          mot <hi rend="italic">res</hi> répété jusqu'à trois fois. En général, <choice>
            <sic>l'anthitèse</sic>
            <corr>l'antithèse</corr>
          </choice> se montre un peu souvent dans tout ce morceau.</p>
        <p>Je ne vous accuserai plus, reprit Euphorbe, de trop aimer les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> du <pb xml:id="p458"/>
          <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>. Il me <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> que vous devenez sévère&#160;;<note resp="editor">La graphie de l'original est
            ici plus moderne que dans le reste du texte.</note> mais cette sévérité même fait
          honneur à Ciceron. Vous en auriez peut-être moins pour tout autre. La <choice>
            <orig>poussiere</orig>
            <reg>poussière</reg>
          </choice> la plus <choice>
            <orig>légere</orig>
            <reg>légère</reg>
          </choice> s'<choice>
            <orig>apperçoit</orig>
            <reg>aperçoit</reg>
          </choice> mieux sur une glace, que sur la pierre ou le bois. Malgré ces petits défauts,
          l'exemple que je vous ai apporté suffit pour prouver, que le grand <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le pathétique peut<note>Desit: accord?</note> trouver place dans le récit
          oratoire. Les pensées et les allusions fines et délicates n'en sont pas même exclues.
          Témoin celle que fait Ciceron en parlant d'une comédienne que Verres <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> prise à sa suite, et dont la présence <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> indigné toutes les dames qui <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> de la compagnie du préteur. <q rend="inline">Ce nouvel Annibal, dit l'orateur,
            convaincu que le mérite seul, et non la naissance, <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> décider des rangs dans son camp, eut tant d'attachement pour cette femme,
            qu'il la transporta avec lui en quittant son département.</q><note resp="author"><q
              rend="inline">Iste autem Annibal qui in suis castris putabat oportere virtute non
              genere certati, sic eam Tertiam dilexit, uc eam secum ex provincâ exportatet.</q>
            <hi rend="italic">In Verrem. lib. 5</hi>.</note> J'en <choice>
            <orig>pourrois</orig>
            <reg>pourrais</reg>
          </choice> citer plusieurs autres semblables.</p>

        <p><pb xml:id="p459"/> Je trouve dans Cicéron, ajouta Timagène, un mérite qui n'est pas
          commun&#160;; c'est d'être aussi bon rhéteur que parfait orateur. Ces deux <choice>
            <orig>talens</orig>
            <reg>talents</reg>
          </choice> sont rarement unis&#160;: j'en suis étonné. Car enfin ceux qui font une étude <choice>
            <orig>particuliere</orig>
            <reg>particulière</reg>
          </choice> des <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> de l'éloquence, qui les enseignent aux autres, doivent être en état d'en faire
          usage eux-mêmes.</p>
        <p>C'est précisément, répartit Euphorbe, parce qu'ils les savent trop, qu'ils reussissent
          assez mal dans un discours. La crainte de s'en écarter les rend timides, émousse leur
          goût, <choice>
            <orig>desseche</orig>
            <reg>déssèche</reg>
          </choice> leur imagination, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ne leur permet pas de se livrer à ces élans de génie qui décèlent un grand
          maître. Dans tous les arts, la contrainte est ennemie de la perfection. Dans l'éloquence,
          les <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> les plus sûres que puisse suivre l'avocat, sont la nature, les circonstances <choice>
            <orig>particuliéres</orig>
            <reg>particulières</reg>
          </choice> de sa cause <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> son propre goût. Si vous voulez achever de vous convaincre que le récit oratoire
          admet des <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> lorsque le sujet l'exige, consultez l'orateur <choice>
            <orig>Romain</orig>
            <reg>romain</reg>
          </choice>, dans son <choice>
            <orig>plaidoyer pour A. Cluentius</orig>
            <reg><hi rend="italic">Plaidoyer pour A. Cluentius</hi></reg>
          </choice>&#160;: vous y verrez quels <choice>
            <orig>sentimens</orig>
            <reg>sentiments</reg>
          </choice>, quel pathétique il répand dans cette partie du discours. Il use de la liberté
          qu'il a donnée aux autres, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p460"/> met en jeu jusqu'aux éclairs de l'<choice>
            <sic>anthithèse</sic>
            <corr>antithèse</corr>
          </choice>. Faut-il peindre la conduite d'une <choice>
            <orig>mere</orig>
            <reg>mère</reg>
          </choice> qui arrache son gendre des bras de sa propre fille, pour l'épouser elle-même, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui poursuit son fils au criminel&#160;? Il est difficile d'employer des
          couleurs plus vives que celles-ci.<note resp="author">Mater hujus Aviti (mater enim à me
            in omni causâ, tametsi in hune hostili odio <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> crudelitate est, mater, inquam, appellabitur&#160;; neque unquam illa ita de
            suo scelere audiet, tu naturae nomen amittat. Quô enim est ipsum nomen amantius
            indulgentiusque maternum, hoc illius marris, quae multos jam annos, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> nunc quàm maxime filium interfectum cupit, fingulare scelus majore odio dignum
            esse ducetis) ea igitur mater. ... ita [p461] flagrare cœpit amentiâ, sic inflammata
            ferri libidine, ut eam non pudor, non pudicitia, non pietas, non macula familiae, non
            hominum fama, non filii dolor, non filiae mœror à cupiditate revocaret. <hi
              rend="italic">Orat. pro Cluent. n. 12</hi>.</note>
          <q rend="inline">La mère<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus moderne
              que dans le reste du texte.</note> d'Avitus (car, dans toute cette cause, je lui
            donnerai ce nom malgré sa cruauté et sa haine implacable&#160;; en détaillant sa
            barbarie et ses crimes, je ne lui ferai point perdre un titre qu'elle tient de la
            nature&#160;; et plus ce terme semble exprimer de sensibilité et d'amour, plus il vous
            rendra odieuse une <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice> assez malheureuse pour désirer depuis longtemps, et aujourd'hui plus que
            jamais, la mort de son propre fils), cette <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice> donc ... se laissa tellement aveugler par sa passion, <pb xml:id="p461"/>
            tellement embraser par des feux impurs, que ni la honte, ni la vertu, ni les <choice>
              <orig>sentimens</orig>
              <reg>sentiments</reg>
            </choice> de la nature, ni l'affront qu'elle <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> à sa famille, ni sa réputation ni le désespoir de son fils, ni les <choice>
              <sic>lar-</sic>
              <corr>larmes</corr>
            </choice><note resp="editor">Le mot est incomplet dans l'original. La coquille semble
              due au passage à la ligne qui se trouve en cet endroit.</note> de sa fille ne purent
            en amortir les ardeurs.</q> Quel tableau plus riche et plus touchant que celui de la
          jeune épouse à qui ce divorce a ravi son époux&#160;?<note resp="author">Filia quæ ...
            nefarium matris pellicatum ferre non posset, de quo ne queri quidem sine scelere se
            posse arbitraretur, cœceros fui tanti mali ignaros esse cupiebat&#160;: in hujus
            amantissimi sui fratris manibus <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> gremio, mœrore <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> lacrimis consenescebat. <hi rend="italic">lb. n. 13</hi>.</note>
          <q rend="inline">Cette fille infortunée, qui ... ne <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> qu'avec horreur le désordre de sa <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>croyoit</orig>
              <reg>croyait</reg>
            </choice> ne pouvoir s'en plaindre, sans commettre un crime. Contente de répandre ses
            pleurs dans le sein d'un <choice>
              <orig>frere</orig>
              <reg>frère</reg>
            </choice> qu'elle <choice>
              <orig>aimoit</orig>
              <reg>aimait</reg>
            </choice>, elle <choice>
              <orig>désiroit</orig>
              <reg>désirait</reg>
            </choice> que tout l'univers ignorât l'excès de ses maux, et <choice>
              <orig>laissoit</orig>
              <reg>laissait</reg>
            </choice> ses plus belles années se flétrir dans l'amertume et la douleur.</q> Celui de
          la <choice>
            <orig>mere</orig>
            <reg>mère</reg>
          </choice> fait <pb xml:id="p462"/> un charmant contraste avec celui-<choice>
            <orig>là</orig>
            <reg>là.</reg>
          </choice><note resp="author">Tum vero illa egregia ac praeclara mater palam exultare
            laetitiâ, ac triumphare gaudio cœpit, victrix filiae, non libidinis. <hi rend="italic"
              >Ibid. n. 14</hi>.</note>
          <q rend="inline">Alors cette admirable, cette incomparable <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice> ne met plus de bornes à sa joie&#160;; tout son air l'annonce&#160;; elle
            triomphe, elle s'applaudit de la victoire qu'elle vient de remporter, non sur son infâme
            passion, mais sur sa fille.</q> L'orateur ensuite déclame avec force contre une conduite
          si indigne&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> là, il met en jeu les plus grands ressorts de l'éloquence, et prodigue les
          figures les plus brillantes.<note resp="author">O audaciam singularem&#160;! Non timuisse
            si minus vim deorum hominumque famam, at illam ipsam noctem facesque illas
            nuptiales&#160;? Non limen cubiculi&#160;? Non cubile filiae&#160;? Non parietes denique
            ipsos, superiorum testes [p463] nuptiarum&#160;? Perfregit ac prostravit omnia
            cupiditate ac furore. Vicit pudorem libido, timorem audacia, rationem amenda. <hi
              rend="italic">Ibid. n. 15</hi>.</note>
          <q rend="inline">Quelle audace plus <choice>
              <orig>singuliere</orig>
              <reg>singulière</reg>
            </choice>&#160;! si elle ne <choice>
              <orig>redoutoit</orig>
              <reg>redoutait</reg>
            </choice> ni la vengeance des dieux, ni les discours des hommes, comment n'a-t-elle pas
            tremblé à la vue des flambeaux solemnels, qui <choice>
              <orig>éclairoient</orig>
              <reg>éclairaient</reg>
            </choice> cette nuit affreuse&#160;? quoi&#160;! ces <choice>
              <orig>appartemens</orig>
              <reg>appartements</reg>
            </choice> habités par sa fille, ce lit nuptial, ces murs mêmes, témoins des <pb
              xml:id="p463"/> premiers <choice>
              <orig>engagemens</orig>
              <reg>engagements</reg>
            </choice>, ne l'ont point effrayée&#160;! Non. Sa passion <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa fureur ont tout méprisé, tout renversé, tout foulé aux pieds&#160;:
            l'honneur a cédé à un amour infâme, la crainte à l'audace, la raison à
            l'emportement.</q> Cette narration <choice>
            <orig>entiere</orig>
            <reg>entière</reg>
          </choice> est écrite du même <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>. Vous <choice>
            <orig>appercevez</orig>
            <reg>apercevez</reg>
          </choice>-là, sans doute, tout ce que l'art oratoire a de plus riche et de plus éclatant,
          ou je ne m'y <choice>
            <orig>connois</orig>
            <reg>connais</reg>
          </choice> pas.</p>
        <p>Pour moi, reprit Timagène, je m'y <choice>
            <orig>connois</orig>
            <reg>connais</reg>
          </choice> assez pour voir qu'il n'y a rien de moins simple que ce récit. Il n'est pas
          nécessaire non plus d'être fort habile, pour s'<choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice> que, dans l'état présent de la cause, il <choice>
            <orig>falloit</orig>
            <reg>fallait</reg>
          </choice> quelque chose de plus que de la simplicité. L'orateur <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> sans doute à combattre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à dissiper un préjugé qui <choice>
            <orig>naissoit</orig>
            <reg>naissait</reg>
          </choice> naturellement dans l'esprit des juges contre Cluentius, en le voyant poursuivi
          au criminel par sa propre <choice>
            <orig>mere</orig>
            <reg>mère</reg>
          </choice>. Il <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> donc dévoiler les crimes de cette femme, <pb xml:id="p464"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la peindre comme une <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de monstre, qui en cherchant à faire périr son fils, ne <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice> que mettre le comble aux horreurs dont elle <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> déjà coupable. C'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> le vrai et l'unique moyen d'inspirer autant d'aversion pour elle, que de
          compassion pour son fils. Pour y réussir, il ne <choice>
            <orig>suffisoit</orig>
            <reg>suffisait</reg>
          </choice> pas de détailler froidement ses désordres <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ses indignités&#160;; il <choice>
            <orig>convenoit</orig>
            <reg>convenait</reg>
          </choice> de déployer toute la magie de l'éloquence. Mais tout cela n'est qu'une exception
          à la <choice>
            <orig>régle</orig>
            <reg>règle</reg>
          </choice> commune.</p>
        <p>Cette exception est si fréquente, répartit Euphorbe, qu'on <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice> presque la prendre pour la <choice>
            <orig>régle</orig>
            <reg>règle</reg>
          </choice>. Au reste, je l'appellerai comme il vous plaira, si vous m'accordez que
          l'orateur doit étudier, avant toutes choses, la nature et les circonstances de sa
          cause.</p>
        <p>Je ne risque rien de vous accorder tout, continua Timagène&#160;: je ne peux qu'y gagner.
          Mais enfin ces <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>, que vous admettez dans le récit oratoire, ne doivent pas, sans doute, <choice>
            <orig>paroître</orig>
            <reg>paraître</reg>
          </choice> avec autant de pompe <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de magnificence que ceux de la poésie.<note resp="editor">La graphie de
            l'original est ici (ainsi qu'à la page suivante) plus moderne que dans le reste du
            texte.</note></p>
        <p>Ce que vous dites est incontestable, répondit Euphorbe. L'éloquence, toute majestueuse
          qu'elle est, est sage <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> réservée&#160;: <pb xml:id="p465"/> la poésie est toujours montée sur le
            cothurne,<note resp="editor">"Cothurne, s.m. Sorte de chaussure dont les Acteurs se
            servoient anciennement pour jouer le tragique. Et c'est de-là qu'on dit figurément,
            Chausser le cothurne, pour dire, Faire des Tragédies. On dit aussi d'Un homme, qu'Il
            chausse le cothurne, pour dire, qu'Il prend un style, un ton élevé &amp; pathétique dans
            un ouvrage, dans une occasion qui ne le demande pas." (Voir <hi rend="italic"
              >Dictionnaire de l'Academie francase</hi>, 1762).</note> se soutient par
          l'enthousiasme <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> exige un grand appareil. Ce sujet est trop vaste pour l'entamer aujourd'hui. Le
          jour s'éteint&#160;: l'heure du souper approche&#160;: remettons à traiter cette <choice>
            <orig>matiere</orig>
            <reg>matière</reg>
          </choice> dans une autre conversation.</p>
      </div>
    </body>
  </text>
</TEI>
"Huitième entretien. Narration oratoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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HUITIÈME ENTRETIEN. Narration Oratoire oratoire , ses qualités et ses ornemens ornements .

Sur le soir les deux amis s'étant retrouvés seuls dans le même cabinet, Timagène dit à Euphorbe ; je suis étonné que vous n'ayez pas retenu ici plus longtemps cet homme d'esprit qui vient de nous quitter. Vous me paroissez paraissez fort lié avec lui ; et je crois qu'il a, de son côté, tout ce qu'il faut pour mériter cette liaison.

Il n'a pas dépendu de moi, répondit Euphorbe, qu'il ne passât deux ou trois jours au moins avec nous. Je l'en ai pressé, avant que vous fussiez descendu dans le sallon salon  : mais ses affaires, ou plutôt celles du public, ne lui permettent pas de s'absenter de la ville plus d'un jour. C'est un de nos bons avocats : et il en est peu qui réussisse réussissent mieux que lui, sur-tout surtout dans le récit oratoire ou dans l'exposition du fait.

Quel mérite si rare trouvez-vous donc, répliqua Timagène, à exposer le plus simplement qu'il est possible un événement, dont les détails nous ont été fournis par d'autres? C'est à cela, je pense, que se réduit tout le travail de l'orateur dans cette partie.

Quelque complaisance que j'aye j'aie pour vous, reprit Euphorbe, je ne puis souscrire à votre avis. Et d'abord, en laissant pour un moment les plaidoyers et les mémoires, ou la simplicité n'est assurément pas sans art, il est d'autres discours qui sont du ressort de l'éloquence. Il faut, par exemple, faire l'éloge d'un grand-homme grand homme , après sa mort ou pendant sa vie. Cette espece espèce de discours n'est, à proprement parler, qu'une narration continuelle. Se contentera-t-on alors de cette simplicité sans art et sans ornemens ornements , dont vous parlez . ?

Je n'ai point prétendu, répondit Timagène, renfermer ces sortes de compositions dans ce que je viens de dire. Je sais qu'il faut y déployer toutes les richesses de l'art oratoire, le coloris du stile style , les éclats du sublime, le brillant des pensées et des descriptions. Dans ces occasions, l'auditoire cherche plus le plaisir que la vérité. Si l'on est trompé, c'est qu'on veut l'être ; et cette séduction, sans être nuisible à personne, tend à faire aimer au moins une chimere chimère aimable. Mais vous me permettrez d'ajouter, qu'outre les plaidoyers et les mémoires, il est d'autres discours où la simplicité dans la narration doit tenir lieu d'ornement. Dans le conseil d'un grand prince, on delibere délibère à quel général on confiera le commandement des armées dans une guerre importante. Il faut appuyer le mérite d'un particulier contre le crédit et la faveur. Pour y réussir, il est nécessaire de rappeller rappeler ses expéditions, ses victoires, et les succès dûs à son habileté. Assurément l'harmonie des périodes, la recherche des figures, les fleurs de l'éloquence, seroient seraient bien déplacées dans une pareille circonstance.

J'en conviens, poursuivit Euphorbe. Mais, dans les sujets de ce genre, il est assez rare que l'orateur ait un récit à faire ; et la narration de Cicéron dans ce beau discours01 Orat. pro lege Manil. où il détermina les Romains à charger Pompée de la guerre contre Mithridate, n'est qu'un exposé succinct de l'état où étoient étaient les affaires de Rome en Asie. Quoi qu'il en soit, je vous ai promis de vous faire voir que, dans le récit même d'un plaidoyer, il entre plus d'art que vous ne croyez. Il faut m'acquitter envers vous. Je ne parle point ici de la clarté, de la briéveté brièveté et de ces autres qualités dont nous nous sommes déjà entretenus, et qui sont communes au récit oratoire avec tous les autres récits.02 Voir en particulier le second entretien. Je m'arrête à ce qui lui est propre, c'est-à-dire, à l'adresse nécessaire à l'orateur dans cette partie de son discours ; adresse qui consiste en deux objets principaux, à établir le fondement des preuves, et à disposer favorablement l'esprit des juges et des auditeurs. Pour produire ces deux effets, ce n'est pas assez d'exposer nuement et simplement la chose telle quelle est. Aussi Cicéron , dit-il,03 De inventione, l. 1, c. 35. que la narration dont nous parlons, est l'exposition de ce qui s'est passé, ou de ce qui a dû vraisemblablement se passer : et Quintilien ajoute à cette même idée04 Quint. lib. 4° cap. 2°. Narratio est rei factae, vel ut factae, utilis ad persuadendum expositio. que cette exposition doit préparer les voies à la persuasion. Il ne suffit pas dit encore Cicéron,05 De invent. l. 1, c. 35, & et seq. de veiller à la brièveté, à la clarté, à la vraisemblance dans le récit ; il faut encore éviter qu'il ne soit nuisible, qu'il ne soit inutile, qu'il ne soit déplacé ; enfin il faut faire en sorte qu'il soit analogue à la cause.

Voilà en effet plus d'ouvrage que je n' avois avais imaginé, interrompit Timagène.

Je conçois aisément les deux premiers défauts que proscrit l'orateur Romain. Une narration nuisible, est celle qui seroit serait capable de révolter ou d'indisposer les auditeurs06 Ibid.. Lorsque l'avocat est dans la nécessité de rapporter des faits de ce genre, je pense qu'il ne peut mieux faire, que de les disperser dans tout le cours de son plaidoyer, pour les rendre moins sensibles, et de joindre aussi-tôt aussitôt à chacun d'eux quelque réponse ou quelque réflexion qui serve, pour ainsi dire, d'appareil aux mauvaises suites qu'ils pourroient pourraient avoir. La narration est inutile lorsque le fait est connu de ceux qui nous entendent, et que nous n'avons rien à ajouter à cette connoissance connaissance  ; ou lorsqu'il a été exposé par notre adverse partie, d'une maniere manière qui ne peut nous être désavantageuse. Il est aisé de conclure que dans ces circonstances, il faut omettre toute narration. Mais je ne vois pas aussi clairement quelle est celle que vous nommez déplacée, et celle qui n'est point analogue à la cause. Cette partie du discours, comme vous l'avez remarqué vous-même, doit donner naissance aux preuves : elle doit donc les précéder ; et dès-lors dès lors , il faut qu'elle suive immédiatement l'exorde. Vous regardez apparemment comme déplacées, celles qui n' observeroient observeraient pas cet ordre qui semble dicté par la raison.

Non, mon cher ami, reprit Euphorbe ; ce n'est point là du tout ma pensée. Le raisonnement que vous venez de faire, tout juste qu'il est en général, peut et doit souffrir bien des exceptions. Une narration déplacée est celle qui ne se trouve pas dans l'endroit, où l'intérêt de la cause demande qu'elle se rencontre. Rappellez vous Rappelez-vous le beau plaidoyer de Cicéron pour T. Annius Milon ; vous y verrez une de ces narrations admirablement placée placées , précisément parce qu'elle est hors de sa place ordinaire. Milon et Clodius étoient étaient à la tête de deux factions dans Rome. Le premier venoit venait de mettre à mort son ennemi sur la voie Appienne : le meurtre étoit était constant ; Milon en convenoit convenait  ; il avoit avait même osé reparoître reparaître dans Rome, après un coup aussi hardi. Cependant cet événement faisoit faisait grand bruit dans la ville : le sénat allarmé alarmé d'une pareille audace, avoit avait eu recours aux plus grands remédes remèdes dans les maux de l'état : il avoit avait revêtu Pompée d'un pouvoir absolu par cette fameuse formule,07 Videat Pompeius ne respublica aliquid detrimenti capiat. que Pompée veille à ce que la république ne soit point endommagée : en conséquence de ce décret, Pompée avoit avait ordonné une information extraordinaire. Tout cela avoit avait fort mal disposé les esprits pour Milon : on disoit disait que son affaire étoit était déjà jugée par avance, et qu'il étoit était perdu. Si dans ces circonstances, l'orateur eût rapporté le fait au commencement de son discours sans autre précaution, il auroit aurait eu lieu de craindre qu'on ne refusât d'ajouter foi à son récit, ou du moins qu'il ne fît une impression trop foible faible sur son auditoire. Il change donc l'ordre usité, & et commence par réfuter ces préjugés contraires à sa partie. Ces nuages étant une fois dissipés, il lui est bien plus facile de présenter les faits sous un coup d' œuil œil qui lui soit favorable ; & et c'est ce qu'il exécute avec cet art que vous lui connoissez connaissez . Je soupçonnerois soupçonnerais que le mauvais succès du premier discours qu'il fit dans cette cause, et que nous n'avons pas, venoit venait de ce qu'il n' avoit avait point songé d'abord à prévenir par ce moyen les clameurs et le tumulte de ceux qui étoient étaient prévenus contre sa partie.

C'est peut-être à l'imitation de l'orateur Romain, ajouta Timagène, qu M. le Maître,08 Plaid. 14. dans un plaidoyer que je lisois lisais ces jours-ci, a placé une de ces précautions oratoires, avant l'exposition du fait. Il parloit parlait pour une demande en séparation : l'avocat de la partie adverse avoit avait sans doute avancé, qu'on ne pouvoit pouvait reprocher à son client d'autre défaut que de s'oublier quelquefois à table, et de passer un peu les bornes de la tempérance : ce qui ne semble pas suffisant pour autoriser une femme à demander sa séparation. C'est pourquoi l'orateur a cru, qu'avant de rapporter les faits relatifs à la cause, il devoit devait prévenir ses juges que le vin avoit avait des suites affreuses dans le particulier en question, qu'il le portoit portait à des excès inouis, et en faisoit faisait un une espece espèce de monstre.

Dans un autre discours09 Plaid. sixieme. du même avocat, reprit Euphorbe, vous avez dû voir la réfutation mêlée et confondue dans la narration même. Il s' agissoit agissait de prouver qu'un religieux étoit était entré par force dans un monastere monastère , et y avoit avait fait profession malgré lui. Le détail des circonstances etoit etait long, et pouvoit pouvait ennuyer ; la cause avoit avait par elle-même une apparence odieuse, que les adversaires avoient avaient pris soin d'augmenter, en faisant un magnifique éloge de la vie religieuse ; certains faits pouvoient pouvaient laisser des idées désavantageuses dans l'esprit des juges, si l'on différoit différait à les expliquer ou a à y répondre. L'habile orateur, qui sentoit sentait ces inconvéniens inconvénients , a pris le parti d'entrecouper son récit par des réflexions capables de prévenir tous ces mauvais effets. Vous voyez clairement que le lieu du récit oratoire n'est déterminé, que par la nature de l'objet sur lequel on doit parler ; et cela doit déjà vous faire entendre ce qu'exige Cicéron, quand il demande qu'il soit analogue à la cause. Cette analogie n'est autre chose que l'addresse de l'orateur à intéresser ses juges, et les prévenir en faveur des faits qu'il rapporte, et à établir les fondemens fondements des preuves qu'il doit employer dans la suite. Ce sont là ces deux effets importants, dont je vous parlois parlais il n'y a qu'un instant. Pour mettre dans un plus grand jour cet artifice, voyons quel usage en a fait un célèbre avocat de ce siécle siècle . Permettez que je vous fasse la lecture du récit oratoire, dans la cause que M. M. Cochin10 Henri Cochin, avocat français, né à Paris le 10 juin 1687 et mort le 27 février 1747. plaida pour le président d'Aiguille, contre Catherine de Belrieu de Virasel, qui prétendoit prétendait être sa petite nièce, et que le président traitoit traitait d'enfant supposé. Figurez-vous, pour un moment, que vous êtes assis sur le trône de la justice. Après avoir entendu l'avocat, vous jugerez la question en dernier ressort. Mad. de Virasel fut mariée le premier avril 1700. On n'examine point si elle rapporta à son époux cette dot précieuse, sans laquelle tous les biens sont méprisables : Dos est magna parentium Virtus, et metuens alterius viri Certo fædere castitas. On souhaiteroit souhaiterait que la conduite de M. de Virasel n'eut pas forcé le public à pousser plus loin sa curiosité sur ce sujet. A À peine étoit était -on sorti des premiers jours consacrés à la joie et aux plaisirs, que l'on vit éclater une funeste division entre l'époux et l'épouse. M. de Virasel, qui convient de ce fait dans son mémoire imprimé, n'a pas jugé à propos de nous en découvrir la cause. ... Respectons des secrets que M. de Virasel n'a pas trouvé bon de nous confier : contentons-nous du fait, qu'il a reconnu si positivement. Cependant la nouvelle de la grossesse de Mad. de Virasel se répand dans le public : cet événement souvent propre à ranimer la tendresse d'un époux, ne fit pas une semblable impression sur le cœur de M. de Virasel. Quoi qu'il en soit, Mad. de Virasel n'étant encore que dans le sixieme sixième mois de son mariage, suivit au mois de septembre M. de Volusan son pere père dans le château de Bessan ; et, après avoir passé quelques jours avec lui, elle se retira seule dans son château de Tartuguere Tartuguère , où elle accoucha d'une fille le 6 ou 7 octobre 1700. M. le président de Volusan, qui se rendait chaque jour à Tartuguere Tartuguère , écrivit aussi-tôt aussitôt à M. de Virasel que sa femme étoit était accouchée, que l'enfant étoit était venu mort au monde. C'est M. de Virasel lui-même qui nous a informé de cette vérité ; et ce fut avec cette circonstance que la nouvelle de l'accouchement de Mad. de Virasel fut rendue publique dans sa famille. Un fait important qu'il faut placer ici, est qu'en effet on ne trouve dans aucun registre, soit de la paroisse dans laquelle Mad. de Virasel est accouchée, soit d'aucune autre l'extrait baptistere baptistère de cette fille de Mad. de Virasel. Ce fait décisif aura son application dans la suite. Sur la foi de M. de Volusan, sur l'aveu de M. et de Mad. de Virasel, toute la famille est demeurée intimement persuadée que M. de Virasel n' avoit avait point d' enfans enfants . On n'en voyoit voyait point paroître paraître dans la maison du gendre, ni du beau- pere père  ; ce fruit malheureux qui étoit était péri avant sa naissance, étoit était même presque échappé à la mémoire des plus proches parens parents . C'est en cet état que Mad. de Virasel est décédée au mois de novembre de l'année 1703, sans avoir pu réparer pendant le temps qu' avoit avait duré son mariage la perte qu'elle avoit avait faite de son premier fruit. M. de Virasel entre les témoignages de sa douleur, n' oublioit oubliait pas cette circonstance, qui la rendoit rendait plus vive ; que Mad. de Virasel en mourant l' avoit avait laissé sans enfans enfants . Il disoit disait aux personnes qui le venoient venaient voir : Saltem si quis mihi parvulus aulâ aula luderet Æneas : du moins s'il m' étoit était resté quelqu'enfant pour ma consolation, je supporterois supporterais ma perte avec plus de soulagement. Toutes les personnes de condition s' intéresserent intéressèrent au malheur de M. de Virasel. Mais quelle fut leur surprise, lorsqu'au bout d'un mois, on vit paroître paraître dans sa maison une petite fille, qu'il vouloit voulait faire passer pour être la même dont Mad. de Virasel étoit était accouchée en 1700 ? L'imposture étoit était trop grossiere grossière pour ne pas exciter l'indignation de toute la province, sur-tout surtout quand on fut informé de la qualité des personnes des mains de qui il avoit avait pris ce sujet d'opprobre et de scandale, qu'il vouloit voulait introduire dans sa famille. M. le président d'Aiguille, plus intéressé que les autres par les liens du sang qui l'unissent de si près avec M. de Virasel, fut un des premiers à témoigner sa surprise. Il ne voulut cependant rien hasarder, qu'il ne fût exactemenr instruit des circonstances de la prétendue découverte de M. de Virasel. Le 11 décembre 1703, il envoie chercher la Peluchon, cette femme chez qui M. de Virasel étoit était allé prendre sa prétendue fille ; il se fait faire le récit odieux des démarches de M. de Virasel ; il s'informe ensuite de la qualité de cette femme, de ses habitudes, de son commerce. Plus on avance dans ces recherches, plus on est frappé d'horreur, à la vue d'une supposition si criminelle. Enfin M. le président d'Aiguille croit être obligé d'éclater, et fait signifier le 31 janvier 1704, tant à M. le président de Virasel qu'à M. le président de Volusan, une protestation solemnelle, dans laquelle il se récrie contre la supposition et l'imposture. Il déclare ouvertement, qu'il ne prétend pas que tout ce que M. de Virasel pourra faire puisse mettre cette petite mandiante mendiante 11 La graphie de l'original, quoique inhabituelle, est cependant attestée dans les dictionnaires de référence (Féraud)., qu'il a retirée chez lui, en possession de l'état de fille dudit seigneur de Virasel et de ladite dame de Mulet de Volusan, son épouse. M. de Volusan, de son côté, que l'affront touchoit touchait encore de plus près, rompit toute liaison avec son gendre. Sa juste colere colère l'a accompagné jusqu'au tombeau ; et s'il a donné au devoir de la religion un pardon qu'elle exige, ç'a ça a été sans trahir la justice qu'il devoit devait à sa famille. Prêt à mourir, il a bien voulu voir M. de Virasel, pour lui pardonner ; mais non pas cet enfant d'ignominie, pour le reconnoître reconnaître . Il n'en faut pas d'autre garant que son testament même, dans lequel méconnaissant cette production de l'imposture la plus détestable, il institue pour son héritiere héritière universelle la dame d'Essenaut, sa nièce. Mad. de Volusan accablée de douleur, s'est condamnée à son triste silence. Trop à plaindre d'avoir survêcu survécu à tant de disgraces disgrâces , elle a fait ce qu'elle a pu pour se cacher, s'il eût été possible, à elle-même, le désordre de sa maison ; attendant avec respect la décision de la justice, qui étoit était saisie du différend de M. de Virasel et de la dame d'Essenaut. Elle s'est réduite à ne point prendre de parti. C'est ce qui fait que dans quelques mémoires, que l'on a trouvés après sa mort, en distinguant les effets qui appartenoient appartenaient à la succession de M. de Volusan, elle veut, dit-elle, qu'ils soient rendus aux véritables héritiers de son mari. Ce n'est point ainsi qu'elle eut parlé d'une fille unique de sa fille, si elle eût reconnu la partie adverse pour telle : elle ne se seroit serait point réduite à des termes si vagues, et, l'on peut dire en quelque maniere manière , si indifférens indifférents . C'est dans ces sentimens sentiments qu'elle est décédée au mois de décembre 1713, laissant pour seuls et uniques héritiers, M. le président d'Aiguille son frere frère , le sieur le Berthon et la dame de Lassalle, ses autres frere frère et sœur. Vous voilà instruit de l'affaire. Prononcez maintenant.

Vous voulez me prendre en défaut, répliqua Timagène ; mais n'importe. Je crois qu'on ne peut pas se défendre de regarder la fille en question comme supposée, et qu'il faut par conséquent lui interdire de porter le nom et les armes de la famille dans laquelle elle prétendoit prétendait entrer.

Si je ne savois savais pas quel a été le succès de cette cause, poursuivit Euphorbe, je déciderois déciderais comme vous, sur le narré que vous venez d'entendre. Mais les juges ont vu les choses sous un point de vue bien différent. Ils ont déclaré Catherine de Belrieu fille de M. de Virasel, et ont condamné ses parens parents à lui remettre les biens auxquels elle avoit avait droit de prétendre en cette qualité. Voici à peu-près peu près comme les faits se présenterent présentèrent à leurs ieux yeux , sur les dépositions des témoins et autres informations, après les avoir dépouillés de tout l'artifice de l'éloquence. L'épouse de M. de Virasel, président au parlement de Bordeaux, s' étoit était séparée de son mari, dès les premiers jours de son mariage, et s' étoit était retirée chez le président de Volusan, son pere père , et delà de là , dans une de ses terres. Elle y mit au monde une fille. M. de Volusan et sa famille, mécontents de M. de Virasel, avoient avaient d'ailleurs un intérêt personnel de faire disparoître disparaître cette unique héritiere héritière , qui faisoit faisait passer entre les mains de M. de Virasel des biens qu'ils auroient auraient conservés, sans cette naissance. On prend donc le parti de dire à la mere mère , et de répandre dans le public, que l'enfant étoit était mort en venant au monde. Cependant on le fait transporter dans un village à quelques lieues de là ; on le fait baptiser comme un enfant trouvé et on charge une pauvre femme de le nourrir, sans le connoître connaître . M. de Virasel fut d'abord trompé comme les autres, et ajouta foi au bruit public. Mais, trois ans après, sa femme étant morte, il fut mieux informé : il retira chez lui cet enfant et la reconnut pour sa fille : mais M. le président d'Aiguille et ses autres freres frères refuserent refusèrent de souscrire à cette reconnoissance reconnaissance et lui contesterent contestèrent son état.

Après avoir entendu ces deux récits, répliqua Timagène, je ne suis plus surpris de voir Henri IV assistant à l'audience, donner gain de cause aux deux parties adverses. Un avocat sait fasciner nos ieux yeux , et nous faire appercevoir apercevoir ce qui lui plaît. Avec quelle habileté le vôtre sait faire usage des circonstances et les tourner à son avantage ! Le bruit s'est répandu que Mad. de Virasel a mis au monde un enfant mort : il en profite ; il l'appuie même par une autre circonstance, qui semble en démontrer la vérité ; c'est le défaut d'extrait baptistere baptistère dans toutes les paroisses, où il devoit devait naturellement se trouver. Tout cela est encore fortifié par l'aveu de M. de Virasel lui-même, dans les plaintes qu'il laisse échapper sur la mort de son épouse. Avec quelle adresse cet orateur interprète-t-il l'incertitude où Mad. de Volusan paroît paraît avoir été jusqu'à sa mort sur l'état de l'enfant dont il s' agissoit agissait  ! Cet artifice est admirable ; il en faut convenir. Mais n'est-il pas un peu contraire à la vérité, la sœur la plus inséparable de la probité ?

S'il se trouvoit trouvait au barreau, repartit Euphorbe, un orateur capable d'employer ces ressources dans une cause dont il connoîtroit connaîtrait lui-même le vice, ce seroit serait le plus condamnable des hommes. Mais le plus souvent l'avocat est séduit par l'exposition des faits, comme vous venez de l'être vous-même. Il les apprend des parties intéressées, qui cachent ou ne dévoilent qu'à moitié ce qui peut leur nuire : il ne doit pas les soupçonner de mauvaise foi. Leurs prétentions lui paroissent paraissent donc marquées au coin de l'équité ; et dès-lors dès lors , il déploie tous les ressorts de son art, pour faire valoir ce qu'il croit légitime. Il se persuade qu'il prend en main les intérêts de l'innocence, tandis qu'il est quelquefois malgré lui le protecteur du crime et de l'injustice.

J' aimerois aimerais bien autant, répliqua Timagène, qu'on plaidât ici comme dans l'Aréopage12 L'Aréopage était à Athènes un conseil qui se tenait sur une colline du même nom., où les avocats étoient étaient obligés d'exposer le fait dans sa plus grande simplicité, sans réflexion, sans art ; ou tout appareil d'éloquence étoit était interdit. Mais puisque l'usage est différent, il n'est pas inutile d'examiner comment ces Messieurs messieurs s'y prennent dans leurs récits, pour gagner leurs juges et établir leurs preuves ; quand ce ne seroit serait que pour se mettre en garde contre l'illusion. Examinons donc, s'il vous plaît, dans le détail, en quoi consiste cette adresse. Je m'imagine qu'elle dépend d'abord principalement d'un air naturel dans les faits, et d'une grande apparence de candeur et de vérité dans l'orateur, qui ne laisse aucunement pénétrer l'art de son récit. C'est cet admirable ressort, ou je ne me trompe, que Quintilien appelle la vraisemblance, et qu'il développe si bien dans ses institutions13 Lib. 4. c. 2.. Pour y réussir, selon cet habile rhéteur, il faut suivre pas à pas la nature ; il faut exposer les motifs et les vues de ceux que nous faisons agir, montrer que leurs caracteres caractères , leurs habitudes s'accordent avec la conduite que nous leur attribuons. Mais surtout il faut déguiser tout cela sous le voile d'une simplicité qui ne laisse pas même soupçonner notre artifice. Il apporte ensuite pour exemple la maniere manière infiniment adroite dont Cicéron décrit le départ de Milon pour Lanuvium ; et l' espece espèce de naïveté avec laquelle cet orateur peint, dans les démarches de sa partie, une tranquillité et même une lenteur qui n'est point naturelle à un homme occupé d'un grand crime. Une autre attention qu'il faut avoir, c'est de ne rien omettre de ce qui peut faire naître des soupçons désavantageux à notre adverse partie, ou diminuer ceux qu'on pourroit pourrait avoir conçus contre nous. C'est un précepte que je me souviens d'avoir lu dans un ouvrage imprimé avec ceux de Cicéron.14 Ad Heren. lib. 2, c. 3.

Je m' apperçois aperçois bien, poursuivit Euphorbe, que vous ne vous contentez pas de lire César et le chevalier Folard.15 Jean-Charles de Folard, dit le Chevalier de Folard (1669-1752), fut un stratège, ingénieur et homme de guerre français. Vous venez en effet d'extraire des deux maîtres de l'éloquence Romaine romaine , ce qu'il y a de plus important dans le récit oratoire. J'y voudrois voudrais seulement ajouter, que l'orateur doit se borner aux circonstances qui forment ou qui appuyent appuient ses preuves. Ce qui donne aux narrations de M. Cochin un jour admirable, dit l'auteur de la préface de ses œuvres, c'est qu'elles ne présentent rien qui n'ait rapport à son sujet , qui est unique.16 Voir la Préface de l'édition de 1751, p. xxxiii. C'est par cette raison que le défenseur de Milon s'arrête à des détails qui semblent minutieux, comme le remarque Quintilien, mais qui prouvent invinciblement ce que l'orateur vouloit voulait établir ; savoir, que Milon ne méditoit méditait point un meurtre, qu'il n'a point été l'agresseur, et que s'il a mis à mort Clodius, ce n'a été que dans les bornes d'une légitime défense. Si vous êtes curieux de voir avec quelle adresse un habile avocat s'insinue dans l'esprit de ses juges, par le détail des faits, et y prépare les voies du reste de son discours, lisons la narration de l'orateur Romain romain 17 Orat. secunda, pro Sext. Roscio Amerino, n. 15., lorsqu'il défendit Sextus Roscius d'Amerie, accusé d'avoir assassiné son propre pere père . Cicéron étoit était jeune alors, et l'on s'en apperçoit aperçoit  : mais cette jeunesse est celle d'un grand homme, dont les coups d'essai sont presque des chef-d'œuvres. Il avoit avait pour juges, des sénateurs choisis par le dictateur Sylla dans les premieres premières maisons de Rome. Il se propose de leur prouver non seulement que Roscius est innocent du crime qu'on lui impute, mais même qu'on ne peut l'attribuer qu'aux deux Roscius, ses parens parents et ses accusateurs, appuyés du crédit d'un certain Chrysogonus, favori de Sylla. Ecoutons-le rapporter le fait dont il s'agit.18 [15] Sext. Roscius, pater hujusce, municeps Amerinus [p434] fuit, cum genere & nobilitate, & pecunia non modo sui municipii, verum etiam ejus vicinitatis facilè primus, tum gratiâ atque hospitiis florens hominum nobilissimorum. Nam cum Metellis, Serviliis, Scipionibus erat ei non modo hospitium, verum etiam domesticus usus et consuetudo, quas, ut æquum est, familias honestatis amplitudinisque gratia nomino. Itaque ex suis omnibus commodis hoc solum filio reliquit; nam patrimonium [p435] domestici prædones vi ereptum possident, fama et vita innocentis ab hospitibus amicisque paternis defenditur. [16] Hic cum omni tempore nobilitatis fautor fuisset, tum hoc tumultu proximo, cum omnium nobilium dignitas et salus in discrimen veniret, præter ceteros in ea vicinitate eam partem causamque opera, studio, auctoritate defendit. Etenim rectum putabat pro eorum honestate se pugnare, propter quos ipse honestissimus inter suos numerabatur. Postea quam victoria constituta est ab armisque recessimus, cum proscriberentur [p436] homines atque ex omni regione caperentur ei, qui adversarii fuisse putabantur, erat ille Romæ frequens atque in foro et in ore omnium cotidie versabatur, magis ut exsultare victoria nobilitatis videretur quam timere, ne quid ex ea calamitatis sibi accideret. [17] Erant ei veteres inimicitiæ cum duobus Rosciis Amerinis, quorum alterum sedere in accusatorum subselliis video, alterum tria hujusce prædia possidere audio; quas inimicitias si tam cavere potuisset, quam metuere solebat, [p437] viveret. Neque enim, judices, injuria metuebat. Nam duo isti sunt T. Roscii, quorum alteri Capitoni cognomen est, iste, qui adest, Magnus vocatur, homines ejus modi: Alter plurimarum palmarum vetus ac nobilis gladiator habetur, hic autem nuper se ad eum lanistam contulit, quique ante hanc pugnam tiro esset quod sciam, facile ipsum magistrum scelere audaciaque superavit. [18] Nam cum hic Sex. Roscius esset Ameriæ, T. autem iste Roscius Romæ, cum hic filius adsiduus in prædiis esset cumque se voluntate patris rei familiari vitæque rusticæ dedisset, iste autem [p438] requens Romæ esset, occiditur ad balneas Pallacinas rediens a cena Sex. Roscius. Spero ex hoc ipso non esse obscurum, ad quem suspicio malefici pertineat; verum id, quod adhuc est suspiciosum, nisi perspicuum res ipsa fecerit, hunc adfinem culpæ judicatote. [19] Occiso Sex. Roscio primus Ameriam nuntiat Mallius Glaucia quidam, homo tenuis, libertinus, cliens et familiaris istius T. Rosci, et nuntiat domum non fili, sed T. Capitonis inimici; et cum Post horam primam noctis occisus esset, primo diluculo nuntius hic Ameriam venit; decem horis nocturnis sex et quinquaginta [p439] milia passuum cisiis pervolavit, non modo ut exoptatum inimico nuntium primus adferret, sed etiam cruorem inimici quam recentissimum telumque paulo ante e corpore extractum ostenderet. [20] Quadriduo quo hæc gesta sunt res ad Chrysogonum in castra L. Sullæ Volaterras defertur; magnitudo pecuniæ demonstratur; bonitas prædiorum ­ nam fundos decem et tris reliquit, qui Tiberim fere omnes tangunt ­ hujus inopia et solitudo commemoratur; demonstrant, cum pater hujusce Sex. Roscius, homo tam splendidus et gratiosus, nullo negotio sit occisus, perfacile hunc hominem incautum et rusticum et Romæ ignotum [p440] de medio tolli posse; ad eam rem operam suam pollicentur. [21] Ne diutius teneam, judices, societas coitur. Cum nulla jam proscriptionis mentio fieret, cum etiam, qui antea metuerant, redirent ac jam defunctos sese periculis arbitrarentur, nomen refertur in tabulas Sex. Rosci, hominis studiosissimi nobilitatis; manceps fit Chrysogonus; tria prædia vel nobilissima Capitoni propria traduntur, quæ hodie possidet; in reliquas omnis fortunas iste T. Roscius nomine Chrysogoni, quem ad modum ipse dicit, impetum facit. ... Hæc omnia, judices, imprudente L. Sulla facta esse certo scio. [22] Neque enim mirum, cum [p441] eodem tempore et ea, quæ præterita sunt, reparet et ea, quæ videntur instare, præparet, cum et pacis constituendæ rationem et belli gerendi potestatem solus habeat, cum omnes in unum spectent, unus omnia gubernet, cum tot tantisque negotiis distentus sit, ut respirare libere non possit, si aliquid non animadvertat, cum præsertim tam multi occupationem ejus observent tempusque aucupentur ut, simul atque ille despexerit, aliquid hujusce modi moliantur. Huc accedit, quod, quamvis ille felix sit, sicut est, tamen in tanta felicitate nemo potest esse in magna familia, qui neminem neque [p442] servum neque libertum improbum habeat. [23] Interea iste T. Roscius, vir optimus, procurator Chrysogoni, Ameriam venit, in prædia hujus invadit, hunc miserum, luctu perditum, qui nondum etiam omnia paterno funeri justa solvisset, nudum eicit domo atque focis patriis disque penatibus præcipitem, judices, exturbat, ipse amplissimæ pecuniæ fit dominus. Qui in sua re fuisset egentissimus, erat, ut fit, insolens in aliena; multa palam domum suam auferebat; plura clam de medio removebat, non pauca suis adjutoribus large effuseque donabat, reliqua constituta auctione [p443] vendebat. [24] Quod Amerinis usque eo visum est indignum, ut urbe tota fletus gemitusque fieret. Etenim multa simul ante oculos versabantur, mors hominis florentissimi, Sex. Rosci, crudelissima, fili autem ejus egestas indignissima, cui de tanto patrimonio prædo iste nefarius ne iter quidem ad sepulcrum patrium reliquisset, bonorum emptio flagitiosa, possessio, furta, rapinæ, donationes. Nemo erat, qui non audere omnia mallet quam videre in Sex. Rosci, viri optimi atque honestissimi, bonis jactantem se ac dominantem T. Roscium. [25] Itaque decurionum [p444] decretum statim fit, ut decem primi proficiscantur ad L. Sullam doceantque eum, qui vir Sex. Roscius fuerit, conquerantur de istorum scelere et injuriis, orent, ut et illius mortui famam et fili innocentis fortunas conservatas velit. Atque ipsum decretum, quæso, cognoscite. Legati in castra veniunt. Intellegitur, judices, id quod jam ante dixi, imprudente L. Sulla scelera hæc et flagitia fieri. Nam statim Chrysogonus et ipse ad eos accedit et homines nobilis adlegat, qui peterent, ne ad Sullam adirent, et omnia Chrysogonum, quæ vellent, esse facturum pollicerentur. [26] Usque adeo autem ille [p445] pertimuerat, ut mori mallet, quam de his rebus Sullam doceri. Homines antiqui, qui ex sua natura ceteros fingerent, cum ille confirmaret sese nomen Sex. Rosci de tabulis exempturum, prædia vacua filio traditurum, cumque id ita futurum T. Roscius Capito, qui in decem legatis erat, appromitteret, crediderunt; Ameriam re inorata reverterunt. Ac primo rem differre cotidie ac procrastinare isti coeperunt, deinde aliquanto lentius nihil agere atque deludere, postremo, id quod facile intellectum est, insidias vitæ hujusce Sex. Rosci parare neque sese arbitrari [p446] posse diutius alienam pecuniam domino incolumi obtinere. [27] Quod hic simul atque sensit, de amicorum cognatorumque sententia Romam confugit et sese ad Cæciliam, Nepotis sororem, Baliarici filiam, quam honoris causa nomino, contulit, qua pater usus erat plurimum; in qua muliere, judices, etiam nunc, id quod omnes semper existimaverunt, quasi exempli causa vestigia antiqui offici remanent. Ea Sex. Roscium inopem, ejectum domo atque expulsum ex suis bonis, fugientem latronum tela et minas, [p447] recepit domum hospitique oppresso jam desperatoque ab omnibus opitulata est. Ejus virtute, fide, diligentia factum est, ut hic potius vivus in reos quam occisus in proscriptos referretur. [28] Nam postquam isti intellexerunt summa diligentia vitam Sex. Rosci custodiri neque sibi ullam cædis faciendæ potestatem dari, consilium ceperunt plenum sceleris et audaciæ, ut nomen hujus de parricidio deferrent, [p448] ut ad eam rem aliquem accusatorem veterem compararent, qui de ea re posset dicere aliquid, in qua re nulla subesset suspicio, denique ut, quoniam crimine non poterant, tempore ipso pugnarent. Ita loqui homines: 'Quod judicia tam diu facta non essent, condemnari eum oportere, qui primus in judicium adductus esset; huic autem patronos propter [p449] Chrysogoni gratiam defuturos; de bonorum venditione et de ista societate verbum esse facturum neminem; ipso nomine parricidi et atrocitate criminis fore, ut hic nullo negotio tolleretur, cum ab nullo defensus esset. [29] Hoc consilio atque adeo hac amentia impulsi, [p450] quem ipsi, cum cuperent, non potuerunt occidere, eum jugulandum vobis tradiderunt. Sextus Roscius, pere père de ma partie, étoit était un citoyen d'Amerie. Sa naissance, sa noblesse, sa fortune le mettoient mettaient au premier rang, non seulement dans cette ville municipale, mais encore dans tous les environs. Il joignoit joignait à cela la faveur & et l'amitié de la noblesse la plus distinguée qu'il recevoit recevait chez lui. Sa maison étoit était fréquentée par les Metellus, les Servilius, les Scipions : il avoit avait même avec eux des liaisons intimes & et une espèce19 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. de familiarité. Si je rappelle ici ces grands noms, c'est avec la distinction & et le respect qui leur sont dûs. De tous les avantages dont jouissoit jouissait Roscius, ce dernier est le seul qu'il ait laissé à son malheureux fils. Des brigands domestiques ont envahi son patrimoine qu'ils possédent possèdent maintenant ; mais les connoissances connaissances et les amis de son pere père , prennent la défense de sa réputation, de son innocence & et de sa vie. Roscius avoit avait toujours été le partisan de la noblesse ; il le fut plus que jamais dans ces derniers troubles, où la dignité & et la vie de tous les nobles furent exposées aux plus grands dangers, et il n'épargna, dans son voisinage, ni ses soins, ni son zèle, ni son crédit pour une si belle cause. Il regardoit regardait comme un devoir pour lui de défendre l'honneur de ceux à qui il devoit devait celui dont il jouissoit jouissait lui-même parmi ses concitoyens. La victoire s'étant enfin déclarée, & et ses combats ayant cessé, dans le temps où l'on arrêtoit arrêtait par-tout partout , où l'on proscrivoit proscrivait ceux qui étoient étaient soupçonnés d'avoir tenu le parti contraire, il se montra fréquemment dans Rome, au milieu de la place publique, sous les ieux yeux des citoyens ; il parut enfin prendre part au triomphe de la noblesse, bien loin d'appréhender qu'il ne lui en arrivât aucun accident. Depuis long-temps longtemps il avoit avait des démêlés avec les deux Roscius d'Amerie, dont l'un est ici sous mes ieux yeux parmi les accusateurs ,  ; l'autre posséde possède , à ce que j'apprends, trois fonds de terre de l'accusé. Si Roscius eût été aussi attentif à prévenir les effets de ces démêlés, qu'ils lui causoient causaient d' allarmes alarmes , il vivroit vivrait aujourd'hui. Et ce n' étoit était pas sans fondement qu'il craignoit craignait les ressentiments d'un T. Roscius Capiton, d'un T. Roscius Magnus, qui est ici présent. Connoissez Connaissez , Messieurs, de quels hommes je parle : l'un est un ancien gladiateur, déjà fameux par plus d'une victoire remportée dans l' arêne arène  : l'autre, qui n' étoit était encore qu'un novice avant cet exploit, a pris depuis peu les leçons de cet excellent maître d'escrime, & et l'a bientôt emporté sur lui en scélératesse & et en audace. En effet, suivons l'ordre des faits, & et je me flatte qu'ils vous feront voir clairement sur qui doivent tomber les soupçons du crime qui nous occupe. Sextus Roscius, pour qui je parle, est à Amerie, & et T. Roscius est à Rome ; celui-là passe ses jours dans ses terres, où il se livre tout entier à la vie champêtre et au soin de ses biens pour se conformer à la volonté de son pere père  ; celui-ci ne sort point de la capitale ; & et c'est dans ces circonstances que Sext. Roscius le pere père est assassiné près des bains du mont Palatin, en revenant de souper. Mais ce ne sont là que des soupçons ; allons plus loin ; & et si la suite des événemens événements n'apporte ici l'évidence, je consens que vous regardiez ma partie comme coupable de ce meurtre. Le premier qui porta à Amerie la nouvelle de la mort de Roscius, fut un certain Manlius Glaucia, homme obscur, affranchi, client & et ami particulier de ce T. Roscius : où va-t-il l'annoncer ? ce n'est pas chez son fils, mais chez T. Capiton, son ennemi : le meurtre avoit avait été commis plus d'une heure après la nuit fermée, et le courrier arrive au point du jour à Amerie, ayant ainsi parcouru en chaise pendant les ténébres ténèbres , cinquante-six mille pas en dix heures de temps. Le but de tant de diligence n' étoit était pas seulement d'apporter le premier à Capiton, une nouvelle qui put flatter sa haine : il vouloit voulait lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, et fumant encore du sang qu'il venoit venait de répandre. Quatre jours après, on se rend à Volaterra, dans le camp de Sylla ; on y raconte cet événement à Chrysogonus : on lui expose les sommes considérables que laisse le défunt, la richesse de ses fonds, au nombre de treize, presque tous sur les bords du Tibre : on lui fait remarquer que son fils est sans ressource et sans appui : Si Sext. Roscius, lui dit-on, malgré sa magnificence & et son crédit, a pu être assassiné sans peine, on peut plus aisément encore se défaire d'un particulier inconnu dans Rome : on lui offre, on lui promet de l'exécuter : en un mot, Messieurs, le complot se forme. On ne parloit parlait plus alors de proscriptions ; ceux-mêmes que la crainte avoit avait mis en fuite, reparoissoient reparaissaient et se croyoient croyaient hors de danger : n'importe ; Chrysogonus se porte pour adjugataire des biens d'un citoyen, toujours dévoué à la noblesse. On donne en toute propriété à Capiton trois des meilleures terres, qu'il posséde possède aujourd'hui : et ce T. Roscius ici présent, s'empare de tout le reste du bien ; mais, comme il le dit lui-même, au nom de Chrysogonus. ... [...] Je suis parfaitement instruit, Messieurs, que tout cela s'est passé à l'insçu l'insu de Sylla. Doit-on être surpris en effet, qu'il échappe quelque chose à un homme chargé tout-à-la-fois tout à la fois , de réparer les maux passés, & et de prévenir ceux qui semblent nous menacer ; à un homme qui seul a le pouvoir de faire la guerre, & et les moyens d'établir la paix, sur qui tous les ieux yeux sont ouverts, de qui tout dépend ; à un homme enfin, occupé de tant d'affaires importantes, qu'à peine a-t-il le temps de respirer : sur-tout surtout si l'on se représente une foule de gens attentifs à observer le temps où il est le plus sérieusement appliqué, & et à saisir l'instant où il détourne les ieux yeux , pour ourdir quelque trame pareille à celle-ci. Sylla est heureux sans doute, ce titre lui convient : mais quelque soit son bonheur, il est impossible que dans un nombreux domestique, il n'y ait pas un esclave, pas un affranchi, dont la probité se soit jamais démentie. Cependant, ce même T. Roscius, ce vertueux procureur de Chrysogonus, arrive à Amerie : il s'empare des terres de Sextus, & et , avant que ce malheureux fils eut pu rendre les derniers devoirs aux cendres de son pere père , il le dépouille, il ne lui laisse que la misere misère & et les larmes, il l'arrache violemment à ses Dieux Pénates,20 "Les Pénates sont des divinités étrusques puis romaines. Ils sont chargés de la garde du foyer et plus particulièrement des biens, du feu servant à faire la cuisine et du garde-manger." (Art. "Pénates", Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Pénates.) il le bannit, il le chasse de sa propre maison, & et devient le maître d'une ample & et riche succession. Destiné par son état aux humiliations de l'indigence, il devint audacieux dans une fortune étrangere étrangère  ; c'est l'ordinaire. Il emporta publiquement plusieurs effets chez lui : il en fit disparoître disparaître bien d'autres secretement secrètement  : il fit de riches & et de magnifiques présens présents à ses coopérateurs, et fit vendre le reste à l' enchere enchère . Cette conduite parut si indigne aux habitants d'Amerie, que la ville entiere entière retentissoit retentissait de pleurs et de gémissemens gémissements . Mille objets se réunissoient réunissaient pour augmenter leur douleur ; la mort cruelle du plus illustre de leurs concitoyens, l'état déplorable de son fils dépouillé du plus beau patrimoine par l'avarice d'un scélérat, qui ne lui avoit avait pas même laissé un sentier pour aller verser des larmes sur le tombeau de son pere père , la vente et l'usurpation criminelle de de ses biens dissipés par le vol, les rapines et les prodigalités. Il n' étoit était point d'accident, point de malheur qu'on trouvât comparable à celui de voir un T. Roscius enrichi & et décoré des biens de Sext. Roscius, le plus honnêtes honnête et le plus vertueux des hommes. En conséquence les Décurions21 Les décurions sont les membres de "l'ordo decurionum", c'est-à-dire des assemblées locales des cités ou municipes de l'Empire romain (voir Art. "Ordre décurional", Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre décurional ) s'assemblent & et ordonnent par un decret décret , que les dix premiers d'entr'eux se rendront auprès de Sylla, qu'ils lui représenteront quel homme étoit était S. Roscius, qu'ils se plaindront de l'injustice de ces scélérats, qu'ils le prieront enfin de mettre à couvert sous sa protection & et l'honneur d'un pere père mort, & et la fortune d'un fils innocent. ... [...] Les députés arrivent au camp. C'est ici, Messieurs, qu'on reconnoît reconnaît la vérité de ce que j'ai dit, que Sylla ignoroit ignorait ces infamies et ces horreurs. Chrysogonus vient trouver les députés lui-même ; il leur envoye envoie des gens de distinction pour les prier de ne point voir Sylla, & et les assurer que Chrysogonus se soumettra à tout ce qu'ils désirent. Il appréhendoit appréhendait si fort que toutes ces intrigues ne vinssent aux oreilles de Sylla, qu'il eût préféré la mort à un pareil accident. Les députés élevés dans la simplicité des premiers âges, jugeoient jugeaient des autres par leur propre cœur. Chrysogonus protestoit protestait qu'il effaceroit effacerait du tableau des proscripts proscrits le nom de Sext. Roscius, & et qu'il remettroit remettrait à son fils toutes ses terres : T. Roscius Capiton l'un des dix députés garantissoit garantissait ces promesses : ils les crurent sinceres sincères , & et retournerent retournèrent à Amerie, sans avoir exécuté leur commission. On com- mença d'abord par différer & et remettre de jour en jour ce qu'on avoit avait promis ; ensuite par des lenteurs affectées, on demeura dans l'inaction, & et on éluda l'exécution de ses engagemens engagements  ; enfin, il fut aisé de s' appercevoir apercevoir qu'on en vouloit voulait aux jours de Sex. Roscius le fils, & et que nos adversaires avoient avaient compris, qu'ils ne pouvoient pouvaient pas jouir plus long-temps longtemps d'un bien usurpé, s'ils laissoient laissaient vivre celui qui en étoit était le propriétaire Iégitime. Roscius pénétra leur dessein ; & et par le conseil de ses parens parents & et de ses connoissances connaissances , il prit aussi-tôt aussitôt la fuite & et se retira à Rome auprès de Cécilia, fille de Népos, de tout temps l'amie de son pere père , & et dont je ne dois parler qu'avec les éloges qu'elle mérite. Oui, Messieurs, c'est une opinion générale que dans cette femme respectable les Dieux ont voulu conserver même jusqu'à nos jours des traces de l'humanité & et de la bienfaisance de nos peres pères , comme pour nous servir de modèle. Elle fut sensible à la misere misère de Roscius chassé de sa maison, dépouillé de ses biens, & et qui fuyoit fuyait la fureur & et les menaces d'une troupe de brigands ; elle le reçut chez elle ; elle appuya même de son crédit cet hôte infortuné, abandonné de tout le monde au milieu de la plus cruelle oppression. S'il voit encore la lumiere lumière en attendant votre arrêt, si son nom n'est pas parmi ceux des proscripts proscrits , s'il n'est pas lui-même au rang des morts ; c'est à la vertu, à la probité, au zéle zèle ardent de Cécilia qu'il le doit. Nos ennemis comprirent que la vie de Roscius étoit était à couvert sous une pareille protection, & et qu'ils n' avoient avaient plus de moyens de répandre son sang. Ils formerent formèrent alors un projet digne de la scélératesse & et de l'audace la plus consommée : ce fût fut de le déférer comme coupable de parricide ; de trouver quelqu'ancien délateur, qui pût former une accusation sur un objet, où il n'y avoit avait pas lieu au moindre soupçon ; enfin, d'armer pour le perdre les circonstances même du temps, puisque leur injuste cruauté étoit était sans ressource. Ils se reposoient reposaient sur certains discours que l'on tenoit tenait dans Rome ; qu'après un temps si long, où l'on n' avoit avait vu aucun jugement criminel, on ne pouvoit pouvait pas manquer de condamner le premier qui paroîtroit paraîtrait en justice. Ils se flatterent flattèrent que la faveur de Chrysogonus écarteroit écarterait tous ceux qui voudroient voudraient plaider pour l'accusé ; que personne ne se hasarderoit hasarderait de parler de la vente de ses biens et du complot formé contre lui ; que le seul nom de parricide et l'atrocité de ce crime applaniroient aplaniraient 22 La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence (mais voir Féraud). toutes les difficultés, et le livreroient livreraient sans défense à leur ressentiment et à la mort. C'est dans cette vue, Messieurs, c'est avec cette fureur aveugle qu'ils vous ont laissé le soin de faire périr un homme, qu'ils n'ont pu égorger eux-mêmes, comme ils le desiroient desiraient .

Je pense comme vous, reprit Timagène, que Cicéron, dix ans plus tard, auroit aurait abrégé ce récit et mieux caché son jeu. Au reste, nous pouvons profiter de cette jeunesse : elle nous laisse mieux appercevoir apercevoir l'art de l'orateur ; et je remarque d'abord ici cette vraisemblance si fort recommandée par Quintilien. Les faits naissent les uns des autres d'une manière si naturelle, qu'ils ne laissent pas lieu au moindre soupçon. Un homme riche est assassiné, dans des temps de troubles et de désordres ; il a des ennemis qui se proposent d'envahir ses biens : ils s'appuient du crédit d'un scélérat puissant et avide, pour se défaire d'un héritier incommode : tout cela n'est que la marche ordinaire du crime et de la passion. Rien de plus naturel que les artifices dont ils se servent pour tromper les députés d'Amerie, et pour éluder les promesses qu'ils leur avoient avaient faites : enfin rien de plus familier à des pervers, que d'employer la faveur d'un de leurs complices, pour armer sa justice elle-même contre l'innocence qu'ils veulent perdre. Tout s'accorde ici parfaitement bien : l'abus de la faveur dans Chrysogonus, avec le rôle timide qu'il joue ; le caractere caractère & et les habitudes des deux Roscius, avec l'intrigue qu'ils conduisent. La simplicité des députés, est un tableau d'après nature. Il n'y a pas moins d'adresse dans ce récit à préparer les preuves. On est à demi-persuadé demi persuadé , lorsqu'on l'a entendu. Cicéron vouloit voulait établir, ce me semble, que les deux Roscius étoient étaient eux-mêmes les seuls auteurs du meurtre dont ils accusoient accusaient leur parent. Dans cette vue, il a soin d'observer que Roscius le pere père étoit était partisan de la noblesse, à la tête de laquelle étoit était Sylla : ce qui prouve qu'il n' avoit avait point été mis au nombre des proscripts proscrits . Il fait remarquer les inimités qui regnoient regnaient entre le défunt et les accusateurs ; tandis que le fils n' avoit avait jamais témoigné que du respect et de l'obéissance à son pere père  : mais il s'arrête surtout sur le temps, le lieu & et les circonstances de cet assassinat, qui donnent ici le plus grand jour. Au moment que Roscius perd la vie à Rome, Titus est dans cette capitale, et Sextus à Amerie : un ami de Titus en porte la nouvelle dans cette derniere dernière ville, en dix heures de nuit, non pas à Sextus, mais à Capiton l'un des accusateurs : après la mort du pere père , ses biens se trouvent partagés entre les deux Roscius & et Chrysogonus, tandis que le fils est dépouillé et réduit à l'indigence, et n'a pu obtenir la liberté de défendre sa vie, que par la protection de Cécilia. Assurément il faut être aveugle, et aveugle volontaire, pour ne pas voir dans ce détail de quelle main le coup est parti.

Tout cela est fort bien, comme vous le remarquez, poursuivit Euphorbe : mais que pensez-vous de l'habileté de notre orateur à se tirer de l'embarras où le mettoit mettait sa propre cause, et à intéresser ses juges pour sa partie ? Défendre un malheureux, sans appui, contre les poursuites d'un homme tout-puissant par la faveur de Sylla, qui seul étoit était alors le maître, ou plutôt, le tyran23 La graphie est ici plus moderne que dans le reste du texte. de Rome, vous conviendrez que c' étoit était une entreprise difficile, et peut-être aussi périlleuse pour l'avocat, que pour son client. Cicéron ne fut point enrayé de ces difficultés, et trouva dans son art, art de quoi les vaincre. Il fait réflexion que le temps où il parle est le regne règne de la noblesse ; que Sylla s'est ouvertement déclaré pour ce premier corps de l'état, dont il étoit était membre lui-même ; qu'il a choisi ses juges dans les plus illustres maisons des patriciens, tels que les Métellus, les Servilius, les Scipions : il a grand soin dès-lors dès lors de représenter le pere père de Roscius comme un homme dévoué aux intérêts de la noblesse, et partisan de tout ce qui avoit avait un grand nom dans la république. Ce n' étoit était pas encore là le pas le plus dangereux. Cette maniere manière de penser pouvoit pouvait rendre la mémoire de Roscius plus chere chère à ceux qui devoient devaient venger sa mort ; mais il falloit fallait attaquer Chrysogonus l'ami, le confident, le favori du nouveau souverain, dévoiler son avarice et montrer qu'il étoit était l'âme de cette intrigue. Comment exécuter tout cela sans nuire à sa cause en irritant Sylla, qu'on devoit devait naturellement soupçonner d'authoriser d'autoriser , ou du moins de tolérer ces crimes ? C'est à prévenir cet inconvénient que Cicéron emploie toute son adresse. Il assure que le chef de la république ignoroit ignorait absolument ces odieuses menées : et il appuye appuie cette assurance sur sa propre connoissance connaissance particuliere particulière  ; sur les agitations et les inquiétudes de Chrysogonus, lorsqu'il appréhende que Sylla ne soit instruit de ce qui se passe ; enfin sur la nature même des occupations de cet heureux vainqueur de Marius ; et cette derniere dernière preuve lui donne occasion de faire un éloge de Sylla, d'autant plus flatteur, qu'il semble amené par la nécessité de la cause, et qu'il paroît paraît qu'on ne se propose que d'excuser sa conduite. Sylla est l'homme de l'état : c'est sur lui seul que roulent les intérêts publics et particuliers, présents et à venir : enfin il consacre au soin de la république son temps, son repos et les douceurs de sa vie. Remarquer que Cicéron ne dit ici rien que de vrai, & et qu'il n'est point adulateur, même en faisant la cour à un usurpateur. Le beau portrait qu'il fait ensuite de Cécilia, femme de Sylla, n'est pas moins propre à gagner le dernier. Célébrer les vertus d'une épouse, c'est louer le choix qu'à fait son époux. Enfin, la peinture de l'état affreux où se trouve Roscius obligé de défendre son honneur & et sa vie contre ceux qui lui ont ravi ses biens & et l'auteur de ses jours, privé de la triste consolation d'arroser de ses larmes les cendres de son pere père , doit intéresser les cœurs les plus insensibles.

Le pathétique et les autres ornemens ornements de l'éloquence, répliqua Timagène, trouvent donc place aussi dans le récit oratoire ? Comment, s'il vous plaît, accordez-vous cela, avec cette simplicité qui lui est si recommandée ?

C'est précisément là que j'en voulois voulais venir, poursuivit Euphorbe. La simplicité de cette narration, consiste plutôt à avoir des ornemens ornements mâles & et sérieux, qu'à n'en point avoir. Le même Cicéron, bon juge en cette matiere matière , en parlant de cette partie du discours,24 De orator. partitionibus. c. 35. même dans le genre judiciaire, y admet les objets frappans frappants , les surprises inopinées, les grands mouvemens mouvements , les sentimens sentiments de la douleur, de la crainte, de la joie, de la tristesse. On y voit meme avec plaisir, sur-tout surtout dans le panégyrique des pensées ingénieuses et délicates, telles que celle de Pline, en faisant l'éloge de Trajan ;25 Credent ne posteri, nihil ipsum, ut imperator fieret, agitasse, nihil fecisse, nisi quod meruit & et paruit ? la La postérité pourra-t-elle croire que ce prince n'a jamais recherché la souveraine puissance, et que, pour y parvenir, il n'a fait d'autres démarches que la mériter et obéir. Mais, dans ces ornemens ornements , il faut toujours beaucoup de réserve & et de sagesse, & et en bannir tout ce qui a l'air affecté ou trop étudié. De tous les défauts, dit Quintilien,26 Omnium vitiorum pessimum : nam eætera cum vitentur, hoc petitur. Instit. lib. 8. cap. 3. l'affectation est le pire : on évite les autres ; on recherche celui-là.

Vous prévenez une difficulté que j' allois allais vous faire, interrompit Timagène, à l'occasion du récit oratoire que vous venez d'examiner. Car parmi les beautés sans nombre qui s'y rencontrent, je crois y appercevoir apercevoir des traits qui ont besoin de quelque indulgence. N'y a-t-il pas quelque chose de forcé dans cette idée, que Glaucia vouloit voulait non seulement apporter le premier à Capiton une nouvelle qui pût flatter sa haine, mais encore lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, & et fumant encore du sang qu'il venoit venait de répandre ? J' aurois aurais désiré, sur-tout surtout , que cet illustre orateur nous eût épargné plusieurs jeux de mots, que votre traduction a fait disparoître disparaître en grande partie. Tel est, ut hic potius vivus in reos, quam occisus in proscriptos referretur ; Cæcilia a fait en sorte que Roscius fut placé plutôt parmi les accusés pendant sa vie, que parmi les proscripts proscrits après sa mort : & et ces deux autres, qu'on ne peut rendre exactement dans notre langue, quorum alterum sedere in accusatorem subselliis video, alterum tria hujusce prædia possidere audio : et plus bas, ut ad eam rem aliquem accusatorem veterem compararent, qui de ed re posset dicere aliquid, in qua re nulla subesset suspicio. Je ne vois pas quelle grâce peut avoir dans cet endroit, le mot res répété jusqu'à trois fois. En général, l'anthitèse l'antithèse se montre un peu souvent dans tout ce morceau.

Je ne vous accuserai plus, reprit Euphorbe, de trop aimer les ornemens ornements du stile style . Il me paroît paraît que vous devenez sévère ;27 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. mais cette sévérité même fait honneur à Ciceron. Vous en auriez peut-être moins pour tout autre. La poussiere poussière la plus légere légère s' apperçoit aperçoit mieux sur une glace, que sur la pierre ou le bois. Malgré ces petits défauts, l'exemple que je vous ai apporté suffit pour prouver, que le grand & et le pathétique peut28 Desit: accord? trouver place dans le récit oratoire. Les pensées et les allusions fines et délicates n'en sont pas même exclues. Témoin celle que fait Ciceron en parlant d'une comédienne que Verres avoit avait prise à sa suite, et dont la présence avoit avait indigné toutes les dames qui étoient étaient de la compagnie du préteur. Ce nouvel Annibal, dit l'orateur, convaincu que le mérite seul, et non la naissance, devoit devait décider des rangs dans son camp, eut tant d'attachement pour cette femme, qu'il la transporta avec lui en quittant son département.29 Iste autem Annibal qui in suis castris putabat oportere virtute non genere certati, sic eam Tertiam dilexit, uc eam secum ex provincâ exportatet. In Verrem. lib. 5. J'en pourrois pourrais citer plusieurs autres semblables.

Je trouve dans Cicéron, ajouta Timagène, un mérite qui n'est pas commun ; c'est d'être aussi bon rhéteur que parfait orateur. Ces deux talens talents sont rarement unis : j'en suis étonné. Car enfin ceux qui font une étude particuliere particulière des régles règles de l'éloquence, qui les enseignent aux autres, doivent être en état d'en faire usage eux-mêmes.

C'est précisément, répartit Euphorbe, parce qu'ils les savent trop, qu'ils reussissent assez mal dans un discours. La crainte de s'en écarter les rend timides, émousse leur goût, desseche déssèche leur imagination, & et ne leur permet pas de se livrer à ces élans de génie qui décèlent un grand maître. Dans tous les arts, la contrainte est ennemie de la perfection. Dans l'éloquence, les régles règles les plus sûres que puisse suivre l'avocat, sont la nature, les circonstances particuliéres particulières de sa cause & et son propre goût. Si vous voulez achever de vous convaincre que le récit oratoire admet des ornemens ornements lorsque le sujet l'exige, consultez l'orateur Romain romain , dans son plaidoyer pour A. Cluentius Plaidoyer pour A. Cluentius  : vous y verrez quels sentimens sentiments , quel pathétique il répand dans cette partie du discours. Il use de la liberté qu'il a donnée aux autres, & et met en jeu jusqu'aux éclairs de l' anthithèse antithèse . Faut-il peindre la conduite d'une mere mère qui arrache son gendre des bras de sa propre fille, pour l'épouser elle-même, & et qui poursuit son fils au criminel ? Il est difficile d'employer des couleurs plus vives que celles-ci.30 Mater hujus Aviti (mater enim à me in omni causâ, tametsi in hune hostili odio & et crudelitate est, mater, inquam, appellabitur ; neque unquam illa ita de suo scelere audiet, tu naturae nomen amittat. Quô enim est ipsum nomen amantius indulgentiusque maternum, hoc illius marris, quae multos jam annos, & et nunc quàm maxime filium interfectum cupit, fingulare scelus majore odio dignum esse ducetis) ea igitur mater. ... ita [p461] flagrare cœpit amentiâ, sic inflammata ferri libidine, ut eam non pudor, non pudicitia, non pietas, non macula familiae, non hominum fama, non filii dolor, non filiae mœror à cupiditate revocaret. Orat. pro Cluent. n. 12. La mère31 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. d'Avitus (car, dans toute cette cause, je lui donnerai ce nom malgré sa cruauté et sa haine implacable ; en détaillant sa barbarie et ses crimes, je ne lui ferai point perdre un titre qu'elle tient de la nature ; et plus ce terme semble exprimer de sensibilité et d'amour, plus il vous rendra odieuse une mere mère assez malheureuse pour désirer depuis longtemps, et aujourd'hui plus que jamais, la mort de son propre fils), cette mere mère donc ... se laissa tellement aveugler par sa passion, tellement embraser par des feux impurs, que ni la honte, ni la vertu, ni les sentimens sentiments de la nature, ni l'affront qu'elle faisoit faisait à sa famille, ni sa réputation ni le désespoir de son fils, ni les lar- larmes 32 Le mot est incomplet dans l'original. La coquille semble due au passage à la ligne qui se trouve en cet endroit. de sa fille ne purent en amortir les ardeurs. Quel tableau plus riche et plus touchant que celui de la jeune épouse à qui ce divorce a ravi son époux ?33 Filia quæ ... nefarium matris pellicatum ferre non posset, de quo ne queri quidem sine scelere se posse arbitraretur, cœceros fui tanti mali ignaros esse cupiebat : in hujus amantissimi sui fratris manibus & et gremio, mœrore & et lacrimis consenescebat. lb. n. 13. Cette fille infortunée, qui ... ne voyoit voyait qu'avec horreur le désordre de sa mere mère , croyoit croyait ne pouvoir s'en plaindre, sans commettre un crime. Contente de répandre ses pleurs dans le sein d'un frere frère qu'elle aimoit aimait , elle désiroit désirait que tout l'univers ignorât l'excès de ses maux, et laissoit laissait ses plus belles années se flétrir dans l'amertume et la douleur. Celui de la mere mère fait un charmant contraste avec celui- là. 34 Tum vero illa egregia ac praeclara mater palam exultare laetitiâ, ac triumphare gaudio cœpit, victrix filiae, non libidinis. Ibid. n. 14. Alors cette admirable, cette incomparable mere mère ne met plus de bornes à sa joie ; tout son air l'annonce ; elle triomphe, elle s'applaudit de la victoire qu'elle vient de remporter, non sur son infâme passion, mais sur sa fille. L'orateur ensuite déclame avec force contre une conduite si indigne ; & et là, il met en jeu les plus grands ressorts de l'éloquence, et prodigue les figures les plus brillantes.35 O audaciam singularem ! Non timuisse si minus vim deorum hominumque famam, at illam ipsam noctem facesque illas nuptiales ? Non limen cubiculi ? Non cubile filiae ? Non parietes denique ipsos, superiorum testes [p463] nuptiarum ? Perfregit ac prostravit omnia cupiditate ac furore. Vicit pudorem libido, timorem audacia, rationem amenda. Ibid. n. 15. Quelle audace plus singuliere singulière  ! si elle ne redoutoit redoutait ni la vengeance des dieux, ni les discours des hommes, comment n'a-t-elle pas tremblé à la vue des flambeaux solemnels, qui éclairoient éclairaient cette nuit affreuse ? quoi ! ces appartemens appartements habités par sa fille, ce lit nuptial, ces murs mêmes, témoins des premiers engagemens engagements , ne l'ont point effrayée ! Non. Sa passion & et sa fureur ont tout méprisé, tout renversé, tout foulé aux pieds : l'honneur a cédé à un amour infâme, la crainte à l'audace, la raison à l'emportement. Cette narration entiere entière est écrite du même stile style . Vous appercevez apercevez -là, sans doute, tout ce que l'art oratoire a de plus riche et de plus éclatant, ou je ne m'y connois connais pas.

Pour moi, reprit Timagène, je m'y connois connais assez pour voir qu'il n'y a rien de moins simple que ce récit. Il n'est pas nécessaire non plus d'être fort habile, pour s' appercevoir apercevoir que, dans l'état présent de la cause, il falloit fallait quelque chose de plus que de la simplicité. L'orateur avoit avait sans doute à combattre & et à dissiper un préjugé qui naissoit naissait naturellement dans l'esprit des juges contre Cluentius, en le voyant poursuivi au criminel par sa propre mere mère . Il devoit devait donc dévoiler les crimes de cette femme, & et la peindre comme une espece espèce de monstre, qui en cherchant à faire périr son fils, ne faisoit faisait que mettre le comble aux horreurs dont elle étoit était déjà coupable. C' étoit était le vrai et l'unique moyen d'inspirer autant d'aversion pour elle, que de compassion pour son fils. Pour y réussir, il ne suffisoit suffisait pas de détailler froidement ses désordres & et ses indignités ; il convenoit convenait de déployer toute la magie de l'éloquence. Mais tout cela n'est qu'une exception à la régle règle commune.

Cette exception est si fréquente, répartit Euphorbe, qu'on pourroit pourrait presque la prendre pour la régle règle . Au reste, je l'appellerai comme il vous plaira, si vous m'accordez que l'orateur doit étudier, avant toutes choses, la nature et les circonstances de sa cause.

Je ne risque rien de vous accorder tout, continua Timagène : je ne peux qu'y gagner. Mais enfin ces ornemens ornements , que vous admettez dans le récit oratoire, ne doivent pas, sans doute, paroître paraître avec autant de pompe & et de magnificence que ceux de la poésie.36 La graphie de l'original est ici (ainsi qu'à la page suivante) plus moderne que dans le reste du texte.

Ce que vous dites est incontestable, répondit Euphorbe. L'éloquence, toute majestueuse qu'elle est, est sage & et réservée : la poésie est toujours montée sur le cothurne,37 "Cothurne, s.m. Sorte de chaussure dont les Acteurs se servoient anciennement pour jouer le tragique. Et c'est de-là qu'on dit figurément, Chausser le cothurne, pour dire, Faire des Tragédies. On dit aussi d'Un homme, qu'Il chausse le cothurne, pour dire, qu'Il prend un style, un ton élevé & pathétique dans un ouvrage, dans une occasion qui ne le demande pas." (Voir Dictionnaire de l'Academie francase, 1762). se soutient par l'enthousiasme & et exige un grand appareil. Ce sujet est trop vaste pour l'entamer aujourd'hui. Le jour s'éteint : l'heure du souper approche : remettons à traiter cette matiere matière dans une autre conversation.

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"Huitième entretien. Narration oratoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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HUITIÈME ENTRETIEN. Narration Oratoire oratoire , ses qualités et ses ornemens ornements .

Sur le soir les deux amis s'étant retrouvés seuls dans le même cabinet, Timagène dit à Euphorbe ; je suis étonné que vous n'ayez pas retenu ici plus longtemps cet homme d'esprit qui vient de nous quitter. Vous me paroissez paraissez fort lié avec lui ; et je crois qu'il a, de son côté, tout ce qu'il faut pour mériter cette liaison.

Il n'a pas dépendu de moi, répondit Euphorbe, qu'il ne passât deux ou trois jours au moins avec nous. Je l'en ai pressé, avant que vous fussiez descendu dans le sallon salon  : mais ses affaires, ou plutôt celles du public, ne lui permettent pas de s'absenter de la ville plus d'un jour. C'est un de nos bons avocats : et il en est peu qui réussisse réussissent mieux que lui, sur-tout surtout dans le récit oratoire ou dans l'exposition du fait.

Quel mérite si rare trouvez-vous donc, répliqua Timagène, à exposer le plus simplement qu'il est possible un événement, dont les détails nous ont été fournis par d'autres? C'est à cela, je pense, que se réduit tout le travail de l'orateur dans cette partie.

Quelque complaisance que j'aye j'aie pour vous, reprit Euphorbe, je ne puis souscrire à votre avis. Et d'abord, en laissant pour un moment les plaidoyers et les mémoires, ou la simplicité n'est assurément pas sans art, il est d'autres discours qui sont du ressort de l'éloquence. Il faut, par exemple, faire l'éloge d'un grand-homme grand homme , après sa mort ou pendant sa vie. Cette espece espèce de discours n'est, à proprement parler, qu'une narration continuelle. Se contentera-t-on alors de cette simplicité sans art et sans ornemens ornements , dont vous parlez . ?

Je n'ai point prétendu, répondit Timagène, renfermer ces sortes de compositions dans ce que je viens de dire. Je sais qu'il faut y déployer toutes les richesses de l'art oratoire, le coloris du stile style , les éclats du sublime, le brillant des pensées et des descriptions. Dans ces occasions, l'auditoire cherche plus le plaisir que la vérité. Si l'on est trompé, c'est qu'on veut l'être ; et cette séduction, sans être nuisible à personne, tend à faire aimer au moins une chimere chimère aimable. Mais vous me permettrez d'ajouter, qu'outre les plaidoyers et les mémoires, il est d'autres discours où la simplicité dans la narration doit tenir lieu d'ornement. Dans le conseil d'un grand prince, on delibere délibère à quel général on confiera le commandement des armées dans une guerre importante. Il faut appuyer le mérite d'un particulier contre le crédit et la faveur. Pour y réussir, il est nécessaire de rappeller rappeler ses expéditions, ses victoires, et les succès dûs à son habileté. Assurément l'harmonie des périodes, la recherche des figures, les fleurs de l'éloquence, seroient seraient bien déplacées dans une pareille circonstance.

J'en conviens, poursuivit Euphorbe. Mais, dans les sujets de ce genre, il est assez rare que l'orateur ait un récit à faire ; et la narration de Cicéron dans ce beau discoursOrat. pro lege Manil. où il détermina les Romains à charger Pompée de la guerre contre Mithridate, n'est qu'un exposé succinct de l'état où étoient étaient les affaires de Rome en Asie. Quoi qu'il en soit, je vous ai promis de vous faire voir que, dans le récit même d'un plaidoyer, il entre plus d'art que vous ne croyez. Il faut m'acquitter envers vous. Je ne parle point ici de la clarté, de la briéveté brièveté et de ces autres qualités dont nous nous sommes déjà entretenus, et qui sont communes au récit oratoire avec tous les autres récits.Voir en particulier le second entretien. Je m'arrête à ce qui lui est propre, c'est-à-dire, à l'adresse nécessaire à l'orateur dans cette partie de son discours ; adresse qui consiste en deux objets principaux, à établir le fondement des preuves, et à disposer favorablement l'esprit des juges et des auditeurs. Pour produire ces deux effets, ce n'est pas assez d'exposer nuement et simplement la chose telle quelle est. Aussi Cicéron , dit-il,De inventione, l. 1, c. 35. que la narration dont nous parlons, est l'exposition de ce qui s'est passé, ou de ce qui a dû vraisemblablement se passer : et Quintilien ajoute à cette même idéeQuint. lib. 4° cap. 2°. Narratio est rei factae, vel ut factae, utilis ad persuadendum expositio. que cette exposition doit préparer les voies à la persuasion. Il ne suffit pas dit encore Cicéron,De invent. l. 1, c. 35, & et seq. de veiller à la brièveté, à la clarté, à la vraisemblance dans le récit ; il faut encore éviter qu'il ne soit nuisible, qu'il ne soit inutile, qu'il ne soit déplacé ; enfin il faut faire en sorte qu'il soit analogue à la cause.

Voilà en effet plus d'ouvrage que je n' avois avais imaginé, interrompit Timagène.

Je conçois aisément les deux premiers défauts que proscrit l'orateur Romain. Une narration nuisible, est celle qui seroit serait capable de révolter ou d'indisposer les auditeurs Ibid.. Lorsque l'avocat est dans la nécessité de rapporter des faits de ce genre, je pense qu'il ne peut mieux faire, que de les disperser dans tout le cours de son plaidoyer, pour les rendre moins sensibles, et de joindre aussi-tôt aussitôt à chacun d'eux quelque réponse ou quelque réflexion qui serve, pour ainsi dire, d'appareil aux mauvaises suites qu'ils pourroient pourraient avoir. La narration est inutile lorsque le fait est connu de ceux qui nous entendent, et que nous n'avons rien à ajouter à cette connoissance connaissance  ; ou lorsqu'il a été exposé par notre adverse partie, d'une maniere manière qui ne peut nous être désavantageuse. Il est aisé de conclure que dans ces circonstances, il faut omettre toute narration. Mais je ne vois pas aussi clairement quelle est celle que vous nommez déplacée, et celle qui n'est point analogue à la cause. Cette partie du discours, comme vous l'avez remarqué vous-même, doit donner naissance aux preuves : elle doit donc les précéder ; et dès-lors dès lors , il faut qu'elle suive immédiatement l'exorde. Vous regardez apparemment comme déplacées, celles qui n' observeroient observeraient pas cet ordre qui semble dicté par la raison.

Non, mon cher ami, reprit Euphorbe ; ce n'est point là du tout ma pensée. Le raisonnement que vous venez de faire, tout juste qu'il est en général, peut et doit souffrir bien des exceptions. Une narration déplacée est celle qui ne se trouve pas dans l'endroit, où l'intérêt de la cause demande qu'elle se rencontre. Rappellez vous Rappelez-vous le beau plaidoyer de Cicéron pour T. Annius Milon ; vous y verrez une de ces narrations admirablement placée placées , précisément parce qu'elle est hors de sa place ordinaire. Milon et Clodius étoient étaient à la tête de deux factions dans Rome. Le premier venoit venait de mettre à mort son ennemi sur la voie Appienne : le meurtre étoit était constant ; Milon en convenoit convenait  ; il avoit avait même osé reparoître reparaître dans Rome, après un coup aussi hardi. Cependant cet événement faisoit faisait grand bruit dans la ville : le sénat allarmé alarmé d'une pareille audace, avoit avait eu recours aux plus grands remédes remèdes dans les maux de l'état : il avoit avait revêtu Pompée d'un pouvoir absolu par cette fameuse formule, Videat Pompeius ne respublica aliquid detrimenti capiat. que Pompée veille à ce que la république ne soit point endommagée : en conséquence de ce décret, Pompée avoit avait ordonné une information extraordinaire. Tout cela avoit avait fort mal disposé les esprits pour Milon : on disoit disait que son affaire étoit était déjà jugée par avance, et qu'il étoit était perdu. Si dans ces circonstances, l'orateur eût rapporté le fait au commencement de son discours sans autre précaution, il auroit aurait eu lieu de craindre qu'on ne refusât d'ajouter foi à son récit, ou du moins qu'il ne fît une impression trop foible faible sur son auditoire. Il change donc l'ordre usité, & et commence par réfuter ces préjugés contraires à sa partie. Ces nuages étant une fois dissipés, il lui est bien plus facile de présenter les faits sous un coup d' œuil œil qui lui soit favorable ; & et c'est ce qu'il exécute avec cet art que vous lui connoissez connaissez . Je soupçonnerois soupçonnerais que le mauvais succès du premier discours qu'il fit dans cette cause, et que nous n'avons pas, venoit venait de ce qu'il n' avoit avait point songé d'abord à prévenir par ce moyen les clameurs et le tumulte de ceux qui étoient étaient prévenus contre sa partie.

C'est peut-être à l'imitation de l'orateur Romain, ajouta Timagène, qu M. le Maître,Plaid. 14. dans un plaidoyer que je lisois lisais ces jours-ci, a placé une de ces précautions oratoires, avant l'exposition du fait. Il parloit parlait pour une demande en séparation : l'avocat de la partie adverse avoit avait sans doute avancé, qu'on ne pouvoit pouvait reprocher à son client d'autre défaut que de s'oublier quelquefois à table, et de passer un peu les bornes de la tempérance : ce qui ne semble pas suffisant pour autoriser une femme à demander sa séparation. C'est pourquoi l'orateur a cru, qu'avant de rapporter les faits relatifs à la cause, il devoit devait prévenir ses juges que le vin avoit avait des suites affreuses dans le particulier en question, qu'il le portoit portait à des excès inouis, et en faisoit faisait un une espece espèce de monstre.

Dans un autre discoursPlaid. sixieme. du même avocat, reprit Euphorbe, vous avez dû voir la réfutation mêlée et confondue dans la narration même. Il s' agissoit agissait de prouver qu'un religieux étoit était entré par force dans un monastere monastère , et y avoit avait fait profession malgré lui. Le détail des circonstances etoit etait long, et pouvoit pouvait ennuyer ; la cause avoit avait par elle-même une apparence odieuse, que les adversaires avoient avaient pris soin d'augmenter, en faisant un magnifique éloge de la vie religieuse ; certains faits pouvoient pouvaient laisser des idées désavantageuses dans l'esprit des juges, si l'on différoit différait à les expliquer ou a à y répondre. L'habile orateur, qui sentoit sentait ces inconvéniens inconvénients , a pris le parti d'entrecouper son récit par des réflexions capables de prévenir tous ces mauvais effets. Vous voyez clairement que le lieu du récit oratoire n'est déterminé, que par la nature de l'objet sur lequel on doit parler ; et cela doit déjà vous faire entendre ce qu'exige Cicéron, quand il demande qu'il soit analogue à la cause. Cette analogie n'est autre chose que l'addresse de l'orateur à intéresser ses juges, et les prévenir en faveur des faits qu'il rapporte, et à établir les fondemens fondements des preuves qu'il doit employer dans la suite. Ce sont là ces deux effets importants, dont je vous parlois parlais il n'y a qu'un instant. Pour mettre dans un plus grand jour cet artifice, voyons quel usage en a fait un célèbre avocat de ce siécle siècle . Permettez que je vous fasse la lecture du récit oratoire, dans la cause que M. M. CochinHenri Cochin, avocat français, né à Paris le 10 juin 1687 et mort le 27 février 1747. plaida pour le président d'Aiguille, contre Catherine de Belrieu de Virasel, qui prétendoit prétendait être sa petite nièce, et que le président traitoit traitait d'enfant supposé. Figurez-vous, pour un moment, que vous êtes assis sur le trône de la justice. Après avoir entendu l'avocat, vous jugerez la question en dernier ressort. Mad. de Virasel fut mariée le premier avril 1700. On n'examine point si elle rapporta à son époux cette dot précieuse, sans laquelle tous les biens sont méprisables : Dos est magna parentium Virtus, et metuens alterius viri Certo fædere castitas. On souhaiteroit souhaiterait que la conduite de M. de Virasel n'eut pas forcé le public à pousser plus loin sa curiosité sur ce sujet. A À peine étoit était -on sorti des premiers jours consacrés à la joie et aux plaisirs, que l'on vit éclater une funeste division entre l'époux et l'épouse. M. de Virasel, qui convient de ce fait dans son mémoire imprimé, n'a pas jugé à propos de nous en découvrir la cause. ... Respectons des secrets que M. de Virasel n'a pas trouvé bon de nous confier : contentons-nous du fait, qu'il a reconnu si positivement. Cependant la nouvelle de la grossesse de Mad. de Virasel se répand dans le public : cet événement souvent propre à ranimer la tendresse d'un époux, ne fit pas une semblable impression sur le cœur de M. de Virasel. Quoi qu'il en soit, Mad. de Virasel n'étant encore que dans le sixieme sixième mois de son mariage, suivit au mois de septembre M. de Volusan son pere père dans le château de Bessan ; et, après avoir passé quelques jours avec lui, elle se retira seule dans son château de Tartuguere Tartuguère , où elle accoucha d'une fille le 6 ou 7 octobre 1700. M. le président de Volusan, qui se rendait chaque jour à Tartuguere Tartuguère , écrivit aussi-tôt aussitôt à M. de Virasel que sa femme étoit était accouchée, que l'enfant étoit était venu mort au monde. C'est M. de Virasel lui-même qui nous a informé de cette vérité ; et ce fut avec cette circonstance que la nouvelle de l'accouchement de Mad. de Virasel fut rendue publique dans sa famille. Un fait important qu'il faut placer ici, est qu'en effet on ne trouve dans aucun registre, soit de la paroisse dans laquelle Mad. de Virasel est accouchée, soit d'aucune autre l'extrait baptistere baptistère de cette fille de Mad. de Virasel. Ce fait décisif aura son application dans la suite. Sur la foi de M. de Volusan, sur l'aveu de M. et de Mad. de Virasel, toute la famille est demeurée intimement persuadée que M. de Virasel n' avoit avait point d' enfans enfants . On n'en voyoit voyait point paroître paraître dans la maison du gendre, ni du beau- pere père  ; ce fruit malheureux qui étoit était péri avant sa naissance, étoit était même presque échappé à la mémoire des plus proches parens parents . C'est en cet état que Mad. de Virasel est décédée au mois de novembre de l'année 1703, sans avoir pu réparer pendant le temps qu' avoit avait duré son mariage la perte qu'elle avoit avait faite de son premier fruit. M. de Virasel entre les témoignages de sa douleur, n' oublioit oubliait pas cette circonstance, qui la rendoit rendait plus vive ; que Mad. de Virasel en mourant l' avoit avait laissé sans enfans enfants . Il disoit disait aux personnes qui le venoient venaient voir : Saltem si quis mihi parvulus aulâ aula luderet Æneas : du moins s'il m' étoit était resté quelqu'enfant pour ma consolation, je supporterois supporterais ma perte avec plus de soulagement. Toutes les personnes de condition s' intéresserent intéressèrent au malheur de M. de Virasel. Mais quelle fut leur surprise, lorsqu'au bout d'un mois, on vit paroître paraître dans sa maison une petite fille, qu'il vouloit voulait faire passer pour être la même dont Mad. de Virasel étoit était accouchée en 1700 ? L'imposture étoit était trop grossiere grossière pour ne pas exciter l'indignation de toute la province, sur-tout surtout quand on fut informé de la qualité des personnes des mains de qui il avoit avait pris ce sujet d'opprobre et de scandale, qu'il vouloit voulait introduire dans sa famille. M. le président d'Aiguille, plus intéressé que les autres par les liens du sang qui l'unissent de si près avec M. de Virasel, fut un des premiers à témoigner sa surprise. Il ne voulut cependant rien hasarder, qu'il ne fût exactemenr instruit des circonstances de la prétendue découverte de M. de Virasel. Le 11 décembre 1703, il envoie chercher la Peluchon, cette femme chez qui M. de Virasel étoit était allé prendre sa prétendue fille ; il se fait faire le récit odieux des démarches de M. de Virasel ; il s'informe ensuite de la qualité de cette femme, de ses habitudes, de son commerce. Plus on avance dans ces recherches, plus on est frappé d'horreur, à la vue d'une supposition si criminelle. Enfin M. le président d'Aiguille croit être obligé d'éclater, et fait signifier le 31 janvier 1704, tant à M. le président de Virasel qu'à M. le président de Volusan, une protestation solemnelle, dans laquelle il se récrie contre la supposition et l'imposture. Il déclare ouvertement, qu'il ne prétend pas que tout ce que M. de Virasel pourra faire puisse mettre cette petite mandiante mendiante La graphie de l'original, quoique inhabituelle, est cependant attestée dans les dictionnaires de référence (Féraud)., qu'il a retirée chez lui, en possession de l'état de fille dudit seigneur de Virasel et de ladite dame de Mulet de Volusan, son épouse. M. de Volusan, de son côté, que l'affront touchoit touchait encore de plus près, rompit toute liaison avec son gendre. Sa juste colere colère l'a accompagné jusqu'au tombeau ; et s'il a donné au devoir de la religion un pardon qu'elle exige, ç'a ça a été sans trahir la justice qu'il devoit devait à sa famille. Prêt à mourir, il a bien voulu voir M. de Virasel, pour lui pardonner ; mais non pas cet enfant d'ignominie, pour le reconnoître reconnaître . Il n'en faut pas d'autre garant que son testament même, dans lequel méconnaissant cette production de l'imposture la plus détestable, il institue pour son héritiere héritière universelle la dame d'Essenaut, sa nièce. Mad. de Volusan accablée de douleur, s'est condamnée à son triste silence. Trop à plaindre d'avoir survêcu survécu à tant de disgraces disgrâces , elle a fait ce qu'elle a pu pour se cacher, s'il eût été possible, à elle-même, le désordre de sa maison ; attendant avec respect la décision de la justice, qui étoit était saisie du différend de M. de Virasel et de la dame d'Essenaut. Elle s'est réduite à ne point prendre de parti. C'est ce qui fait que dans quelques mémoires, que l'on a trouvés après sa mort, en distinguant les effets qui appartenoient appartenaient à la succession de M. de Volusan, elle veut, dit-elle, qu'ils soient rendus aux véritables héritiers de son mari. Ce n'est point ainsi qu'elle eut parlé d'une fille unique de sa fille, si elle eût reconnu la partie adverse pour telle : elle ne se seroit serait point réduite à des termes si vagues, et, l'on peut dire en quelque maniere manière , si indifférens indifférents . C'est dans ces sentimens sentiments qu'elle est décédée au mois de décembre 1713, laissant pour seuls et uniques héritiers, M. le président d'Aiguille son frere frère , le sieur le Berthon et la dame de Lassalle, ses autres frere frère et sœur. Vous voilà instruit de l'affaire. Prononcez maintenant.

Vous voulez me prendre en défaut, répliqua Timagène ; mais n'importe. Je crois qu'on ne peut pas se défendre de regarder la fille en question comme supposée, et qu'il faut par conséquent lui interdire de porter le nom et les armes de la famille dans laquelle elle prétendoit prétendait entrer.

Si je ne savois savais pas quel a été le succès de cette cause, poursuivit Euphorbe, je déciderois déciderais comme vous, sur le narré que vous venez d'entendre. Mais les juges ont vu les choses sous un point de vue bien différent. Ils ont déclaré Catherine de Belrieu fille de M. de Virasel, et ont condamné ses parens parents à lui remettre les biens auxquels elle avoit avait droit de prétendre en cette qualité. Voici à peu-près peu près comme les faits se présenterent présentèrent à leurs ieux yeux , sur les dépositions des témoins et autres informations, après les avoir dépouillés de tout l'artifice de l'éloquence. L'épouse de M. de Virasel, président au parlement de Bordeaux, s' étoit était séparée de son mari, dès les premiers jours de son mariage, et s' étoit était retirée chez le président de Volusan, son pere père , et delà de là , dans une de ses terres. Elle y mit au monde une fille. M. de Volusan et sa famille, mécontents de M. de Virasel, avoient avaient d'ailleurs un intérêt personnel de faire disparoître disparaître cette unique héritiere héritière , qui faisoit faisait passer entre les mains de M. de Virasel des biens qu'ils auroient auraient conservés, sans cette naissance. On prend donc le parti de dire à la mere mère , et de répandre dans le public, que l'enfant étoit était mort en venant au monde. Cependant on le fait transporter dans un village à quelques lieues de là ; on le fait baptiser comme un enfant trouvé et on charge une pauvre femme de le nourrir, sans le connoître connaître . M. de Virasel fut d'abord trompé comme les autres, et ajouta foi au bruit public. Mais, trois ans après, sa femme étant morte, il fut mieux informé : il retira chez lui cet enfant et la reconnut pour sa fille : mais M. le président d'Aiguille et ses autres freres frères refuserent refusèrent de souscrire à cette reconnoissance reconnaissance et lui contesterent contestèrent son état.

Après avoir entendu ces deux récits, répliqua Timagène, je ne suis plus surpris de voir Henri IV assistant à l'audience, donner gain de cause aux deux parties adverses. Un avocat sait fasciner nos ieux yeux , et nous faire appercevoir apercevoir ce qui lui plaît. Avec quelle habileté le vôtre sait faire usage des circonstances et les tourner à son avantage ! Le bruit s'est répandu que Mad. de Virasel a mis au monde un enfant mort : il en profite ; il l'appuie même par une autre circonstance, qui semble en démontrer la vérité ; c'est le défaut d'extrait baptistere baptistère dans toutes les paroisses, où il devoit devait naturellement se trouver. Tout cela est encore fortifié par l'aveu de M. de Virasel lui-même, dans les plaintes qu'il laisse échapper sur la mort de son épouse. Avec quelle adresse cet orateur interprète-t-il l'incertitude où Mad. de Volusan paroît paraît avoir été jusqu'à sa mort sur l'état de l'enfant dont il s' agissoit agissait  ! Cet artifice est admirable ; il en faut convenir. Mais n'est-il pas un peu contraire à la vérité, la sœur la plus inséparable de la probité ?

S'il se trouvoit trouvait au barreau, repartit Euphorbe, un orateur capable d'employer ces ressources dans une cause dont il connoîtroit connaîtrait lui-même le vice, ce seroit serait le plus condamnable des hommes. Mais le plus souvent l'avocat est séduit par l'exposition des faits, comme vous venez de l'être vous-même. Il les apprend des parties intéressées, qui cachent ou ne dévoilent qu'à moitié ce qui peut leur nuire : il ne doit pas les soupçonner de mauvaise foi. Leurs prétentions lui paroissent paraissent donc marquées au coin de l'équité ; et dès-lors dès lors , il déploie tous les ressorts de son art, pour faire valoir ce qu'il croit légitime. Il se persuade qu'il prend en main les intérêts de l'innocence, tandis qu'il est quelquefois malgré lui le protecteur du crime et de l'injustice.

J' aimerois aimerais bien autant, répliqua Timagène, qu'on plaidât ici comme dans l'AréopageL'Aréopage était à Athènes un conseil qui se tenait sur une colline du même nom., où les avocats étoient étaient obligés d'exposer le fait dans sa plus grande simplicité, sans réflexion, sans art ; ou tout appareil d'éloquence étoit était interdit. Mais puisque l'usage est différent, il n'est pas inutile d'examiner comment ces Messieurs messieurs s'y prennent dans leurs récits, pour gagner leurs juges et établir leurs preuves ; quand ce ne seroit serait que pour se mettre en garde contre l'illusion. Examinons donc, s'il vous plaît, dans le détail, en quoi consiste cette adresse. Je m'imagine qu'elle dépend d'abord principalement d'un air naturel dans les faits, et d'une grande apparence de candeur et de vérité dans l'orateur, qui ne laisse aucunement pénétrer l'art de son récit. C'est cet admirable ressort, ou je ne me trompe, que Quintilien appelle la vraisemblance, et qu'il développe si bien dans ses institutionsLib. 4. c. 2.. Pour y réussir, selon cet habile rhéteur, il faut suivre pas à pas la nature ; il faut exposer les motifs et les vues de ceux que nous faisons agir, montrer que leurs caracteres caractères , leurs habitudes s'accordent avec la conduite que nous leur attribuons. Mais surtout il faut déguiser tout cela sous le voile d'une simplicité qui ne laisse pas même soupçonner notre artifice. Il apporte ensuite pour exemple la maniere manière infiniment adroite dont Cicéron décrit le départ de Milon pour Lanuvium ; et l' espece espèce de naïveté avec laquelle cet orateur peint, dans les démarches de sa partie, une tranquillité et même une lenteur qui n'est point naturelle à un homme occupé d'un grand crime. Une autre attention qu'il faut avoir, c'est de ne rien omettre de ce qui peut faire naître des soupçons désavantageux à notre adverse partie, ou diminuer ceux qu'on pourroit pourrait avoir conçus contre nous. C'est un précepte que je me souviens d'avoir lu dans un ouvrage imprimé avec ceux de Cicéron.Ad Heren. lib. 2, c. 3.

Je m' apperçois aperçois bien, poursuivit Euphorbe, que vous ne vous contentez pas de lire César et le chevalier Folard.Jean-Charles de Folard, dit le Chevalier de Folard (1669-1752), fut un stratège, ingénieur et homme de guerre français. Vous venez en effet d'extraire des deux maîtres de l'éloquence Romaine romaine , ce qu'il y a de plus important dans le récit oratoire. J'y voudrois voudrais seulement ajouter, que l'orateur doit se borner aux circonstances qui forment ou qui appuyent appuient ses preuves. Ce qui donne aux narrations de M. Cochin un jour admirable, dit l'auteur de la préface de ses œuvres, c'est qu'elles ne présentent rien qui n'ait rapport à son sujet , qui est unique. Voir la Préface de l'édition de 1751, p. xxxiii. C'est par cette raison que le défenseur de Milon s'arrête à des détails qui semblent minutieux, comme le remarque Quintilien, mais qui prouvent invinciblement ce que l'orateur vouloit voulait établir ; savoir, que Milon ne méditoit méditait point un meurtre, qu'il n'a point été l'agresseur, et que s'il a mis à mort Clodius, ce n'a été que dans les bornes d'une légitime défense. Si vous êtes curieux de voir avec quelle adresse un habile avocat s'insinue dans l'esprit de ses juges, par le détail des faits, et y prépare les voies du reste de son discours, lisons la narration de l'orateur Romain romain Orat. secunda, pro Sext. Roscio Amerino, n. 15., lorsqu'il défendit Sextus Roscius d'Amerie, accusé d'avoir assassiné son propre pere père . Cicéron étoit était jeune alors, et l'on s'en apperçoit aperçoit  : mais cette jeunesse est celle d'un grand homme, dont les coups d'essai sont presque des chef-d'œuvres. Il avoit avait pour juges, des sénateurs choisis par le dictateur Sylla dans les premieres premières maisons de Rome. Il se propose de leur prouver non seulement que Roscius est innocent du crime qu'on lui impute, mais même qu'on ne peut l'attribuer qu'aux deux Roscius, ses parens parents et ses accusateurs, appuyés du crédit d'un certain Chrysogonus, favori de Sylla. Ecoutons-le rapporter le fait dont il s'agit. [15] Sext. Roscius, pater hujusce, municeps Amerinus [p434] fuit, cum genere & nobilitate, & pecunia non modo sui municipii, verum etiam ejus vicinitatis facilè primus, tum gratiâ atque hospitiis florens hominum nobilissimorum. Nam cum Metellis, Serviliis, Scipionibus erat ei non modo hospitium, verum etiam domesticus usus et consuetudo, quas, ut æquum est, familias honestatis amplitudinisque gratia nomino. Itaque ex suis omnibus commodis hoc solum filio reliquit; nam patrimonium [p435] domestici prædones vi ereptum possident, fama et vita innocentis ab hospitibus amicisque paternis defenditur. [16] Hic cum omni tempore nobilitatis fautor fuisset, tum hoc tumultu proximo, cum omnium nobilium dignitas et salus in discrimen veniret, præter ceteros in ea vicinitate eam partem causamque opera, studio, auctoritate defendit. Etenim rectum putabat pro eorum honestate se pugnare, propter quos ipse honestissimus inter suos numerabatur. Postea quam victoria constituta est ab armisque recessimus, cum proscriberentur [p436] homines atque ex omni regione caperentur ei, qui adversarii fuisse putabantur, erat ille Romæ frequens atque in foro et in ore omnium cotidie versabatur, magis ut exsultare victoria nobilitatis videretur quam timere, ne quid ex ea calamitatis sibi accideret. [17] Erant ei veteres inimicitiæ cum duobus Rosciis Amerinis, quorum alterum sedere in accusatorum subselliis video, alterum tria hujusce prædia possidere audio; quas inimicitias si tam cavere potuisset, quam metuere solebat, [p437] viveret. Neque enim, judices, injuria metuebat. Nam duo isti sunt T. Roscii, quorum alteri Capitoni cognomen est, iste, qui adest, Magnus vocatur, homines ejus modi: Alter plurimarum palmarum vetus ac nobilis gladiator habetur, hic autem nuper se ad eum lanistam contulit, quique ante hanc pugnam tiro esset quod sciam, facile ipsum magistrum scelere audaciaque superavit. [18] Nam cum hic Sex. Roscius esset Ameriæ, T. autem iste Roscius Romæ, cum hic filius adsiduus in prædiis esset cumque se voluntate patris rei familiari vitæque rusticæ dedisset, iste autem [p438] requens Romæ esset, occiditur ad balneas Pallacinas rediens a cena Sex. Roscius. Spero ex hoc ipso non esse obscurum, ad quem suspicio malefici pertineat; verum id, quod adhuc est suspiciosum, nisi perspicuum res ipsa fecerit, hunc adfinem culpæ judicatote. [19] Occiso Sex. Roscio primus Ameriam nuntiat Mallius Glaucia quidam, homo tenuis, libertinus, cliens et familiaris istius T. Rosci, et nuntiat domum non fili, sed T. Capitonis inimici; et cum Post horam primam noctis occisus esset, primo diluculo nuntius hic Ameriam venit; decem horis nocturnis sex et quinquaginta [p439] milia passuum cisiis pervolavit, non modo ut exoptatum inimico nuntium primus adferret, sed etiam cruorem inimici quam recentissimum telumque paulo ante e corpore extractum ostenderet. [20] Quadriduo quo hæc gesta sunt res ad Chrysogonum in castra L. Sullæ Volaterras defertur; magnitudo pecuniæ demonstratur; bonitas prædiorum ­ nam fundos decem et tris reliquit, qui Tiberim fere omnes tangunt ­ hujus inopia et solitudo commemoratur; demonstrant, cum pater hujusce Sex. Roscius, homo tam splendidus et gratiosus, nullo negotio sit occisus, perfacile hunc hominem incautum et rusticum et Romæ ignotum [p440] de medio tolli posse; ad eam rem operam suam pollicentur. [21] Ne diutius teneam, judices, societas coitur. Cum nulla jam proscriptionis mentio fieret, cum etiam, qui antea metuerant, redirent ac jam defunctos sese periculis arbitrarentur, nomen refertur in tabulas Sex. Rosci, hominis studiosissimi nobilitatis; manceps fit Chrysogonus; tria prædia vel nobilissima Capitoni propria traduntur, quæ hodie possidet; in reliquas omnis fortunas iste T. Roscius nomine Chrysogoni, quem ad modum ipse dicit, impetum facit. ... Hæc omnia, judices, imprudente L. Sulla facta esse certo scio. [22] Neque enim mirum, cum [p441] eodem tempore et ea, quæ præterita sunt, reparet et ea, quæ videntur instare, præparet, cum et pacis constituendæ rationem et belli gerendi potestatem solus habeat, cum omnes in unum spectent, unus omnia gubernet, cum tot tantisque negotiis distentus sit, ut respirare libere non possit, si aliquid non animadvertat, cum præsertim tam multi occupationem ejus observent tempusque aucupentur ut, simul atque ille despexerit, aliquid hujusce modi moliantur. Huc accedit, quod, quamvis ille felix sit, sicut est, tamen in tanta felicitate nemo potest esse in magna familia, qui neminem neque [p442] servum neque libertum improbum habeat. [23] Interea iste T. Roscius, vir optimus, procurator Chrysogoni, Ameriam venit, in prædia hujus invadit, hunc miserum, luctu perditum, qui nondum etiam omnia paterno funeri justa solvisset, nudum eicit domo atque focis patriis disque penatibus præcipitem, judices, exturbat, ipse amplissimæ pecuniæ fit dominus. Qui in sua re fuisset egentissimus, erat, ut fit, insolens in aliena; multa palam domum suam auferebat; plura clam de medio removebat, non pauca suis adjutoribus large effuseque donabat, reliqua constituta auctione [p443] vendebat. [24] Quod Amerinis usque eo visum est indignum, ut urbe tota fletus gemitusque fieret. Etenim multa simul ante oculos versabantur, mors hominis florentissimi, Sex. Rosci, crudelissima, fili autem ejus egestas indignissima, cui de tanto patrimonio prædo iste nefarius ne iter quidem ad sepulcrum patrium reliquisset, bonorum emptio flagitiosa, possessio, furta, rapinæ, donationes. Nemo erat, qui non audere omnia mallet quam videre in Sex. Rosci, viri optimi atque honestissimi, bonis jactantem se ac dominantem T. Roscium. [25] Itaque decurionum [p444] decretum statim fit, ut decem primi proficiscantur ad L. Sullam doceantque eum, qui vir Sex. Roscius fuerit, conquerantur de istorum scelere et injuriis, orent, ut et illius mortui famam et fili innocentis fortunas conservatas velit. Atque ipsum decretum, quæso, cognoscite. Legati in castra veniunt. Intellegitur, judices, id quod jam ante dixi, imprudente L. Sulla scelera hæc et flagitia fieri. Nam statim Chrysogonus et ipse ad eos accedit et homines nobilis adlegat, qui peterent, ne ad Sullam adirent, et omnia Chrysogonum, quæ vellent, esse facturum pollicerentur. [26] Usque adeo autem ille [p445] pertimuerat, ut mori mallet, quam de his rebus Sullam doceri. Homines antiqui, qui ex sua natura ceteros fingerent, cum ille confirmaret sese nomen Sex. Rosci de tabulis exempturum, prædia vacua filio traditurum, cumque id ita futurum T. Roscius Capito, qui in decem legatis erat, appromitteret, crediderunt; Ameriam re inorata reverterunt. Ac primo rem differre cotidie ac procrastinare isti coeperunt, deinde aliquanto lentius nihil agere atque deludere, postremo, id quod facile intellectum est, insidias vitæ hujusce Sex. Rosci parare neque sese arbitrari [p446] posse diutius alienam pecuniam domino incolumi obtinere. [27] Quod hic simul atque sensit, de amicorum cognatorumque sententia Romam confugit et sese ad Cæciliam, Nepotis sororem, Baliarici filiam, quam honoris causa nomino, contulit, qua pater usus erat plurimum; in qua muliere, judices, etiam nunc, id quod omnes semper existimaverunt, quasi exempli causa vestigia antiqui offici remanent. Ea Sex. Roscium inopem, ejectum domo atque expulsum ex suis bonis, fugientem latronum tela et minas, [p447] recepit domum hospitique oppresso jam desperatoque ab omnibus opitulata est. Ejus virtute, fide, diligentia factum est, ut hic potius vivus in reos quam occisus in proscriptos referretur. [28] Nam postquam isti intellexerunt summa diligentia vitam Sex. Rosci custodiri neque sibi ullam cædis faciendæ potestatem dari, consilium ceperunt plenum sceleris et audaciæ, ut nomen hujus de parricidio deferrent, [p448] ut ad eam rem aliquem accusatorem veterem compararent, qui de ea re posset dicere aliquid, in qua re nulla subesset suspicio, denique ut, quoniam crimine non poterant, tempore ipso pugnarent. Ita loqui homines: 'Quod judicia tam diu facta non essent, condemnari eum oportere, qui primus in judicium adductus esset; huic autem patronos propter [p449] Chrysogoni gratiam defuturos; de bonorum venditione et de ista societate verbum esse facturum neminem; ipso nomine parricidi et atrocitate criminis fore, ut hic nullo negotio tolleretur, cum ab nullo defensus esset. [29] Hoc consilio atque adeo hac amentia impulsi, [p450] quem ipsi, cum cuperent, non potuerunt occidere, eum jugulandum vobis tradiderunt. Sextus Roscius, pere père de ma partie, étoit était un citoyen d'Amerie. Sa naissance, sa noblesse, sa fortune le mettoient mettaient au premier rang, non seulement dans cette ville municipale, mais encore dans tous les environs. Il joignoit joignait à cela la faveur & et l'amitié de la noblesse la plus distinguée qu'il recevoit recevait chez lui. Sa maison étoit était fréquentée par les Metellus, les Servilius, les Scipions : il avoit avait même avec eux des liaisons intimes & et une espèceLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. de familiarité. Si je rappelle ici ces grands noms, c'est avec la distinction & et le respect qui leur sont dûs. De tous les avantages dont jouissoit jouissait Roscius, ce dernier est le seul qu'il ait laissé à son malheureux fils. Des brigands domestiques ont envahi son patrimoine qu'ils possédent possèdent maintenant ; mais les connoissances connaissances et les amis de son pere père , prennent la défense de sa réputation, de son innocence & et de sa vie. Roscius avoit avait toujours été le partisan de la noblesse ; il le fut plus que jamais dans ces derniers troubles, où la dignité & et la vie de tous les nobles furent exposées aux plus grands dangers, et il n'épargna, dans son voisinage, ni ses soins, ni son zèle, ni son crédit pour une si belle cause. Il regardoit regardait comme un devoir pour lui de défendre l'honneur de ceux à qui il devoit devait celui dont il jouissoit jouissait lui-même parmi ses concitoyens. La victoire s'étant enfin déclarée, & et ses combats ayant cessé, dans le temps où l'on arrêtoit arrêtait par-tout partout , où l'on proscrivoit proscrivait ceux qui étoient étaient soupçonnés d'avoir tenu le parti contraire, il se montra fréquemment dans Rome, au milieu de la place publique, sous les ieux yeux des citoyens ; il parut enfin prendre part au triomphe de la noblesse, bien loin d'appréhender qu'il ne lui en arrivât aucun accident. Depuis long-temps longtemps il avoit avait des démêlés avec les deux Roscius d'Amerie, dont l'un est ici sous mes ieux yeux parmi les accusateurs ,  ; l'autre posséde possède , à ce que j'apprends, trois fonds de terre de l'accusé. Si Roscius eût été aussi attentif à prévenir les effets de ces démêlés, qu'ils lui causoient causaient d' allarmes alarmes , il vivroit vivrait aujourd'hui. Et ce n' étoit était pas sans fondement qu'il craignoit craignait les ressentiments d'un T. Roscius Capiton, d'un T. Roscius Magnus, qui est ici présent. Connoissez Connaissez , Messieurs, de quels hommes je parle : l'un est un ancien gladiateur, déjà fameux par plus d'une victoire remportée dans l' arêne arène  : l'autre, qui n' étoit était encore qu'un novice avant cet exploit, a pris depuis peu les leçons de cet excellent maître d'escrime, & et l'a bientôt emporté sur lui en scélératesse & et en audace. En effet, suivons l'ordre des faits, & et je me flatte qu'ils vous feront voir clairement sur qui doivent tomber les soupçons du crime qui nous occupe. Sextus Roscius, pour qui je parle, est à Amerie, & et T. Roscius est à Rome ; celui-là passe ses jours dans ses terres, où il se livre tout entier à la vie champêtre et au soin de ses biens pour se conformer à la volonté de son pere père  ; celui-ci ne sort point de la capitale ; & et c'est dans ces circonstances que Sext. Roscius le pere père est assassiné près des bains du mont Palatin, en revenant de souper. Mais ce ne sont là que des soupçons ; allons plus loin ; & et si la suite des événemens événements n'apporte ici l'évidence, je consens que vous regardiez ma partie comme coupable de ce meurtre. Le premier qui porta à Amerie la nouvelle de la mort de Roscius, fut un certain Manlius Glaucia, homme obscur, affranchi, client & et ami particulier de ce T. Roscius : où va-t-il l'annoncer ? ce n'est pas chez son fils, mais chez T. Capiton, son ennemi : le meurtre avoit avait été commis plus d'une heure après la nuit fermée, et le courrier arrive au point du jour à Amerie, ayant ainsi parcouru en chaise pendant les ténébres ténèbres , cinquante-six mille pas en dix heures de temps. Le but de tant de diligence n' étoit était pas seulement d'apporter le premier à Capiton, une nouvelle qui put flatter sa haine : il vouloit voulait lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, et fumant encore du sang qu'il venoit venait de répandre. Quatre jours après, on se rend à Volaterra, dans le camp de Sylla ; on y raconte cet événement à Chrysogonus : on lui expose les sommes considérables que laisse le défunt, la richesse de ses fonds, au nombre de treize, presque tous sur les bords du Tibre : on lui fait remarquer que son fils est sans ressource et sans appui : Si Sext. Roscius, lui dit-on, malgré sa magnificence & et son crédit, a pu être assassiné sans peine, on peut plus aisément encore se défaire d'un particulier inconnu dans Rome : on lui offre, on lui promet de l'exécuter : en un mot, Messieurs, le complot se forme. On ne parloit parlait plus alors de proscriptions ; ceux-mêmes que la crainte avoit avait mis en fuite, reparoissoient reparaissaient et se croyoient croyaient hors de danger : n'importe ; Chrysogonus se porte pour adjugataire des biens d'un citoyen, toujours dévoué à la noblesse. On donne en toute propriété à Capiton trois des meilleures terres, qu'il posséde possède aujourd'hui : et ce T. Roscius ici présent, s'empare de tout le reste du bien ; mais, comme il le dit lui-même, au nom de Chrysogonus. ... [...] Je suis parfaitement instruit, Messieurs, que tout cela s'est passé à l'insçu l'insu de Sylla. Doit-on être surpris en effet, qu'il échappe quelque chose à un homme chargé tout-à-la-fois tout à la fois , de réparer les maux passés, & et de prévenir ceux qui semblent nous menacer ; à un homme qui seul a le pouvoir de faire la guerre, & et les moyens d'établir la paix, sur qui tous les ieux yeux sont ouverts, de qui tout dépend ; à un homme enfin, occupé de tant d'affaires importantes, qu'à peine a-t-il le temps de respirer : sur-tout surtout si l'on se représente une foule de gens attentifs à observer le temps où il est le plus sérieusement appliqué, & et à saisir l'instant où il détourne les ieux yeux , pour ourdir quelque trame pareille à celle-ci. Sylla est heureux sans doute, ce titre lui convient : mais quelque soit son bonheur, il est impossible que dans un nombreux domestique, il n'y ait pas un esclave, pas un affranchi, dont la probité se soit jamais démentie. Cependant, ce même T. Roscius, ce vertueux procureur de Chrysogonus, arrive à Amerie : il s'empare des terres de Sextus, & et , avant que ce malheureux fils eut pu rendre les derniers devoirs aux cendres de son pere père , il le dépouille, il ne lui laisse que la misere misère & et les larmes, il l'arrache violemment à ses Dieux Pénates,"Les Pénates sont des divinités étrusques puis romaines. Ils sont chargés de la garde du foyer et plus particulièrement des biens, du feu servant à faire la cuisine et du garde-manger." (Art. "Pénates", Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Pénates.) il le bannit, il le chasse de sa propre maison, & et devient le maître d'une ample & et riche succession. Destiné par son état aux humiliations de l'indigence, il devint audacieux dans une fortune étrangere étrangère  ; c'est l'ordinaire. Il emporta publiquement plusieurs effets chez lui : il en fit disparoître disparaître bien d'autres secretement secrètement  : il fit de riches & et de magnifiques présens présents à ses coopérateurs, et fit vendre le reste à l' enchere enchère . Cette conduite parut si indigne aux habitants d'Amerie, que la ville entiere entière retentissoit retentissait de pleurs et de gémissemens gémissements . Mille objets se réunissoient réunissaient pour augmenter leur douleur ; la mort cruelle du plus illustre de leurs concitoyens, l'état déplorable de son fils dépouillé du plus beau patrimoine par l'avarice d'un scélérat, qui ne lui avoit avait pas même laissé un sentier pour aller verser des larmes sur le tombeau de son pere père , la vente et l'usurpation criminelle de de ses biens dissipés par le vol, les rapines et les prodigalités. Il n' étoit était point d'accident, point de malheur qu'on trouvât comparable à celui de voir un T. Roscius enrichi & et décoré des biens de Sext. Roscius, le plus honnêtes honnête et le plus vertueux des hommes. En conséquence les DécurionsLes décurions sont les membres de "l'ordo decurionum", c'est-à-dire des assemblées locales des cités ou municipes de l'Empire romain (voir Art. "Ordre décurional", Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre décurional ) s'assemblent & et ordonnent par un decret décret , que les dix premiers d'entr'eux se rendront auprès de Sylla, qu'ils lui représenteront quel homme étoit était S. Roscius, qu'ils se plaindront de l'injustice de ces scélérats, qu'ils le prieront enfin de mettre à couvert sous sa protection & et l'honneur d'un pere père mort, & et la fortune d'un fils innocent. ... [...] Les députés arrivent au camp. C'est ici, Messieurs, qu'on reconnoît reconnaît la vérité de ce que j'ai dit, que Sylla ignoroit ignorait ces infamies et ces horreurs. Chrysogonus vient trouver les députés lui-même ; il leur envoye envoie des gens de distinction pour les prier de ne point voir Sylla, & et les assurer que Chrysogonus se soumettra à tout ce qu'ils désirent. Il appréhendoit appréhendait si fort que toutes ces intrigues ne vinssent aux oreilles de Sylla, qu'il eût préféré la mort à un pareil accident. Les députés élevés dans la simplicité des premiers âges, jugeoient jugeaient des autres par leur propre cœur. Chrysogonus protestoit protestait qu'il effaceroit effacerait du tableau des proscripts proscrits le nom de Sext. Roscius, & et qu'il remettroit remettrait à son fils toutes ses terres : T. Roscius Capiton l'un des dix députés garantissoit garantissait ces promesses : ils les crurent sinceres sincères , & et retournerent retournèrent à Amerie, sans avoir exécuté leur commission. On com-mença d'abord par différer & et remettre de jour en jour ce qu'on avoit avait promis ; ensuite par des lenteurs affectées, on demeura dans l'inaction, & et on éluda l'exécution de ses engagemens engagements  ; enfin, il fut aisé de s' appercevoir apercevoir qu'on en vouloit voulait aux jours de Sex. Roscius le fils, & et que nos adversaires avoient avaient compris, qu'ils ne pouvoient pouvaient pas jouir plus long-temps longtemps d'un bien usurpé, s'ils laissoient laissaient vivre celui qui en étoit était le propriétaire Iégitime. Roscius pénétra leur dessein ; & et par le conseil de ses parens parents & et de ses connoissances connaissances , il prit aussi-tôt aussitôt la fuite & et se retira à Rome auprès de Cécilia, fille de Népos, de tout temps l'amie de son pere père , & et dont je ne dois parler qu'avec les éloges qu'elle mérite. Oui, Messieurs, c'est une opinion générale que dans cette femme respectable les Dieux ont voulu conserver même jusqu'à nos jours des traces de l'humanité & et de la bienfaisance de nos peres pères , comme pour nous servir de modèle. Elle fut sensible à la misere misère de Roscius chassé de sa maison, dépouillé de ses biens, & et qui fuyoit fuyait la fureur & et les menaces d'une troupe de brigands ; elle le reçut chez elle ; elle appuya même de son crédit cet hôte infortuné, abandonné de tout le monde au milieu de la plus cruelle oppression. S'il voit encore la lumiere lumière en attendant votre arrêt, si son nom n'est pas parmi ceux des proscripts proscrits , s'il n'est pas lui-même au rang des morts ; c'est à la vertu, à la probité, au zéle zèle ardent de Cécilia qu'il le doit. Nos ennemis comprirent que la vie de Roscius étoit était à couvert sous une pareille protection, & et qu'ils n' avoient avaient plus de moyens de répandre son sang. Ils formerent formèrent alors un projet digne de la scélératesse & et de l'audace la plus consommée : ce fût fut de le déférer comme coupable de parricide ; de trouver quelqu'ancien délateur, qui pût former une accusation sur un objet, où il n'y avoit avait pas lieu au moindre soupçon ; enfin, d'armer pour le perdre les circonstances même du temps, puisque leur injuste cruauté étoit était sans ressource. Ils se reposoient reposaient sur certains discours que l'on tenoit tenait dans Rome ; qu'après un temps si long, où l'on n' avoit avait vu aucun jugement criminel, on ne pouvoit pouvait pas manquer de condamner le premier qui paroîtroit paraîtrait en justice. Ils se flatterent flattèrent que la faveur de Chrysogonus écarteroit écarterait tous ceux qui voudroient voudraient plaider pour l'accusé ; que personne ne se hasarderoit hasarderait de parler de la vente de ses biens et du complot formé contre lui ; que le seul nom de parricide et l'atrocité de ce crime applaniroient aplaniraient La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence (mais voir Féraud). toutes les difficultés, et le livreroient livreraient sans défense à leur ressentiment et à la mort. C'est dans cette vue, Messieurs, c'est avec cette fureur aveugle qu'ils vous ont laissé le soin de faire périr un homme, qu'ils n'ont pu égorger eux-mêmes, comme ils le desiroient desiraient .

Je pense comme vous, reprit Timagène, que Cicéron, dix ans plus tard, auroit aurait abrégé ce récit et mieux caché son jeu. Au reste, nous pouvons profiter de cette jeunesse : elle nous laisse mieux appercevoir apercevoir l'art de l'orateur ; et je remarque d'abord ici cette vraisemblance si fort recommandée par Quintilien. Les faits naissent les uns des autres d'une manière si naturelle, qu'ils ne laissent pas lieu au moindre soupçon. Un homme riche est assassiné, dans des temps de troubles et de désordres ; il a des ennemis qui se proposent d'envahir ses biens : ils s'appuient du crédit d'un scélérat puissant et avide, pour se défaire d'un héritier incommode : tout cela n'est que la marche ordinaire du crime et de la passion. Rien de plus naturel que les artifices dont ils se servent pour tromper les députés d'Amerie, et pour éluder les promesses qu'ils leur avoient avaient faites : enfin rien de plus familier à des pervers, que d'employer la faveur d'un de leurs complices, pour armer sa justice elle-même contre l'innocence qu'ils veulent perdre. Tout s'accorde ici parfaitement bien : l'abus de la faveur dans Chrysogonus, avec le rôle timide qu'il joue ; le caractere caractère & et les habitudes des deux Roscius, avec l'intrigue qu'ils conduisent. La simplicité des députés, est un tableau d'après nature. Il n'y a pas moins d'adresse dans ce récit à préparer les preuves. On est à demi-persuadé demi persuadé , lorsqu'on l'a entendu. Cicéron vouloit voulait établir, ce me semble, que les deux Roscius étoient étaient eux-mêmes les seuls auteurs du meurtre dont ils accusoient accusaient leur parent. Dans cette vue, il a soin d'observer que Roscius le pere père étoit était partisan de la noblesse, à la tête de laquelle étoit était Sylla : ce qui prouve qu'il n' avoit avait point été mis au nombre des proscripts proscrits . Il fait remarquer les inimités qui regnoient regnaient entre le défunt et les accusateurs ; tandis que le fils n' avoit avait jamais témoigné que du respect et de l'obéissance à son pere père  : mais il s'arrête surtout sur le temps, le lieu & et les circonstances de cet assassinat, qui donnent ici le plus grand jour. Au moment que Roscius perd la vie à Rome, Titus est dans cette capitale, et Sextus à Amerie : un ami de Titus en porte la nouvelle dans cette derniere dernière ville, en dix heures de nuit, non pas à Sextus, mais à Capiton l'un des accusateurs : après la mort du pere père , ses biens se trouvent partagés entre les deux Roscius & et Chrysogonus, tandis que le fils est dépouillé et réduit à l'indigence, et n'a pu obtenir la liberté de défendre sa vie, que par la protection de Cécilia. Assurément il faut être aveugle, et aveugle volontaire, pour ne pas voir dans ce détail de quelle main le coup est parti.

Tout cela est fort bien, comme vous le remarquez, poursuivit Euphorbe : mais que pensez-vous de l'habileté de notre orateur à se tirer de l'embarras où le mettoit mettait sa propre cause, et à intéresser ses juges pour sa partie ? Défendre un malheureux, sans appui, contre les poursuites d'un homme tout-puissant par la faveur de Sylla, qui seul étoit était alors le maître, ou plutôt, le tyranLa graphie est ici plus moderne que dans le reste du texte. de Rome, vous conviendrez que c' étoit était une entreprise difficile, et peut-être aussi périlleuse pour l'avocat, que pour son client. Cicéron ne fut point enrayé de ces difficultés, et trouva dans son art, art de quoi les vaincre. Il fait réflexion que le temps où il parle est le regne règne de la noblesse ; que Sylla s'est ouvertement déclaré pour ce premier corps de l'état, dont il étoit était membre lui-même ; qu'il a choisi ses juges dans les plus illustres maisons des patriciens, tels que les Métellus, les Servilius, les Scipions : il a grand soin dès-lors dès lors de représenter le pere père de Roscius comme un homme dévoué aux intérêts de la noblesse, et partisan de tout ce qui avoit avait un grand nom dans la république. Ce n' étoit était pas encore là le pas le plus dangereux. Cette maniere manière de penser pouvoit pouvait rendre la mémoire de Roscius plus chere chère à ceux qui devoient devaient venger sa mort ; mais il falloit fallait attaquer Chrysogonus l'ami, le confident, le favori du nouveau souverain, dévoiler son avarice et montrer qu'il étoit était l'âme de cette intrigue. Comment exécuter tout cela sans nuire à sa cause en irritant Sylla, qu'on devoit devait naturellement soupçonner d'authoriser d'autoriser , ou du moins de tolérer ces crimes ? C'est à prévenir cet inconvénient que Cicéron emploie toute son adresse. Il assure que le chef de la république ignoroit ignorait absolument ces odieuses menées : et il appuye appuie cette assurance sur sa propre connoissance connaissance particuliere particulière  ; sur les agitations et les inquiétudes de Chrysogonus, lorsqu'il appréhende que Sylla ne soit instruit de ce qui se passe ; enfin sur la nature même des occupations de cet heureux vainqueur de Marius ; et cette derniere dernière preuve lui donne occasion de faire un éloge de Sylla, d'autant plus flatteur, qu'il semble amené par la nécessité de la cause, et qu'il paroît paraît qu'on ne se propose que d'excuser sa conduite. Sylla est l'homme de l'état : c'est sur lui seul que roulent les intérêts publics et particuliers, présents et à venir : enfin il consacre au soin de la république son temps, son repos et les douceurs de sa vie. Remarquer que Cicéron ne dit ici rien que de vrai, & et qu'il n'est point adulateur, même en faisant la cour à un usurpateur. Le beau portrait qu'il fait ensuite de Cécilia, femme de Sylla, n'est pas moins propre à gagner le dernier. Célébrer les vertus d'une épouse, c'est louer le choix qu'à fait son époux. Enfin, la peinture de l'état affreux où se trouve Roscius obligé de défendre son honneur & et sa vie contre ceux qui lui ont ravi ses biens & et l'auteur de ses jours, privé de la triste consolation d'arroser de ses larmes les cendres de son pere père , doit intéresser les cœurs les plus insensibles.

Le pathétique et les autres ornemens ornements de l'éloquence, répliqua Timagène, trouvent donc place aussi dans le récit oratoire ? Comment, s'il vous plaît, accordez-vous cela, avec cette simplicité qui lui est si recommandée ?

C'est précisément là que j'en voulois voulais venir, poursuivit Euphorbe. La simplicité de cette narration, consiste plutôt à avoir des ornemens ornements mâles & et sérieux, qu'à n'en point avoir. Le même Cicéron, bon juge en cette matiere matière , en parlant de cette partie du discours,De orator. partitionibus. c. 35. même dans le genre judiciaire, y admet les objets frappans frappants , les surprises inopinées, les grands mouvemens mouvements , les sentimens sentiments de la douleur, de la crainte, de la joie, de la tristesse. On y voit meme avec plaisir, sur-tout surtout dans le panégyrique des pensées ingénieuses et délicates, telles que celle de Pline, en faisant l'éloge de Trajan ;Credent ne posteri, nihil ipsum, ut imperator fieret, agitasse, nihil fecisse, nisi quod meruit & et paruit ? la La postérité pourra-t-elle croire que ce prince n'a jamais recherché la souveraine puissance, et que, pour y parvenir, il n'a fait d'autres démarches que la mériter et obéir. Mais, dans ces ornemens ornements , il faut toujours beaucoup de réserve & et de sagesse, & et en bannir tout ce qui a l'air affecté ou trop étudié. De tous les défauts, dit Quintilien,Omnium vitiorum pessimum : nam eætera cum vitentur, hoc petitur. Instit. lib. 8. cap. 3. l'affectation est le pire : on évite les autres ; on recherche celui-là.

Vous prévenez une difficulté que j' allois allais vous faire, interrompit Timagène, à l'occasion du récit oratoire que vous venez d'examiner. Car parmi les beautés sans nombre qui s'y rencontrent, je crois y appercevoir apercevoir des traits qui ont besoin de quelque indulgence. N'y a-t-il pas quelque chose de forcé dans cette idée, que Glaucia vouloit voulait non seulement apporter le premier à Capiton une nouvelle qui pût flatter sa haine, mais encore lui présenter le poignard récemment arraché du sein de son ennemi, & et fumant encore du sang qu'il venoit venait de répandre ? J' aurois aurais désiré, sur-tout surtout , que cet illustre orateur nous eût épargné plusieurs jeux de mots, que votre traduction a fait disparoître disparaître en grande partie. Tel est, ut hic potius vivus in reos, quam occisus in proscriptos referretur ; Cæcilia a fait en sorte que Roscius fut placé plutôt parmi les accusés pendant sa vie, que parmi les proscripts proscrits après sa mort : & et ces deux autres, qu'on ne peut rendre exactement dans notre langue, quorum alterum sedere in accusatorem subselliis video, alterum tria hujusce prædia possidere audio : et plus bas, ut ad eam rem aliquem accusatorem veterem compararent, qui de ed re posset dicere aliquid, in qua re nulla subesset suspicio. Je ne vois pas quelle grâce peut avoir dans cet endroit, le mot res répété jusqu'à trois fois. En général, l'anthitèse l'antithèse se montre un peu souvent dans tout ce morceau.

Je ne vous accuserai plus, reprit Euphorbe, de trop aimer les ornemens ornements du stile style . Il me paroît paraît que vous devenez sévère ;La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. mais cette sévérité même fait honneur à Ciceron. Vous en auriez peut-être moins pour tout autre. La poussiere poussière la plus légere légère s' apperçoit aperçoit mieux sur une glace, que sur la pierre ou le bois. Malgré ces petits défauts, l'exemple que je vous ai apporté suffit pour prouver, que le grand & et le pathétique peutDesit: accord? trouver place dans le récit oratoire. Les pensées et les allusions fines et délicates n'en sont pas même exclues. Témoin celle que fait Ciceron en parlant d'une comédienne que Verres avoit avait prise à sa suite, et dont la présence avoit avait indigné toutes les dames qui étoient étaient de la compagnie du préteur. Ce nouvel Annibal, dit l'orateur, convaincu que le mérite seul, et non la naissance, devoit devait décider des rangs dans son camp, eut tant d'attachement pour cette femme, qu'il la transporta avec lui en quittant son département. Iste autem Annibal qui in suis castris putabat oportere virtute non genere certati, sic eam Tertiam dilexit, uc eam secum ex provincâ exportatet. In Verrem. lib. 5. J'en pourrois pourrais citer plusieurs autres semblables.

Je trouve dans Cicéron, ajouta Timagène, un mérite qui n'est pas commun ; c'est d'être aussi bon rhéteur que parfait orateur. Ces deux talens talents sont rarement unis : j'en suis étonné. Car enfin ceux qui font une étude particuliere particulière des régles règles de l'éloquence, qui les enseignent aux autres, doivent être en état d'en faire usage eux-mêmes.

C'est précisément, répartit Euphorbe, parce qu'ils les savent trop, qu'ils reussissent assez mal dans un discours. La crainte de s'en écarter les rend timides, émousse leur goût, desseche déssèche leur imagination, & et ne leur permet pas de se livrer à ces élans de génie qui décèlent un grand maître. Dans tous les arts, la contrainte est ennemie de la perfection. Dans l'éloquence, les régles règles les plus sûres que puisse suivre l'avocat, sont la nature, les circonstances particuliéres particulières de sa cause & et son propre goût. Si vous voulez achever de vous convaincre que le récit oratoire admet des ornemens ornements lorsque le sujet l'exige, consultez l'orateur Romain romain , dans son plaidoyer pour A. Cluentius Plaidoyer pour A. Cluentius  : vous y verrez quels sentimens sentiments , quel pathétique il répand dans cette partie du discours. Il use de la liberté qu'il a donnée aux autres, & et met en jeu jusqu'aux éclairs de l' anthithèse antithèse . Faut-il peindre la conduite d'une mere mère qui arrache son gendre des bras de sa propre fille, pour l'épouser elle-même, & et qui poursuit son fils au criminel ? Il est difficile d'employer des couleurs plus vives que celles-ci.Mater hujus Aviti (mater enim à me in omni causâ, tametsi in hune hostili odio & et crudelitate est, mater, inquam, appellabitur ; neque unquam illa ita de suo scelere audiet, tu naturae nomen amittat. Quô enim est ipsum nomen amantius indulgentiusque maternum, hoc illius marris, quae multos jam annos, & et nunc quàm maxime filium interfectum cupit, fingulare scelus majore odio dignum esse ducetis) ea igitur mater. ... ita [p461] flagrare cœpit amentiâ, sic inflammata ferri libidine, ut eam non pudor, non pudicitia, non pietas, non macula familiae, non hominum fama, non filii dolor, non filiae mœror à cupiditate revocaret. Orat. pro Cluent. n. 12. La mèreLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. d'Avitus (car, dans toute cette cause, je lui donnerai ce nom malgré sa cruauté et sa haine implacable ; en détaillant sa barbarie et ses crimes, je ne lui ferai point perdre un titre qu'elle tient de la nature ; et plus ce terme semble exprimer de sensibilité et d'amour, plus il vous rendra odieuse une mere mère assez malheureuse pour désirer depuis longtemps, et aujourd'hui plus que jamais, la mort de son propre fils), cette mere mère donc ... se laissa tellement aveugler par sa passion, tellement embraser par des feux impurs, que ni la honte, ni la vertu, ni les sentimens sentiments de la nature, ni l'affront qu'elle faisoit faisait à sa famille, ni sa réputation ni le désespoir de son fils, ni les lar- larmes Le mot est incomplet dans l'original. La coquille semble due au passage à la ligne qui se trouve en cet endroit. de sa fille ne purent en amortir les ardeurs. Quel tableau plus riche et plus touchant que celui de la jeune épouse à qui ce divorce a ravi son époux ?Filia quæ ... nefarium matris pellicatum ferre non posset, de quo ne queri quidem sine scelere se posse arbitraretur, cœceros fui tanti mali ignaros esse cupiebat : in hujus amantissimi sui fratris manibus & et gremio, mœrore & et lacrimis consenescebat. lb. n. 13. Cette fille infortunée, qui ... ne voyoit voyait qu'avec horreur le désordre de sa mere mère , croyoit croyait ne pouvoir s'en plaindre, sans commettre un crime. Contente de répandre ses pleurs dans le sein d'un frere frère qu'elle aimoit aimait , elle désiroit désirait que tout l'univers ignorât l'excès de ses maux, et laissoit laissait ses plus belles années se flétrir dans l'amertume et la douleur. Celui de la mere mère fait un charmant contraste avec celui- là. Tum vero illa egregia ac praeclara mater palam exultare laetitiâ, ac triumphare gaudio cœpit, victrix filiae, non libidinis. Ibid. n. 14. Alors cette admirable, cette incomparable mere mère ne met plus de bornes à sa joie ; tout son air l'annonce ; elle triomphe, elle s'applaudit de la victoire qu'elle vient de remporter, non sur son infâme passion, mais sur sa fille. L'orateur ensuite déclame avec force contre une conduite si indigne ; & et là, il met en jeu les plus grands ressorts de l'éloquence, et prodigue les figures les plus brillantes.O audaciam singularem ! Non timuisse si minus vim deorum hominumque famam, at illam ipsam noctem facesque illas nuptiales ? Non limen cubiculi ? Non cubile filiae ? Non parietes denique ipsos, superiorum testes [p463] nuptiarum ? Perfregit ac prostravit omnia cupiditate ac furore. Vicit pudorem libido, timorem audacia, rationem amenda. Ibid. n. 15. Quelle audace plus singuliere singulière  ! si elle ne redoutoit redoutait ni la vengeance des dieux, ni les discours des hommes, comment n'a-t-elle pas tremblé à la vue des flambeaux solemnels, qui éclairoient éclairaient cette nuit affreuse ? quoi ! ces appartemens appartements habités par sa fille, ce lit nuptial, ces murs mêmes, témoins des premiers engagemens engagements , ne l'ont point effrayée ! Non. Sa passion & et sa fureur ont tout méprisé, tout renversé, tout foulé aux pieds : l'honneur a cédé à un amour infâme, la crainte à l'audace, la raison à l'emportement. Cette narration entiere entière est écrite du même stile style . Vous appercevez apercevez -là, sans doute, tout ce que l'art oratoire a de plus riche et de plus éclatant, ou je ne m'y connois connais pas.

Pour moi, reprit Timagène, je m'y connois connais assez pour voir qu'il n'y a rien de moins simple que ce récit. Il n'est pas nécessaire non plus d'être fort habile, pour s' appercevoir apercevoir que, dans l'état présent de la cause, il falloit fallait quelque chose de plus que de la simplicité. L'orateur avoit avait sans doute à combattre & et à dissiper un préjugé qui naissoit naissait naturellement dans l'esprit des juges contre Cluentius, en le voyant poursuivi au criminel par sa propre mere mère . Il devoit devait donc dévoiler les crimes de cette femme, & et la peindre comme une espece espèce de monstre, qui en cherchant à faire périr son fils, ne faisoit faisait que mettre le comble aux horreurs dont elle étoit était déjà coupable. C' étoit était le vrai et l'unique moyen d'inspirer autant d'aversion pour elle, que de compassion pour son fils. Pour y réussir, il ne suffisoit suffisait pas de détailler froidement ses désordres & et ses indignités ; il convenoit convenait de déployer toute la magie de l'éloquence. Mais tout cela n'est qu'une exception à la régle règle commune.

Cette exception est si fréquente, répartit Euphorbe, qu'on pourroit pourrait presque la prendre pour la régle règle . Au reste, je l'appellerai comme il vous plaira, si vous m'accordez que l'orateur doit étudier, avant toutes choses, la nature et les circonstances de sa cause.

Je ne risque rien de vous accorder tout, continua Timagène : je ne peux qu'y gagner. Mais enfin ces ornemens ornements , que vous admettez dans le récit oratoire, ne doivent pas, sans doute, paroître paraître avec autant de pompe & et de magnificence que ceux de la poésie.La graphie de l'original est ici (ainsi qu'à la page suivante) plus moderne que dans le reste du texte.

Ce que vous dites est incontestable, répondit Euphorbe. L'éloquence, toute majestueuse qu'elle est, est sage & et réservée : la poésie est toujours montée sur le cothurne,"Cothurne, s.m. Sorte de chaussure dont les Acteurs se servoient anciennement pour jouer le tragique. Et c'est de-là qu'on dit figurément, Chausser le cothurne, pour dire, Faire des Tragédies. On dit aussi d'Un homme, qu'Il chausse le cothurne, pour dire, qu'Il prend un style, un ton élevé & pathétique dans un ouvrage, dans une occasion qui ne le demande pas." (Voir Dictionnaire de l'Academie francase, 1762). se soutient par l'enthousiasme & et exige un grand appareil. Ce sujet est trop vaste pour l'entamer aujourd'hui. Le jour s'éteint : l'heure du souper approche : remettons à traiter cette matiere matière dans une autre conversation.